‘’Sur ses traits passaient les images de la souffrance, du rire, de l’attaque, de la parade et il semblait tout occupé à ce fraternel corps à corps’’ c’est ainsi que François Mitterrand décrit le langage corporel de Mikis Theodorakis quand il jouait du bouzouki. Je crois justement que cette intensité émotionnelle de l’expression du visage est un trait caractéristique du joueur de rebetiko. Dès les premières notes de chaque chanson, cette émotion est repandue et partagée par tous dans les tavernes. C’est une des choses les plus touchantes dans le rebetiko, ce pouvoir fédérateur me fascine de plus en plus. L’illustration la plus frappante de ce partage émotionnel reste pour moi la chanson ‘’απόκληρος ‘’(le banni, le paria) du compositeur grec Vassilis Tsitsanis, né en 1915 à Trikala.
 
 
Plusieurs fois que ce phénomène se produit dans cette taverne où un ami joue du rebetiko. Cette chanson suscite la même réaction autour de moi : tout le monde chante, ondule les mains et adopte la même figure teintée d’une vive émotion. Voici trois soirs qu’ils jouent ‘’απόκληρος’’ et à chaque fois j’ai le droit à une traduction, comme si mes voisins de table, habités et envoutés par les paroles ne pouvaient se retenir de me transmettre leur signification. J’apprends alors qu’il s’agit de l’histoire d’un homme, errant et malheureux qui regrette l’étreinte de sa mère, à laquelle il implore de prendre son âme pour qu’il retrouve le calme car il se dit plongé dans un malheur immuable. Loin d’êtres gaies et légères ses paroles soulèvent pourtant l’enthousiasme général. Telle est la force du rebetiko, qui par le récit de souffrances et malheurs parvient à réunir chacun autour d’une joie contagieuse. 
 
tsitsanis final
 
Non seulement les paroles mais aussi la beauté mélancolique du bouzouki sont à l’origine de cette communion. Vassilis Tsitanis, l’auteur de απόκληρος est d’ailleurs considéré comme une légende du bouzouki, instrument qu’il a découvert dans sa jeunesse auquel il a su faire honneur dans plus de 500 chansons.
 
 
Joséphine Faisant, étudiante en journalisme à Paris, a effectué un stage au sein de la rédaction de GrèceHebdo. Οn publie de nouveau les impressions d’ une parisienne à Athènes. Cet article a été publié le 14 février 2013.