Musée Gaitis – Simossi, Crédit photo: Dimitris Foutris

Un musée particulier, dédié aux œuvres du peintre Yannis Gaitis (1923-1984) et de la sculptrice Gabriella Simossi (1926-1999) vient d’être inauguré à Ios dans les Cyclades, reflétant l’amour des deux artistes pour l’île. Doté d’éléments architecturaux rares, le musée domine le paysage de l’île dans une position proéminente au-dessus de Chora et à proximité du théâtre Odysseas Elytis. Les bâtiments du musée ont été conçus par l’architecte Jacques Charrat et l’architecte-muséologue Loretta Gaitis, fille de Gaitis et Simossi, qui a également réalisé l’étude muséologique.

L’exposition permanente se déploie dans deux bâtiments principaux. Le « bâtiment Gaiti » présente des œuvres de la première période de création de l’artiste, qui est l’un des plus grands artistes modernes grecs, ainsi que des peintures, des installations et des constructions autour de ses fameux « bonhommes » qui dominent majestueusement l’espace.  A noter que l’architecture du bâtiment s’inspire de ces figures emblématiques : la courbure du plafond de la nef reprend le dessin des chapeaux, la porte d’accès reprend celui d’une tête vue de face.

Musée Gaitis – Simossi, Crédit photo: Dimitris Foutris

Le « bâtiment Simossi » présente une dizaine de grandes sculptures en résine blanche posées sur leurs socles. Force est de constater que Simossi aimait beaucoup le blanc : Les sculptures sont blanches, les murs chaulés et le marbre blanc court sur le sol et les socles. Des sculptures de périodes plus anciennes ainsi que des collages aux forts éléments surréalistes complètent la collection permanente.

Y. Gaitis – Vue d’installation au musée – Crédits photo: Dimitris Foutris

Bien que Gaitis soit issue de l’île de Tinos, sa vie et son œuvre ont été liées à Ios ayant découvert cette petite île cycladique dans les années 1960 à l’occasion d’un voyage avec son ami, écrivain et documentariste, Jean-Marie Drot. Tous les deux ont aimé l’endroit et ont décidé de « passer un pacte avec l’île et de prendre racine dans ce sol rocailleux ». Très vite, en 1964, Gaïtis conçoit et dirige la construction de la maison de Jean-Marie Drot à Ios, pendant que son épouse Gabriella construit des sculptures imposantes, à l’extérieur sur les terrasses face à la mer, et aussi à l’intérieur de la maison.

G. Simossi – Vue d’installation au musée – Crédits photo: Dimitris Foutris ©Gaïtis – Simossi Museum, all rights reserved

Quelques années plus tard, Yannis Gaïtis commence la construction de sa propre maison, de l’autre côté de la petite anse. Les deux maisons sont face à face, inscrivant dans ce site admirable une éternelle complicité.

Né à Athènes en 1923 Yannis Gaitis a étudié à l’École des Beaux-Arts d’Athènes auprès de Konstantinos Parthenis de 1942 à 1948. Pourtant, il fréquente peu l’École considérant que l’enseignement pratiqué neutralise plus qu’il ne libère les forces créatrices de l’artiste. En 1944, il a tenu sa première exposition personnelle dans son atelier qui se trouvait dans sa maison. Depuis lors, son atelier est devenu un lieu de rencontre pour des personnalités du domaine des arts et de la littérature telles que Miltos Sachtouris, Yannis Tsarouchis, Minos Argyrakis et Odysseas Elytis.

Y. Gaitis – Aphrodite, 1948 – Source de photo: musée Gaitis – Simossi

En 1947, il a exposé à la Société Littéraire Parnassos à Athènes avec 34 peintures représentant des éléments cubistes et surréalistes faisant scandale. En 1949 il a fondé avec Alecos Condopoulos le groupe d’artistes Akraioi [Les Extrêmes] qui réunit autour d’eux les artistes Yannis Maltezos, Dimitris Chytiris et Lazaros Laméras. Le journal O Aionas mas (Notre Siècle) publie en novembre le manifeste du mouvement. Il s’agit de l’expression radicale d’un refus du réalisme et des tendances figuratives.

En 1954, il déménage à Paris avec son épouse, la sculptrice Gabriella Simossi qu’il l’avait rencontrée à l’École des Beaux-Arts. Gaïtis étudie les nouveaux courants et visite les musées et les galeries. Il se lance dans l’abstraction, sous l’influence de personnalités comme Fautrier, Mathieu, Hartung, Soulages et Manessier. Il peint sans cesse, cherchant à absorber et à dépasser les nouvelles influences qu’il découvre à Paris. Comme il aimait le dire « En Grèce, j’avais vingt ans d’avance, ici j’ai vingt ans de retard ».

Y. Gaitis – Feuillage, 1959 – Source de photo: musée Gaitis – Simossi

Les années suivantes Gaitis participe à des expositions personnelles ou collectives, présentées presque partout dans le monde et notamment à Paris, à Bruxelles, à Prague, à Genève, à Zürich, à Athènes, à Rome, à Venise, à Milan, à Belgrade, à Skopje à Chicago, San Diego, à New York, à Los Angeles, à San Francisco, à Rio de Janeiro, à São Paulo et al.

Y. Gaitis – Source de photo: musée Gaitis – Simossi

En 1960 il présente ses œuvres dans le film « Pourquoi Paris en 1960 ? » de Jean-Marie Drot qui souhaitait raconter les raisons pour lesquels les artistes étrangers ont choisi Paris. Dans ce film le sculpteur grec Takis a également figuré parmi d’autres artistes étrangers.

Gaitis pratique ce qu’il convient d’appeler des « démonstrations ou performances ». Il utilise son corps ; il peint avec ses paumes et ses doigts souvent à même le sol. Il travaille spontanément, acceptant les désirs de chacun dans un acte qui tient autant du jeu que du plaisir de peindre.

Yannis Gaitis, Gabriella Simossi et leur fille Loretta, Source de photo: musée Gaitis-Simossi

En 1967, ses créations clairement politisées s’opposaient ouvertement à la dictature des colonels en Grèce, telles que l’œuvre Tiens!, Le Meurtre de la Liberté et Les Soldats, où un groupe de soldats tirait sur une colombe. Au cours de la même période, il a passé du temps au Brésil et a présenté ses nouvelles œuvres dans une galerie et à la Biennale de São Paulo.

1968 a été une année charnière pour sa carrière, car il a introduit « le petit homme », ou « bonhomme » l’élément le plus représentatif de sa pratique, une figure impersonnelle, parfois solitaire et parfois répétitive, généralement représentée de profil. Il l’a présentée sur des scènes de cirque, des défilés, des foires, des événements sociaux, des parcs d’attractions et des places, ainsi que sur des images faisant référence à l’homogénéisation, à la consommation de masse et aux phénomènes sociaux d’isolement.

Source de photo: musée Gaitis-Simossi

Après la chute de la dictature en 1974, Gaïtis quitte Paris et revient s’installer définitivement en Grèce. Les années suivantes le nombre de ses expositions ne cesse de grandir. Il organise des expositions personnelles mais il participe aussi à des expositions collectives, en Grèce et à l’étranger.

Y. Gaitis – Le cirque, 1967, Collection Annie Costopoulou – Source de photo: musée Gaitis-Simossi

Yannis Gaitis se définit lui-même comme un « artiste populaire ». C’est pourquoi il place souvent ses petits bonhommes dans la rue en organisant des démonstrations » (ou happenings), ce qui a permis d’établir un contact direct avec le public. Outre son activité artistique, Gaitis a conçu également des décors, a créé des jouets, des meubles, des assiettes et des textiles en cherchant à toucher un public plus large, tandis que des créateurs de mode ont reproduit son travail dans leurs créations. Il est mort le 22 juillet 1984, quelques jours après l’inauguration d’une exposition rétrospective de son œuvre à la Pinacothèque nationale d’Athènes.

Gabriella Simossi en 1966 © Loretta Gaitis

Gabriella Simossi naît le 1er août 1926 à Pyrgos dans le Péloponnèse mais elle grandit à Athènes. À l’âge de 12 ans, elle réalise sa première sculpture et en 1945, elle commence ses études à l’École des Beaux-Arts d’Athènes dans l’atelier de Michalis Tombros où elle rencontre Yannis Gaïtis. En 1949 elle fait partie du groupe « Akraioi » (Extrêmes), le premier groupe artistique grec de l’après-guerre qui choisit d’embrasser les tendances contemporaines, avec Yannis Gaïtis, Alekos Contopoulos, Achilleas Apergis, Yannis Maltezos, Dimitris Chytiris, Kaiti Antypas et Lazaros Lameras.

G. Simossi – Hermès, 1974 – Crédits photo Dimitris Foutris ©Gaïtis – Simossi Museum, all rights reserved

Simossi reçoit de l’État grec une bourse d’études pour l’étranger, et avec son mari Yannis Gaitis, s’installent à Paris en 1954. L’année suivante elle suit des cours à l’École des Arts décoratifs, et à l’Académie de la Grande Chaumière avec le sculpteur Ossip Zadkine. En 1955 elle participe au Salon d’Automne au Grand Palais, et au Salon de la Jeune Sculpture au Musée Rodin; elle y exposera de façon systématique jusqu’en 1972.

En 1962 elle co-fonde avec Yannis Gaïtis, Michel Vafiadis, Jason Molfessis, Yannis Maltezos, Georges Touyas le groupe « Kendra » (Centres) qui expose à Athènes à la galerie Néès Morphès en 1963 et 1964, et à la Galerie A à Paris en 1964.

En 1964 Simossi commence à sculpter des œuvres pour la maison de Jean-Marie Drot dans l’île d’Ios. Elle sculpte Midi et l’année suivante elle sculpte Le Pégase et Le Guerrier.

G. Simossi – Le Pégase, 1965 © Loretta Gaitis

Dans les années suivantes Simossi continue à exposer ses œuvres en France mais aussi en Yougoslavie, aux États- Unis, en Pologne, en Italie, en Suède, en Hongrie. Au cours des années Simossi lisse et adoucit les surfaces des sculptures. Son utilisation du fragment s’accentue, les parties anatomiques du corps humain sont présentées découpées, et isolées. Comme elle a dit dans une de ses interviews « Mon matériel est constitué de mes souvenirs. Il provient de la capacité de ma mémoire à se souvenir de la forme d’un genou humain, par exemple, ou d’un genou de cheval ou d’un genou d’oiseau. Dans ce matériau issu de la mémoire, il reste à l’intervention esthétique de l’artiste de le former, de le fabriquer, de lui donner du mouvement, de la vie. Mon travail est constitué de souvenirs visuels. De l’école, de l’enfance. La joie de tenir ce matériau de souvenirs, de le travailler et d’en faire de l’art. Cela me remplit d’émotion et me donne la force de continuer à travailler ».

Gabriella Simossi © Loretta Gaitis

Après la fin de la dictature des colonels en 1974 Yannis Gaïtis se réinstalle définitivement en Grèce, alors que Simossi reste à Paris. Séparés, Yannis et Gabriella resteront néanmoins soudés et solidaires entourant leur fille unique Loretta.

Simossi commence à réaliser des œuvres sur papier, des collages photographiques. L’association insolite d’images soigneusement découpées produit des représentations énigmatiques et poétiques. Des tirages de ses collages photographiques sont exposés au Centre Georges Pompidou, alors que ses œuvres continuent à être exposées en France, en Grèce et ailleurs. En 1992, Jack Lang, ministre de la Culture, la nomme Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

Gabriella Simossi © Loretta Gaitis

Gabriella Simossi décède le 27 mai 1999 deux mois avant le vernissage de sa grande Exposition rétrospective au couvent des Cordeliers, à Paris.

***  Le Musée Gaitis-Simossi, dédié aux œuvres du peintre Yannis Gaitis et de la sculptrice Gabriella Simossi, est le résultat des efforts de la fille des artistes, Loretta Gaitis, pour créer un musée qui abritera les œuvres de ses parents. La construction du musée a débuté en 2007 grâce à un financement de l’Union européenne via le ministère de la Culture. Le projet s’est arrêté pour diverses raisons, puis a repris son cours. Grâce au soutien indéfectible de la municipalité d’Ios, de ses Maires Georges Pousséos, Michalis Petropoulos, et Gykas Gykas, et du Conseil Municipal, le rêve le plus cher de Loretta Gaitis devint réalité, puisqu’en 2009 le bâtiment sortit de terre, avec l’aide du Ministère de la Culture. Le musée se souhaite et se projette comme un organisme vivant. Dans ce sens, une salle d’expositions temporaires est prévue. Les expositions et manifestations temporaires permettront d’apporter le sang neuf indispensable à cette ambition.
Le Musée Gaitis-Simossi a été inauguré en Septembre 2024.***

Pour plus d`infos sur le Musée :
ΜΟΥΣΕΙΟ ΓΑΪΤΗ ΣΙΜΩΣΙ – Μουσείο Γαΐτη Σίμωσι (gaitis-simossi-museum.org)

Contenu et photos fournis par le Musée Gaitis-Simossi

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