On connaît bien évidemment le sociologue Pierre Bourdieu. Mais il existe aussi le photographe Pierre Bourdieu. Une exposition de ses photos prises en Algérie, se présentera du 27 avril au 30 juin au Café de l’Institut français de Grèce (IFG) à Athènes. Adversaire résolu du colonialisme français et de l’oppression militaire, Pierre Bourdieu faisait de ses recherches une œuvre radicalement politique et engagée: il voulait témoigner de tout ce qu’il observait, voire comprendre un monde social déboussolé et traversé de contradictions et d’anachronismes.
Enfouies pendant quatre décennies dans des cartons, ces photos témoignent d’un voyage initiatique et d’une conversion biographique profonde se trouvant à l’origine d’une trajectoire scientifique et intellectuelle extraordinaire. Se sentant totalement démuni face à ce laboratoire social immense et en état de guerre, faisant du terrain une véritable aventure, il s’est jeté inévitablement dans le travail, a expérimenté et utilisé toutes les techniques de recherche ethnologique et sociologique possibles. Présentée pour la première fois par le Jeu de Paume au Château de Tours en 2012, l’exposition des photographies de Pierre Bourdieu prises en Algérie de 1958 à 1961, est l’occasion unique de découvrir son œuvre photographique dans le contexte de son travail sociologique. Plus d’un demi-siècle est passé et aujourd’hui encore les photographies prises par Pierre Bourdieu pendant ses recherches ethnologiques et sociologiques en Algérie au moment même de la guerre de libération nous permettent de partager son regard sur le monde social sous un autre angle.
Photos ©Pierre Bourdieu/Fondation Pierre Bourdieu Saint-Gall, Courtesy:Camera Graz
On lit dans le communiqué de presse de l’IFG que la présentation de ses photos aujourd’hui à Athènes, dans un lieu touché profondément par une précarisation des conditions d’existence, vise à faire voir que la « misère du monde » se lit dans les faciès des hommes et des femmes et reflète une condition humaine profonde par-delà des contextes spatiaux et temporels. L’objet des photos et leurs messages sociologiques, les effets d’une crise à la fois économique, sociale et culturelle et les symptômes de pathologie sociale les accompagnants, dépassent de loin le contexte historique et ethnographique spécifique dans lequel Bourdieu les a prises.
La photographie comme “une façon d’essayer d’affronter le choc d’une réalité écrasante.”
D’abord appelé du contingent en 1955, Pierre Bourdieu (1930-2002) séjourne une deuxième fois en Algérie, où il enseigne à la Faculté des lettres d’Alger, de 1958 à 1961. C’est dans ce pays secoué par la guerre que s’affirme la vocation de ce jeune philosophe pour la sociologie, et qu’il utilise la photographie comme support à ses recherches. Mobilisant ses étudiants, il se lance dans des enquêtes dont l’objet central est la violente transformation du monde rural et du monde urbain en Algérie. Il veut comprendre le fait colonial et les effets des terribles regroupements de populations que le pouvoir français a opérés. Entouré d’un groupe d’étudiants enthousiastes, parmi lesquels Abdelmalek Sayad qui lui fait office d’interprète et de conseiller, il multiplie les observations, les entretiens, les photos et investigue bien souvent dans des conditions périlleuses. Dès ces années, il écrit une série de textes de synthèse déjà très construits et en écrira d’autres à son retour en France.
La photographie est pour lui, dans ces moments d’urgence et de prise de risque permanents, “une façon d’essayer d’affronter le choc d’une réalité écrasante.” Elle offre à Pierre Bourdieu une formidable conversion du regard et ses images ajoutent une facette essentielle à ses études ethnographiques et sociologiques. Elles sont aussi, par leur valeur documentaire, une source d’information sur la société algérienne et un moyen de compréhension de nos histoires communes. La beauté de ses photographies tient dans la force de leurs cadrages et dans l’attention particulière que Bourdieu porte à ce pays, à ces hommes et ces femmes qu’il voulait réhabiliter dans ses images.
Voir le “portrait filmé” de l’exposition au Château de Tours du 16 juin au 04 novembre 2012
Dans le cadre de l’exposition, une table ronde se tiendra jeudi 27 avril à 18h00 à l’ Auditorium Theo Angelopoulos au titre (IFG) « Une sociologie visuelle des économies de la misère » avec la participation de Franz Schultheis, professeur de sociologie à l’université de Saint Gall, président de la Fondation Bourdieu, Christine Frisinghelli, conservatrice des archives photographiques Pierre Bourdieu à Camera Austria International, Tassadit Yacine, directrice de recherche, EHESS, Georges Nikolakakis, professeur d’anthropologie à l’université de Crète, Iraklis Papaioannou, directeur du musée de la Photographie à Thessalonique et de Nikos Panayotopoulos, professeur de sociologie à l’université d’Athènes et vice-président de la fondation Bourdieu.
Info pratique: du 27 avril au 30 juin au Café de l’Institut français de Grèce à Athènes.Vernissage: le jeudi 27 avril à 20h00. L’exposition sera ensuite présentée à Thessalonique.