III.
L’Italie bouleversée par la mort tragique d’au moins quatre-vingt quatorze personnes qui se sont noyées lorsque leur embarcation a coulé avec environ cinq cents émigrants africains près de Lampedusa au large de la Sicile.
Parmi les victimes on compte un grand nombre de femmes et d’enfants.
Le cimetière et le centre de séjour provisoire dans l’île sont saturés.
Les journaux.*
Avec ces mots, avec cette langue,
de quelque mer qu’ils viennent,
mesurant le destin en mégots, comme un désir déjà parti en fumée ;
ce destin
– émigration retournée à ses barbelés ;
– Quels sont ceux qui sont arrivés des mers indivises
ou des ravins aux pierres de lune ?
– Quels sont ceux qui pour patrie ont trouvé une place
dans les oracles souterrains des morts ?
Comme les clés grandissent les portes
et les chasseurs désignent les embuscades,
comme la lumière déjoue dans les miroirs l’ondulation de son reflet,
et un fleuve sourd et muet trahit ses gués par des signes ;
– Quels sont ceux qui ont échangé leur ombre contre un papier coloré, contre un arcane,
où la Roue dressée cache au Fou les Pendus ?
[Même si une roue n’a jamais supporté la cartomancie de tant d’échafauds.]
Ceux qui ont tenu dans leurs mains à l’envers les aiguilles des vents, tournant en rond sans but ;
quelque part ailleurs, pour quelque part ailleurs,
quasi-marionnettes d’une géographie à la solde,
rampant dans le paradis, comme entre des villes fortifiées ;
quelque part ailleurs, pour quelque part ailleurs,
sans laisser derrière eux de traces
pas même un souffle de colère pour l’ironie sans réfraction des astres,
et avec l’avenir – l’avenir surtout–
qui demeure le symbole d’une dialectique, d’où chacun
soutire la faible image de sa vie.
L’avenir surtout
– tôt ou tard ici comme une absurdité
ou comme une esthétique de héros comiques ;
tôt ou tard partout
– un bruit dont on ne peut se garder avec une gueule de lion et une queue de dragon,
« exhalant la colère terrible d’un feu ardent ; »**
monstre sans surveillance.
Traduction : Janine Kaminsky dans Difficile, L’Harmattan, Paris, 2015 | Source
Peinture: Yiannis Adamakis, “Le port” (source: nikias.gr))
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