Polydefkis Papadopoulos est sociologue et journaliste, spécialisé dans les questions européennes, et président de la section grecque de l’Union Internationale de la Presse Francophone (UPF).
Trois semaines après les élections européennes du 26 mai 2019, GrèceHebdo* a interviewé Polydefkis Papadopoulos sur les conclusions politiques qu’on peut tirer de ce scrutin, les défis qui attendent déjà le nouveau Parlement et la prochaine Commission européenne et le rôle des médias nationaux dans le débat sur les questions européennes.
Deux semaines après les élections européennes, quelles sont les principales conclusions qu’on peut tirer concernant les résultats de ce scrutin ?
Les élections ont révélé un paysage politique assez confus pour la plupart des pays de l’UE. Il serait exagéré de parler des gagnants « clairs ». Les seules conclusions concrètes qu’on pourrait tirer sont les suivantes : le recul des partis traditionnels de centre droit et de centre gauche, la faible montée de l’extrême droite et le renforcement des forces tels que les libéraux, et les partis du centre, en particulier les Verts.
D’un point de vue plus général, certains pourraient prétendre que ces résultats « ne changent rien. » En effet, les partis pro-européens continuent à dominer le Parlement européen, étant donné que les eurosceptiques et les partis anti-européens occupent seulement un quart des sièges au Parlement. De plus, certaines forces politiques a la tête de la droite nationaliste qui vont de l’euroscepticisme a l’antieuropéens ont finalement enregistré des résultats modestes. Tels furent les cas de l’Alternative pour l’Allemagne (Afd), le Parti populaire danois et le Forum pour la démocratie aux Pays-Bas.
Cependant, tous ceux qui affirment que les résultats des élections européennes marquent de « grands changements », disposent aussi des arguments : les partis eurosceptiques ont remporté la 1ère place dans quatre parmi les six plus grands pays de l’UE, à savoir la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et la Pologne. On devrait également prendre en compte le cas de la Hongrie, même si ce pays n’a qu’une taille moyenne : les électeurs ont largement favorisé, à un taux qui s’élève à 62% (!), dont 53% pour le parti d’Orban et 9% pour le reste des partis eurosceptiques.
La première question qui se pose concerne le poids de chacune de ces tendances dans la bataille entre les forces pro-européennes et eurosceptiques. Mais sans doute une question d’autant plus intéressante concerne les évolutions au sein des forces traditionnelles du centre-gauche / centre-droite, qui ont dominé la politique européenne au cours des décennies précédentes et sont maintenant sur une trajectoire descendante. On peut constater que ces forces perdent du terrain non seulement par rapport aux nationalistes populistes, mais aussi par rapport aux partis adressés à la classe moyenne urbanisée, comme les Verts et les Libéraux.
Il faut aussi insister sur la participation croissante des citoyens européens dans le processus électoral. La participation moyenne dans l’UE a atteint 50,95%, à savoir le taux le plus élevé depuis 1994, ce qui marque un succès, surtout en tenant compte du fait que 28 pays ont participé aux élections du mai, à l’instar de 15 en 1994.
Comment peut-on expliquer, plus précisément, les résultats en France, en Italie et en Grande Bretagne ?
Les conclusions susmentionnées son valables pour trois pays, malgré leurs différences. En France, par exemple, le centre droite et le centre gauche (c’est-à-dire les républicains et les socialistes) ont reçu moins de 15% (des votes), tandis que l’extrême droite, les Libéraux de Macron et les Verts ont réuni presque le 60% (des votes). En Italie, le centre gauche et le centre droite ont reçu approximativement le 31%, alors que les partis populistes ont obtenu le 58%.
En Grande Bretagne, les Conservateurs et les Travaillistes n’ont fait que 23,2% des votes, tandis que le parti du Brexit se place en première place, tout en assurant environ le 1/3 de l’ensemble des votes. En outre, il y a eu un renforcement remarquable des Libéraux et des Verts, qui sont en effet les forces en faveur du maintien du pays à l’UE.
Outre ces trois exemples, on doit citer également celui de l’Allemagne, pays considéré plus stable, où les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates sont tombés en dessous de 50% et les Verts sont en deuxième place avec un peu plus de 20%. Ici on constate une différence par rapport à la droite nationale populiste puisque l’AfD reste limité à 11%.
Enfin, si l’on examine les pays les plus grands et les plus importants en Europe, on constate que les partis politiques fondés sur la classe et les structures économiques des XIXe et XXe siècles ont cessé d’être au premier rang. Une majorité d’électeurs, du moins dans ces sociétés européennes plus développées, semblent s’intéresser à des thématiques différentes, telles que le changement climatique, l’identité et l’immigration. En revanche, le Centre-droite, les Socialistes, les Libéraux et les Verts sont tous en général pro-européens, même si ils ne parviennent pas à cacher leurs différences respectives.
Pourriez-vous dresser les enjeux et les défis qui attendent déjà le nouveau Parlement et la prochaine Commission européenne ? Ceux –ci concernent plutôt des questions politiques ou économiques ?
Pour ce qui est du Parlement européen, les sujets les plus importants sont la formation de nouveaux groupes politiques, le rôle que l’Hémicycle jouera pour l’approbation du nouveau président de la Commission et du Collège, et comment ces groupes vont travailler ensemble ou vont se confronter au cours de 5 difficiles années à venir pour l’UE. Quant a la Commission, celle-ci reçoit la tache de la conclusion du paquet Juncker pour le renforcement de l’économie européenne, la mise en œuvre, au moins d’une partie, des prévisions du Livre blanc de la Commission ainsi que l’Agenda des chefs d’Etats et de gouvernements pour l’évolution de l’UE, ainsi que la négociation avec les pays membres afin de se mettre d’accord sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Par conséquent, tant le Parlement européen, que la Commission et le Conseil doivent prendre des décisions cruciales sur le plan politique et économique qui constitueront des décisions “existentielles” …
Et ceci est dû au fait que l’UE des 27 doit gérer avec succès dans les 5 années à venir une situation complexe, d’un éventail qui va des concurrences rudes à des guerres commerciales, avec les États-Unis ou la Chine, mais aussi des phénomènes tels que la tendance à la baisse de l’économie internationale, de nouvelles pressions migratoires, des crises géopolitiques dans la région environnante, un déclin démographique important, la transition vers la 4ème révolution industrielle et la lutte pour le maintien du “modèle social” et du cadre de libertés qui caractérise la culture européenne.
La paralysie politique et la fragmentation constituent des luxes que l’UE sans doute ne sera plus à mesure de supporter. Force est de constater que certaines décisions cruciales ne peuvent plus attendre.
L’UE semble souvent être très éloignée de ses citoyens. Est-ce que ceci est lié à la structure compliquée de la bureaucratie européenne ou plutôt à d’autres raisons ?
Les institutions européennes sont complexes en raison de leur caractère supranational mais aussi de la taille de l’UE. De plus, pour des raisons géographiques, elles sont inévitablement encore plus éloignées par rapport aux citoyens.
Cependant, “complexité” et “distance” font partie, aussi, de la mythologie et des stéréotypes qui entourent l’UE et que des hommes politiques et journalistes reproduisent. La soi-disant « bureaucratie de Bruxelles » est structurée d’une manière rationnelle et est, en fait, plus efficace que l’administration de plusieurs États membres. Il existe plusieurs mécanismes à la disposition non seulement de groupes économiques et sociaux organisés, mais aussi de citoyens, afin qu’ils puissent entrer en contact avec les institutions communautaires à propos de sujets qui les intéressent. C’est le cas par excellence du Parlement européen.
Les institutions européennes devraient sans doute chercher davantage à faire parvenir aux citoyens européens la manière dont ceux-ci peuvent communiquer avec l’UE. En même temps, hommes politiques et médias qui critiquent la bureaucratie, la distance, etc. pourraient se pencher sur la dissémination de ces mécanismes. Enfin, les citoyens pourraient apprendre à utiliser les bases de données des institutions de l’UE, de la même manière dont ceux-ci utilisent l’internet, les médias sociaux, etc.
Quel est le rôle des médias nationaux dans le débat sur les questions européennes ?
Dans la plupart des pays, les médias nationaux n’incluent, qu’à un degré très limité, de dialogues, de discussions, de reportages, d’éditions spéciales, etc. à propos des questions européennes. Il existe un “consensus” que ces sujets ne “se vendent pas bien”. Ainsi, les médias nationaux consacrent la plus grande partie du temps destiné à la politique et d’affaires publiques à des questions nationales au sens strict du terme. En ce qui concerne les médias grecs, et surtout les médias radiotélévisés privés, cette tendance est encore plus accentuée. Par exemple, lors de ces dernières élections européennes, les discussions concernaient exclusivement des questions nationales. Cette position exacerbe l’introversion des sociétés, le manque d’information adéquate des citoyens pour tout ce qui se passe en Europe et, finalement, la persistance de cette soi-disant « distance » par rapport aux institutions européennes. Toutefois, il existe des moyens pour que l’information sur les questions européennes devienne plus attirante et presque aussi familière que celle qui concerne les questions nationales, mais ceux-ci sont rarement utilisés.
On parle souvent de la faiblesse politique du Parlement européen, question qui concerne aussi le choix des dirigeants européens tels que le nouveau Président de la Commission, maintenant en question. Où en est-on aujourd’hui, dix ans après le traité de Lisbonne, pour ce qui concerne le contrôle démocratique de l’UE ?
On doit préciser tout d’abord qu’il est difficile d’atteindre un plus grand contrôle démocratique dans le cadre actuel du fonctionnement de l’UE – qui est plutôt intergouvernemental – sans une transition vers des structures plus fédérales. Cela faisant, dans le contexte actuel de fonctionnement de l’UE, il faut souligner que: 1. Le Parlement Européen a déjà augmenté considérablement ses compétences avec le Traité de Lisbonne, du fait qu’il codécide avec le Conseil sur 85% des politiques communautaires. Ceci a désormais besoin d’une plus grande maturité politique pour qu’il puisse réclamer l’extension de ses compétences sur le 15% qui reste. 2. Il faut que les prévisions du Traité de Lisbonne sur la coopération du Parlement Européen et des autres institutions communautaires avec les Parlements nationaux soient implémentées plus effectivement. 3. Le Conseil doit – et peut – devenir plus transparent, au moins sur la partie des travaux qui concerne son œuvre législative, alors que le fonctionnement de l’Eurogroupe doit être normalisé. 4. Sans que son indépendance soit mise en cause, la BCE doit rendre compte d’une manière plus essentielle au Parlement Européen et coopérer plus étroitement avec la Commission, l’Eurogroupe, ainsi que le sommet des pays de la zone euro. 5. Les règles de fonctionnement des lobbies qui s’activent autour des institutions européennes doivent devenir plus strictes et transparentes et le code de conduite des officiels communautaires, tant durant leur mandat qu’après leur départ, doit être clarifié.