Le domaine des études néo-helléniques (ou grecques modernes) est un champ académique complexe et dynamique, comprenant l’étude et l’enseignement de la langue, de la littérature, mais aussi, dans certains cas, de l’histoire et de la politique grecque moderne (Mirambel 1967, Constantinides 2006); ce domaine s’est graduellement distingué des études classiques et byzantines, bien qu’il soit encore étroitement lié à ces domaines académiques beaucoup plus reconnus dans un grand nombre de pays et d’institutions universitaires (par exemple, dans les universités américaines, Kitroeff 2006). De même, la relation entre le domaine d’études néo-helléniques et le domaine classique ou byzantin n’est pas exempté d’enjeux épistémologiques et contentieux politiques (Kitroeff 2006, Mirambel 1967, Psichari 1907).
Une institutionnalisation graduelle
Les études néo-helléniques affichent une présence particulière en France, qui peut être rapportée aux débuts du 19ème siècle et aux premiers efforts pour l’introduction de l’enseignement du grec moderne dans le système universitaire de l’époque, quelques décennies avant la création de l’État grec. L’helléniste Ansse de Villoison figure comme le premier enseignant de littérature et de langue grecque moderne dans l’École des Langues Orientales (précurseur de l’institution qui formera l’INALCO contemporain) en 1799 puis, brièvement, au Collège de France, jusqu’à sa mort en 1805 (Psichari 1907, Joret 1908, 1909). Le cas de de Villoison est indicatif du statut précaire que détenait à l’époque l’enseignement du grec moderne – du fait que son argumentation auprès des autorités françaises en faveur de la création d’une position d’enseignement de grec moderne relevait plutôt d’une démarche personnelle (nécessité de survivre suite à une faillite) que d’une démarche académique (Joret 1909). En tout cas, Jean Psichari suggérera que l’institution de ces cours coïncidait avec l’essor du philhellénisme en France ainsi qu’avec un premier projet politique d’une République Grecque « dans la tête du général Bonaparte » (1907). De plus, Psichari remarque que de Villoison combinait une excellente connaissance du grec moderne avec l’érudition en grec ancien classique (1907). Suivant la mort de de Villoison, les cours de grec moderne ne furent rétablis à l’École des Langues Orientales qu’en 1815 par Hase et, plus tard, Brunet de Presle, tous deux en provenance du domaine post-classique (Joret 1909, Psichari 1907). À noter que le contenu linguistique du « grec moderne » à l’époque relevait de plusieurs définitions qui reflétaient les enjeux académiques – et plus tard politiques – entourant la question linguistique grecque (γλωσσικό ζήτημα) jusqu’au 20ème siècle.
En tout cas, il est fort probable que l’intérêt académique et politique autour de la Grèce moderne a graduellement augmenté au fur et à mesure que l’État grec s’est avéré une entité géopolitique durable. De même, les études néo-helléniques ont bénéficié de la création de l’École Française d’Athènes en 1846, qui, de fait, s’est constituée en tant que point de référence pour la future recherche sur tout ce qui relevait de la Grèce – antique, byzantine, mais aussi moderne (Psichari 1907, Karagiannis 1996). Les études de grec moderne ont aussi connu un essor considérable grâce à la création de l’Association pour l’encouragement des études grecques en France en 1867. Cependant, ce n’est qu’en 1885 que le grec moderne a commencé à être enseigné en dehors de l’École des Langues Orientales vivantes, avec la création d’un enseignement de philologie byzantine et néo-grecque à l’École Pratique des Hautes Études – jusqu’en 1928 (Mirambel 1967). L’enseignement du grec moderne à la Sorbonne aura lieu pour la première fois en 1912, sous la forme d’une Charge de Cours. S’ensuivra en 1919 la création d’un Institut Néohellénique suite à la collaboration du gouvernement grec et de l’Université de Paris (Mirambel 1947) ; une chaire magistrale de grec moderne sera créée plus tard, de 1930 jusqu’à 1938, tandis que des postes et des programmes académiques néo-helléniques seront graduellement créés dans des facultés de province tout au long de la période de l’après-guerre (Mirambel 1967). De plus, en 1989 fut créée la Société française des études néohelléniques (SEN).
Une multitude d’institutions aujourd’hui
Plus récemment, le Département d’études néo-helléniques de l’Université de Strasbourg a dressé à la base de questionnaires un inventaire des études néo-helléniques en France et en Suisse (2015), qui peut nous aider à parcourir en premier lieu les contours des études néo-helléniques aujourd’hui. Ainsi, en France, à part la section de Grec Moderne de l’INALCO et l’UFR de Grec et l’Institut Néohellénique de la Sorbonne (Paris IV) susmentionnés, on notait aussi, entre autres, la présence d’enseignements de langue ou de culture grecque moderne à l’Université Aix-Marseille, l’Université Bordeaux-Montaigne, l’Université Charles de Gaulle – Lille 3, l’Université Jean Moulin-Lyon III, l’Université Paul Valéry-Montpellier 3, l’Université Paris – Ouest Nanterre La Défense, l’EHESS, l’École Normale Supérieure, l’Université de Strasbourg et l’Université de Toulouse II – Jean Jaurès. À souligner aussi l’organisation depuis 1989 des Congrès des Néo-hellénistes des universités francophones, dont le prochain aura lieu le 24 et 25 septembre 2020 à Strasbourg.
Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr
D. G.