Dans l’exil de la langue
 
Heure au hasard. Place de hasard. Grèce hasardeuse. 
En tous cas dimanche,
quand on prie le temps pour qu’il s’apaise.
Sur les bancs, les uns assis, d’autres perchés.
Des Albanais.
Ils parlent fort à présent
retrouvant ce que dissimulait
apeuré le temps du silence.
Exilés dans leur propre langue.
Les gens du coin ne lui prêtent guère attention,
ne la distinguent même pas, si bien
qu’elle libère ses sons en force.
Dans la cabine on téléphone. Des Philippins. Sans doute.
Doublement exilés ceux-là
par la langue et la peau
ils contiennent leur voix
et traversent sans bruit nos regards immobiles.
Vain collectionneur d’événements,
tu te mets à écrire en silence,
sans papier ni crayon,
tu dis redis les phrases à ne pas perdre,
le rythme est fissuré
la mémoire bute.
Cette sentence lourde et sans origine :
«La patrie du poète, c’est sa langue»
te ronge et t’empoisonne l’esprit.
Mais quelle patrie ?
Des mots des mots toujours des mots.
Indigène du vide,
tu comptes, l’exil de la langue est double et triple
quand on l’écrit.
Rester dehors loin de ce que tu as désiré,
projeté avant de le livrer aux mots.
Dehors loin de ceux qui ne comprennent pas ta langue
nés sous d’autres soleils.
Dehors loin de tes compagnons de langue
qui traversent ton rabâchage indifférents.
Ma patrie est un exil.
Comme un amour qu’on cherche
uniquement pour le perdre.
 
Traduction: Michel Volkovitch
Peinture: Nonda Papadopoulos, Couple en bateau, 1968.
 
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