Pionnière intellectuelle et littéraire, la seule femme grecque nominée pour le prix Nobel de littérature (1956), Melpo Axioti a vécu en France et ailleurs en tant que réfugiée politique. GreceHebdo.gr rend hommage à cette figure non conventionnelle de la littérature grecque.
Romancière, poétesse et traductrice, fille du compositeur Georgios Axiotis et de l’aristocrate Kalliopi Vavaris, Melpo Axioti (15 juillet 1905 – 22 mai 1973) a grandi à Mykonos (sans mère) et a étudié à l’école française des Ursulines de Tinos. Après un court mariage avec son professeur de théologie Vassilis Markaris, elle se rend à Athènes en 1930, où elle fait bientôt ses débuts avec des nouvelles dans la revue Mykoniatika Chronika. Son premier roman, Dyskoles Nychtes (Les nuits difficiles) (1938), introduit un style moderniste dans la littérature grecque et reçoit 1er Prix de l’Association des Femmes des Lettres et des Arts.
Cette œuvre, écrit par une femme, issue d’un milieu aisé, militante de gauche et du mouvement féministe, fut scandale et propulsa son auteur en pleine lumière. Composé en quatre parties, chacune se déroulant dans un lieu et un milieu différent, avec de nouveaux personnages, Nuits difficiles est un roman nourri de souvenirs autobiographiques. Axioti rejette les modes conventionnels de narration, privilégiant l’énonciation spontanée de la parole, créant des formes incohérentes et elliptiques, des slogans. Dans la même lignée, elle écrit deux autres livres, le recueil de poèmes Symptosi /Coïncidence (1938) et la nouvelle Thelete na chorepsume, Maria? /Voulez-vous danser, Marie ?, (1940) : œuvres qui obligent la critique à parler d’une technique de composition surréaliste. [Mario Vitti, Histoire de la littérature grecque moderne, Odysseas, Athènes 2003]
Α gauche: La couverture du XXe siècle et une note par Melpo Axioti (1946) et à droite: Melpo Axioti, buste en bois par Memos Makris, 1946, source: archaologia.gr
L’Occupation, la France et la renommée internationale
Inscrite dès 1936 au parti communiste et engagée dans les rangs de l’EAM pendant l‘Occupation de la Grèce par les forces de l’Axe, après les Dekemvriana, elle publie Réponse à 5 questions l’un des premiers ouvrages publiés portant sur les événements de décembre 1944. Elle est licenciée de la Banque agricole où elle travaillait et en 1947, après le déclenchement de la guerre civile grecque, elle s’exile en France d’où commence sa reconnaissance européenne.
Son roman Eikostos Aionas/ XXe siècle écrit en 1946 est traduit par Jean Darlet, et publie aux éditions de La Bibliothèque Française en 1949. Le livre, qui traite la résistance des femmes grecques au fascisme, est par la suite traduit en d’autres langues européennes en lui offrant une renommée internationale. Parallèlement, Axioti gagne l’amitié et l’estime des intellectuels européens tels que Louis Aragon, Paul Eluard et Pablo Picasso, Pablo Neruda et autres. Stratis Tsirkas raconte dans une lettre d’avril 1949 comme elle a été fêtée à l’occasion du 1er Congrès pour la Paix, où elle représente la Grèce : « En deux mots Axioti est aujourd’hui un écrivain reconnu à l’étranger. Grâce au succès de son livre, la Grèce démocratique a enfin touché les intellectuels français, elle parle maintenant à leur cœur […]» [source : Lizzie Tsirimokou, La Muse militante : Aragon et les Grecs (1945-1975), dans Le double voyage : Paris-Athènes (1945‐1975) Sous la direction de Lucile Arnoux-Farnoux, École française d’Athènes. 2023]
Durant ce printemps 1949, Axioti collabore avec Éluard pour la traduction en français de poèmes de K. Giannopoulos, exécuté en 1948, et de F. Asteris, détenu à la prison d’Égine. Ces traductions sont intégrées au recueil d’Éluard, Grèce, ma rose de raison (1949) tandis qu’ en 1950 elle publie avec Henri Bassis l’anthologie Chansons de Grèce et de toujours.
Grèce, ma rose de raison (1949).
Durant cette période Axioti écrit directement en français le roman République-Bastille qui suit largement, son parcours lorsqu’elle arrive à Paris : son étonnement pour l’architecture et le mode de vie, ses expériences et ses amours, sans oublier le souvenir douloureux de la situation de son pays.
“Votre roman, madame, c’est un cadeau que vous faites à ma patrie, et je suis heureux d’être le premier à pouvoir vous en dire merci” [Louis Aragon à Melpo Axioti, à la réception de République-Bastille, source : Babelio].
Voici un extrait du livre, qu’il ne sera cependant pas publié du vivant de l’auteure :
“Tous les comptoirs étaient fermés, le monde aujourd’hui n’aurait pas soif. Le ciel avait donné l’ordre au soleil de briller, c’était peut-être les premiers rayons de l’année, et les maisons, qui n’aimaient pas cela se couvraient le visage d’une mantille.” [extrait, République-Bastille, 1948]
Peu après, Axioti sera déportée vers la République démocratique allemande où elle réside jusqu’en 1952 quand elle s’installe à Varsovie, à Sofia et puis à Berlin (1957). Ayant vécu toute sa vie dans des chambres d’hôtel et dans les maisons d’amis ce n’est qu’en 1964 qu’elle reçoit un permis pour retourner en Grèce ou elle meurt en 1973.
République-Bastille, 2018, éd. Cambourakis, et Melpo Axioti, Athènes vers 1970, source: LIFO.
Outre ses ouvrages majeurs, le recueil de poésie Kontrabando (1959), ainsi que les recueils de nouvelles Mon île (1965) et Kadmo (1972), la classent parmi les plus grands prosateurs de la génération des années 1930, nominée pour le prix Nobel de littérature en 1956.
Correspondance entre Melpo Αxioti et son ami Yiannis Ritsos. Source : https://digital.lib.auth.gr/
* Photo d’introduction: Melpo Axioti vers 1970 (detail). Source: LIFO/Wikimedia Commons
Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr
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M.V.
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