Sia Anagnostopoulou*, professeur de Sciences Po et d’Histoire à l’Université Panteion et députée au Parlement grec sur la liste de SYRIZA a parlé à GrèceHebdo** sur les développements récents pour ce qui est de la question chypriote. Le nationalisme en Grèce, en Turquie et en Chypre ainsi que le colonialisme à Chypre font partie de ses principaux intérêts de recherche. Elle a publié deux monographies: « Asie Mineure. Les communautés Orthodoxes grecques, 19ème siècle-1919. Du millet de Rûm à la nation grecque » (Athènes 1997, en grec) et « La modernisation de la Turquie. L’islam et les chypriotes turcs en relation avec le kémalisme » (Athènes 2004, en grec). De 2000 à 2003, Anagnostopoulou a dirigé l’équipe de recherche du ministère des Affaires étrangères de Chypre sur les questions concernant la Turquie et la communauté chypriote turque.
1. Comment évaluez- vous les développements récents dans la question chypriote ?
Il y a un progrès très important. Les négociations entre les deux chefs des communautés, de communauté chypriote grecque et de communauté chypriote turque sont arrivées à un moment, à un point très satisfaisant pour continuer les négociations. Tout d’ abord, il y a une évolution historique, symboliquement et réellement parlant: c’est la première fois après 1974, après l’invasion turque à Chypre, qu’on a la présentation de cartes de l’île. Cette évolution est importante parce que les deux chefs des communautés essaient de définir leur espace – la “frontière” entre leurs communautés- par eux-mêmes et à travers les négociations. En fait, ils essayent de reconstituer une “frontière” de confiance et de paix entre les deux communautés, annulant ainsi dans la pratique les conséquences de l’invasion qui a violement imposé la frontière de la haine qui divise deux “mondes” et par conséquent l’espace chypriote en deux “pays” ennemi l’un contre l’ autre. Par la présentation de ces cartes, les chefs chypriotes revendiquent la responsabilité de gérer l’espace chypriote, et non pas l’armée turque. Ceci est un premier pas vers la solution, un pas relevé de la volonté des deux chefs chypriotes.
2. Quel bilan portez-vous sur l’intervention européenne en ce qui concerne les négociations de Genève?
C’est la première fois que l’Union Européenne s’implique d’une manière plus active dans la question chypriote. A mon avis, il faut s’impliquer d’avantage, d’autant plus que Chypre est la frontière sud-est de l’Europe, la frontière entre l’Europe et le Moyen Orient. La solution ou la non solution du problème chypriote doit être au cœur de la politique européenne. Et ceci parce qu’a travers Chypre aussi (et non pas seulement à travers Chypre bien sûr), l’Union Européenne va se “réinventer”, va “réinventer” son “monde” et son voisinage, les valeurs qui prévalent ses relations avec son entourage. La solution du problème chypriote, du problème frontalier de l’Europe, va donner la signe que: 1) l’Union Européenne a la responsabilité politique de ses frontières. 2) Elle ne permet pas la perpétuation de “zones grises” et sous domination sur son espace, des zones qui mènent à la division de son espace frontalier entre “monde chrétien” et “monde musulman”, l’un contre l’autre. 3) Elle finit définitivement avec son passé colonial et avec les politiques nationalistes récentes qui minent l’effort de l’européanisation de son espace, et, 4) elle fait de ses frontières le pont d’ouverture vers son voisinage et non pas le “mur de la haine” entre un monde européen et “les barbares”. En résumant, la résolution du problème chypriote, notamment à une période cruciale pour l’avenir non seulement de l’Europe mais du monde entier, va montrer que les valeurs européennes persistent encore et que le monde (au niveau local, européen et global) n’est pas divisé à travers des critères de civilisation, (couleur et religion), mais que le respect des institutions démocratiques, d’ égalité et de justice est la base de coexistence. La résolution du problème chypriote donc, la formation d’un cadre institutionnel de coexistence de deux communautés de repères religieux et ethniques différents sous le même état -chypriote et européen- peut être un acte de résistance à un nationalisme galopant et menaçant.
3. Certains affirment que la «non solution» de la question chypriote constitue toujours la meilleure solution. Partagez-vous ce point de vue ?
Non, pas du tout. Tout d’ abord, on accepte les conséquences de la période après-coloniale, de luttes ethniques et, surtout, de l’ invasion Turque, en tant que “naturelles”, sans intervention politique. En suite, on accepte qu’en ce moment historique très dense où les problèmes au Moyen d’Orient et en Turquie créent un cadre d’instabilité, Chypre -au moins une partie de son espace- est la proie de cette instabilité. Ceci dit qu’on accepte que Chypre devient potentiellement “la porte d’ importation” de cette instabilité sur le sol européen. En fait, en laissant un espace européen dont presque la moitié est en dehors du contrôle européen et en dehors du contrôle de l’état chypriote, n’est pas un bon signe pour l’avenir, notamment à une période où l’avenir ne se présente pas si pacifié.
4. Quel regard portez-vous sur la mise en application de l’accord signé entre l’UE et la Turquie le 18 mars 2016 sur la gestion des flux des réfugiés ?
Cet accord pourrait montrer que l’Europe coopère avec les pays de son voisinage afin de régler un problème grave, un problème humanitaire. Afin donc de protéger de manière efficace les réfugiés par les trafiquants, etc. Toutefois cet accord n’est pas le résultat d’une politique humanitaire, mais d’une politique d’urgence, dictée par la logique de la limitation du problème en dehors des frontières européennes. L’Union Européenne, très efficace d’imposer ses règles au niveau économiques, se prouve indifférente à appliquer avec le même zèle les règles humanitaires. Alors, l’Union Européenne à incliné les genoux aux menaces et aux politiques nationalistes de pays-membres qui n’acceptent pas les réfugiés sur leur sol, mais elle refuse de dévier un peu de ses règles économiques quand il s’agit des pays comme la Grèce qui traversent une crise humanitaire et qui, en même temps, offre un toit humanitaire aux réfugiés.
*Bref portrait
Née à Patras, Sia Anagnostopoulou est diplômée de la faculté de philosophie de l’Université d’Athènes et détient un diplôme de la langue et civilisation turque de l’Institut National des Langues Orientales (INALCO) à Paris. Diplômée d’un DEA de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, elle a obtenu un doctorat en histoire à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) à Paris.
Depuis 2004 elle est professeur de Sciences Po et d’histoire à l’Université Panteion. Par ailleurs, elle a enseigné pendant neuf ans à l’ Université de Chypre. Elle parle le français, l’anglais, et le turc.
Elle est membre du comité Paneuropéen de l’Académie pour l’histoire européenne créé par Transform! Europe.
Elle a été élue députée au Parlement grec sur la liste de SYRIZA dans la circonscription de l’Achaïe au cours des élections législatives grecques en janvier 2015, et a été nommée Ministre adjoint des Affaires Européennes le 17 juillet. Aux législatives de septembre 2015, elle a été réélue et elle a été nommée Ministre adjoint de l’Education jusqu’au remaniement en novembre 2016.
** Interview accordée à Irini Anastopoulou