Mary Paraskeva – Source : Source : www.stathatos.net

La version dominante de l’histoire de la photographie grecque est basée sur l’étude des photographes professionnels. Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, il existe également un certain nombre d’amateurs talentueux de la bourgeoisie et de la classe moyenne supérieure dont l’œuvre est encore peu connu.

Tel est le cas de Mary Paraskeva, née à Mykonos en 1882, fille de Nikolaos Gryparis, propriétaire d’une grande entreprise céréalière à Odessa, une ville cosmopolite de la mer Noire qui comptait à l’époque une importante population grecque. Paraskeva a grandi à Baranovka, un domaine familial de 120 000 acres situé dans la Crimée, où la famille Gryparis vivait. Baranovka qui était presque une province entière, comprenait, outre des villages, des terres de l’agriculture et des milliers d’hectares de forêt en exploitation, un manoir incorporant la tour de Maria Walefska, la maîtresse polonaise de Napoléon, et la fameuse fabrique de porcelaine du même nom à l’époque.

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Il est incertain comment la fille de Gryparis a appris la photographie, mais elle devait être relativement jeune, probablement avant ses 20 ans. D’après les souvenirs de sa famille, c’est son frère aîné, George Gryparis, qui lui a appris à se servir de l’appareil photo. Elle passe son enfance et son adolescence dans les propriétés de son père, devenu millionnaire, aussi président de la communauté grecque de Sébastopol exerçant les fonctions de consul de Grèce et de France. 

En 1903, Mary épouse son mari Nikos Paraskevas, beaucoup plus âgé qu’elle, un ingénieur civil établi à Alexandrie, avec lequel elle part pour l’Égypte au bout de quelque temps. Elle y fréquente la société grecque et européenne et y rencontre sa future grande amie Argini Salvagou, sœur cadette de Penelope Delta, la fameuse écrivaine grecque.

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Il semble que Paraskeva ait été une personnalité hors du commun et excentrique. Delta, qui ne l’aimera jamais, écrit dans ses Souvenirs : « Cet hiver-là, j’ai rencontré la « sorcière », la jeune mariée Mary Paraskeva. Elle a lu mes lignes de la main et m’a dit que je traversais une crise mentale… ». Elle ajoute : « Ses yeux sont sombres. Ils ne rient jamais ». En effet, presque aucune des nombreuses photos de Paraskeva ne la montre en train de rire – tout au plus un léger sourire.

Plusieurs fois après son mariage, elle retourne à Baranovka pour des séjours prolongés, les deux derniers en 1910 et 1914. Elle y adopte une tenue excentrique pour l’époque et suffisamment dramatique : une longue robe noire, un chemisier noir, un châle noir et un foulard noir noué sur la tête, dont les franges retombent sur le front. Elle ressemble, sur les photos prises par Argini Salvagou, à une tzigane raffinée, diseuse de bonne aventure.

Peter et Jean Gryparis au bord d’un lac, Baranovka, 1905-1910 – Source : www.stathatos.net

La Grande Guerre rompt l’idylle de Baranofka. En 1916, Paraskeva et la plupart des membres de la famille Gryparis quittent le domaine pour Odessa, avant de se réfugier à Alexandrie, puisque la révolution bolchevique de 1917 mettait fin à l’ancien système social et économique de l’Ukraine.

Paraskeva mène alors une vie cosmopolite à Alexandrie et à Athènes, avec de fréquents voyages vers des destinations européennes populaires telles que Paris et Venise. Cette deuxième période de la vie de Mary Paraskeva s’achève brutalement par deux coups durs : la dépression internationale des années 1930 entraîne la faillite de Nikos Paraskeva, qui avait investi toute sa fortune dans la construction, et son décès en 1931. En 1932, Mary Paraskeva se retire à Mykonos, sa ville natale, où elle vivra jusqu’à sa mort en 1951. Personnage populaire et familier, ses concitoyens se souviennent encore d’elle pour ses œuvres caritatives, notamment pendant l’Occupation Allemande.

Sur les rives du Nil, 1903 ou 1912 – Source : www.stathatos.net

L’œuvre de Paraskeva se présente sous la forme d’un grand nombre d’hyalotypes, c’est-à-dire de plaques stéréoscopiques positives en verre, ainsi que d’un petit nombre de plaques positives et de quelques négatifs en verre. Ses archives ont été récemment données par son neveu, Petros Gryparis, aux archives photographiques du musée Benaki.

Mykonos, 1905

Les photographies de Mary Paraskeva ne sont pas particulièrement originales. En général, ses compétences techniques étaient limitées, peut-être parce qu’elle était essentiellement une autodidacte. En outre, il est évident qu’elle ne s’est pas tenue au courant de l’évolution du médium et qu’elle est restée fidèle au matériel du siècle dernier. Selon toute vraisemblance, si elle était certainement intéressée par les résultats de ses photographies, elle ne s’intéressait guère au médium lui-même.

Mykonos, 1905

Néanmoins, ses photographies font d’elle la première photographe grecque à avoir mené à bien un projet personnel à long terme. Elles comprennent des clichés de Grèce, d’Égypte, de France, de France, de Suisse et d’Italie, ainsi que de nombreuses images de bord de mer. Plus importante encore est la documentation sur la vie en Crimée avant la révolution, les scènes de son environnement familial et la vie à la campagne et en ville. Les plus précieuses rappellent le lyrisme et l’enthousiasme juvénile des photographies de famille de Jacques Lartigue.

Sources

Yannis Stathatos : Mary Paraskeva (1882-1951)
Nikos Vatopoulos : La première photographe grecque (Journal “Kathimerini”, en grec, 7.9.2016)

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