Éminent sculpteur grec “des grands volumes”, à la reconnaissance internationale Yerassimos Sklavos (1927-1967) est considéré comme l’un des sculpteurs les plus importants du XXe siècle. Sklavos vivait pour son œuvre qui dégage avec puissance une recherche de représentation psychologique et abstraite des formes. Il meurt prématurément et d’une manière tragique à l’âge de 40 ans, écrasé par un bloc de pierre sur lequel il travaillait dans son atelier. Sklavos a réussi au cours de sa courte vie à incarner et pas seulement à créer ou à concevoir une œuvre multidimensionnelle, monumentale et compacte en termes de poids et de souffle. Certaines de ses œuvres monumentales se trouvent dans des lieux publics en France, en Amérique, au Canada, au Brésil et en Grèce.

Yerassimos Sklavos est né le 10 septembre 1927 à Domata, Céphalonie et était le quatrième des huit enfants d’un fermier. C’est assez tardivement qu’il reçoit une éducation artistique, bien que, déjà, le jeune homme s’amuse à forger à partir de la boue, du sable et de l’argile, des sculptures décorant les terres familiales.

Il étudie la sculpture à l’École des beaux-arts d’Athènes (1950-1956) avec le professeur Michalis Tombros et grâce à ses excellents résultats il obtient une bourse d’études pour se rendre à Paris en 1957, où il suit les cours des Beaux-Arts. Il fréquente notamment les ateliers des sculpteurs Hubert Yencesse, Georges-Henri Adam et Marcel Gimond, qui lui transmettent chacun une vision de leur art, à la fois abstraite et figurative. Tout en complétant sa formation par un bref passage à l’Académie de la Grande Chaumière, Sklavos commence à produire ses premières œuvres.

Icarus, 1957 – Source : nationalgallery.gr

Il développe même une technique personnelle qui consiste à traiter la pierre travaillée avec de l’oxygène et de l’acétylène, grâce à un processus qu’il nomme alors la Télésculpture obtenant en 1960 un brevet en France et en Grèce pour cette méthode innovatrice. L’œuvre de ce grand artiste grec, qui nourrissait un amour mystique pour sa patrie et qui, à juste titre – presque dès son installation à Paris – côtoyait des artistes éminemment importants de renommée internationale est en effet très personnelle.

Les étapes majeures de sa carrière

La première phase de la carrière de Sklavos est caractérisée par des œuvres réalistes à naturalistes puisqu’il est encore très proche des normes académiques, avec des souvenirs frais des ateliers de l’École des beaux-arts. Les œuvres de cette période sont plus des exercices de style dans l’esprit de ses professeurs, comme M. Tombros, que des captures personnelles.

Femme nue, 1957 – Collection Eleni Sklavou Source : Fondation d’art « Tellóglion » 

Sklavos expose ses œuvres pour la première fois en 1957 en Grèce dans le cadre de l’Exposition panhellénique, une exposition « universelle » organisée afin de donner une image représentative des tendances artistiques qui dominaient la Grèce à l’époque. Selon la presse de l’époque, « l’État grec est en train de prendre conscience de l’existence de l’art grec et des besoins réels des artistes ». Sklavos participe à l’âge de 30 ans avec un corps nu féminin en plâtre qu’il ne cherche pas à idéaliser, mais à décrire avec ses imperfections. Cela donne l’impression qu’il s’agit d’un rendu d’un modèle réel. Cependant, la planéité du corps ne prive pas la figure féminine de sa sensualité et de sa féminité.

Au début de sa carrière en France, son style se traduit surtout par des formes sculptées géométriques tirant déjà vers l’abstraction. Grâce à sa nouvelle technique Télésculpture, Sklavos commence à se faire connaître. A la même période, il fait la connaissance de nombreux acteurs du monde de l’art européens, notamment celle de la baronne Alix de Rothschild collectionneuse d’art qui, désireuse d’encourager l’artiste dans son travail, lui confie un atelier ainsi qu’un logement à Levallois-Perret.

A partir de 1961, la carrière de Sklavos prend son envol : sa première exposition personnelle à la galerie Cahiers d’Art, des marchands d’art Christian et Yvonne Zervos, est couronnée de succès et propulse son œuvre à l’international. Dans la même année Sklavos participe à la Deuxième Biennale de Paris, institution qui a été créé par le ministre de la Culture et célèbre écrivain André Malraux dans le but de donner à de jeunes artistes, âgés de 20 à 35 ans et originaires de tous les pays, l’occasion de présenter et de confronter leurs œuvres.

Yerassimos Sklavos a participé à la compétition avec son œuvre « Psyché » . Il s’agit d’une sculpture de taille moyenne, qu’il a réalisée en utilisant la méthode pionnière de travail des pierres dures à l’oxygène et à l’acétylène qu’il a lui-même introduite. C’est l’un des premiers exemples de l’utilisation de sa technique révolutionnaire caractérisée par la cohérence de ses théories sur la cosmogonie. Avec l’utilisation d’une flamme puissante le sculpteur peut à tout moment apporter les modifications qu’il souhaite et devient ainsi le seul maître de l’œuvre.

Psyché, 1961 – Source : Fondation d’art « Tellóglion » 

Les mots de l’artiste sont typiques lorsqu’il parle de l’« âme » en grec « psyché » : “Qu’est-ce qu’une âme ? C’est la lumière. Lumière-Mouvement-Vie-Ame-Lumière-Création. Anti-création.” Il formule à sa manière sa théorie de la vie et de la création du monde. Il est remarquable qu’il revienne à plusieurs reprises sur le concept de lumière. En effet, ses formes hautes et douces aux bords arrondis renvoient à des formes organiques, comme si les rochers étaient formés à partir de rien, cette fois par l’artiste. Selon les critiques d’art Sklavos « créait » avec son âme ou plutôt transférait son âme à son œuvre.

Avec son œuvre « Psyché », Sklavos a réussi à remporter deux prix, le Grand prix de sculpture du jury international, composé de treize membres éminents, dont Jacques Lassaigne, Giuseppe Marchiori, Eric Newton et Alberto Giacometti, et le prix des jeunes artistes de ses co-exposants étrangers.

Selon les critiques d’art Sklavos « créait » avec son âme ou plutôt transférait son âme à son œuvre.

L’importance de la Biennale de 1961 et des deux prix a joué un rôle de catalyseur. Elle a mis la sculpture de Sklavos sur le devant de la scène et lui a donné l’occasion de se faire connaître. Apart le couple Christian et Yvonne Zervos et la baronne Alix de Rothschild, Sklavos est également soutenu par une partie importante des critiques d’art, tels que Raymond Cogniat et Georges Boudaille. Il sort ainsi des difficultés surtout financières qui l’ont accablé pendant plusieurs années et peut poursuivre son travail sans entrave. Les succès se succèdent avec la réalisation d’œuvres monumentales en France, au Canada, en Amérique et en Grèce.

La reconnaissance et le soutien que Sklavos reçoit se concrétisent par excellence lorsque deux ans plus tard – en 1963 – Christian et Yvonne Zervos incluent Sklavos dans l’édition particulièrement importante “Sept Tendances de la Sculpture Contemporaine” qu’ils organisent dans leur galerie parmi les “grands de la sculpture” : Arp, Boyan, Gonzalez, Hajdu, Laurens.

Abysse (1962) et Chaos (1960), Encre de Chine- Source : Psyché, 1961 – Source : Fondation d’art « Tellóglion » 

Une reconnaissance finalement concrétisée par un geste significatif de la part de l’État français lorsqu’une exposition personnelle de l’artiste est organisée au Musée d’Art Moderne dans le cadre de la 3e Biennale de la Jeunesse de Paris en 1963.

Yerassimos Sklavos avec André Malraux au Musée d’Art Moderne (1963) –
Source : Fondation d’art « Tellóglion » 

L’artiste choisit de présenter une variété de ses œuvres sans se limiter à la sculpture. Les dessins exposés appartiennent à la période 1960-1963, au cours de laquelle l’infini, le chaos et la lumière préoccupent Sklavos. Il expose également onze sculptures, l’une en fer (1960), l’autre en ciment (1959) et les autres en diverses pierres dures (1961-1963), ainsi que trois gravures (1961-1962). Après cette exposition, Sklavos et l’art grec sont représentés dans la collection permanente de cet important musée d’art moderne.

Création du Mouvement, 1962, sculpture en porphyre rose d’Egypte

La « Panathénée de sculpture contemporaine » a eu lieu à Athènes sur la colline des Muses de Philopappou du 8 septembre au 8 novembre 1965. L’idée originale de l’événement est attribuée à Toni Spiteris, critique et historien d’art. L’objectif de cette exposition internationale était de présenter « les expressions sculpturales contemporaines les plus représentatives ». En effet, soixante-six (66) œuvres d’artistes étrangers de renommée internationale ont été sélectionnées, dont Archipenko, Arp, Boccioni, Brancusi, Giacometti, Lehmbruck, Picasso et d’autres.

La nécessité impérieuse d’une participation grecque conduit les organisateurs à choisir des sculpteurs grecs contemporains. Sklavos y participe avec son œuvre « Lumière interplanétaire », composée de deux corps cellulaires en granit porphyrique égyptien, tournant avec un mécanisme, sans que celui-ci soit visible. En effet, l’artiste a placé sous l’œuvre une plaque explicative qu’il a lui-même gravée.  

 Lumière interplanétaire, en porphyre rose d’Egypte, 1964 –
Source : Fondation d’art « Tellóglion » 

Sklavos a aussi participé à l’exposition internationale de sculpture contemporaine au musée Rodin (1966). Son œuvre a également été présentée à titre posthume dans le cadre d’importantes expositions collectives.

En 1965-1966, il crée la célèbre sculpture en marbre pentélique « La lumière de Delphes », érigée à Delphes. Il écrit à propos de cette œuvre « À Delphes, mon âme s’est illuminée. Ce qui règne, c’est la lumière. Il faut courir car la lumière est petite et elle finira. Cours, cours, la lumière se répand et tu es seul ».

La lumière de Delphes, 1965-1966 – Source : Yerassimos Sklavos blogspot – Photo par Elias Sagris

L’année suivante, il présente sa dernière exposition personnelle au Hilton d’Athènes, tout en créant la sculpture de granit gris « Une amie qui n’est pas restée là » qui lui sera fatale. Le soir du 28 janvier 1967, il n’y avait pas de lumière dans son atelier d’art à Levallois-Perret à cause d’une sécurité brûlée. En essayant de grimper dans la chambre à coucher au dernier étage, il trébuche sur la sculpture massive. Celle-ci se tordit et tomba sur lui, lui écrasant la poitrine et le cou. Yerassimos Sklavos a été tué par sa propre création !

« À Delphes, mon âme s’est illuminée. Ce qui règne, c’est la lumière. Il faut courir car la lumière est petite et elle finira. Cours, cours, la lumière se répand et tu es seul » – Yerassimos Sklavos

Immédiatement après sa mort, des expositions honorifiques ont été organisées au Musée Rodin et aux Cahiers d’Art (1968), tandis qu’au cours des années suivantes, plus de 15 rétrospectives similaires ont été organisées en Grèce, en France et en Belgique.

Le critique français Raymond Cogniat a déclaré à propos de la mort de Yerassimos Sklavos: « Alors que les grandes difficultés avaient été surmontées, qu’un avenir serein s’ouvrait devant lui, que les connaisseurs, de plus en plus nombreux, lui faisaient à nouveau confiance, que son talent était reconnu par les autorités de l’État, le destin implacable a interrompu sa carrière prometteuse ».

Ioulia Elmatzoglou | GreceHebdo.gr

La Fondation d’art « Tellóglion »  / Yerassimos Sklavos
Yerassimos Sklavos blogspot
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