Une grande exposition voit le jour à Thessalonique consacrée à la vie tragique et à l’œuvre marquante de Yanoulis Halepas (1851-1938), l’éminent sculpteur grec issu de l’île de Tinos. Allant des ateliers de marbre de son île à l’Académie royale des beaux-arts de Munich, et d’Athènes jusqu’à l’Hôpital Psychiatrique de Corfou, l’exposition co-organisée par Teloglion et la Fondation Onassis, présente au public pour la première fois, l’ensemble de l’œuvre de Halepas en mettant l’accent sur les «livres de comptes» et ses dessins, qui donnent un aperçu de la singularité de leur créateur. Déchirement intérieur, maladie mentale, “réveil” et enfin reprise de sa pratique artistique, sont des aspects principaux de la vie de Halepas mis en lumière par l’ exposition.
Cette exposition majeure (du 8 février au 5 juin 2022) présente un grand éventail des œuvres de l’artiste, ainsi que des rares photographies d’archives qui dévoilent la vie de l’artiste entre Tinos, Munich et Athènes, provenant principalement de la collection du neveu de Halepas, Vassilios, et de sa nièce, Irini, qui l’ont accueilli dans leur maison à Athènes entre 1930- 1938. Au total, plus de 150 œuvres sont exposées (sculptures, dessins et livres), issues des trois périodes de la production artistique de Halepas (Tinos et Munich, 1870-1878, Tinos, 1902-1930, Athènes, 1930-1938).
Yannoulis Halepas: la vie tourmentée d’un génie
Yannoulis Halepas est né le 24 août 1851 à Pyrgos, sur l’île de Tinos. Sa famille αppartenait à la tradition des artisans du marbre, dans la mesure où son oncle et son père, Ioannis Ηalepas (1834-1900), décoraient des églises et construisaient des monuments funéraires. Le talent de Yannoulis s’est exprimé très tôt, mais dès qu’il a terminé le lycée, son père l’a envoyé à Syros, pour travailler chez un marchand. Au terme d’intenses disputes, sa famille s’installe à Athènes en 1869. Yannoulis s’inscrit à l’École des Arts et étudie auprès du superbe sculpteur de style néoclassique Leonidas Drosis jusqu’en 1872. Son talent exceptionnel lui permet de terminer l’École en moins de temps, tandis qu’il gagne tous les prix offerts par des différents concours.
En 1873, grâce à une bourse de la Fondation de la Sainte Evangelistria de Tinos, il se rend à Munich et y poursuit ses études à l’Académie sous la direction de Max von Widnmann. Les distinctions et les prix qui lui sont accordés, montrent qu’il est destiné à une brillante carrière. Mais en 1875, pour des raisons inconnues et malgré les efforts de ses professeurs, sa bourse est coupée et il est contraint de retourner définitivement à Athènes où il inaugure son propre atelier. Au cours de cette période, il réalise deux œuvres marquantes de la première période de sa carrière artistique : Satyre jouant avec Eros (1877), pour le modèle duquel il remporte la médaille d’or à l’exposition de Munich en 1875, et Figure féminine endormie (1878), destinée pour la tombe de Sofia Afentaki dans le premier cimetière d’Athènes. Ces oeuvres se caractérisent par la manière exceptionnelle dont les doctrines du néoclassicisme sont utilisées.
En 1878, il montre les premiers symptômes de la maladie mentale. Pour cette raison, son travail s’est arrêté pendant quarante années entières et il a été interné à l’hôpital psychiatrique de Corfou en 1888. En 1902, après la mort de son père, sa mère le fait sortir de l’hôpital psychiatrique et le ramène à Tinos.
Pendant la période qui suivit, Halepas, renfermé sur lui-même et dans une détresse terrible, est maintenu sous la stricte surveillance de sa mère ; elle a détruit les œuvres qu’il réalisait en argile, car elle était d’avis que la sculpture était responsable de sa maladie.
La mort de sa mère en 1916 semble avoir été décisive. L’artiste, enfin libre, se met au travail intensif, créant un nombre important d’œuvres, mais qui restent toutes au niveau des modèles en argile.
Durant cette phase de son travail, il n’utilise aucun type de cadrage, car il veut s’exprimer avec une liberté absolue. Et malgré le fait qu’il a été pendant des années coupé des développements de la sculpture grecque et européenne, ses œuvres sont souvent en lien avec les quêtes d’avant-garde telles que celles-ci sont exprimées dans l’expressionnisme, le cubisme et le surréalisme. L’antiquité grecque continue d’être sa principale source d’inspiration, alors qu’il développe parallèlement des compositions qu’il avait commencées bien avant sa maladie, par exemple Médée qu’il a retravaillé quatre fois au total et Satyre jouant avec Eros qu’il a retravaillé douze fois. Pour ces deux ouvrages en particulier, l’hypothèse a été formulée qu’ils suggèrent la relation de Halepas avec ses parents et le rôle que chacun d’eux a joué dans le développement de sa vie.
Malgré les efforts de Theodoros Vellianitis en 1915, Halepas reste largement dans l’oubli jusqu’en 1922 quand Thomas Thomopoulos lui rend visite à Tinos et contribue à l’organisation de sa première exposition à l’Académie d’Athènes en 1925. Une deuxième exposition est présentée en 1928, alors qu’un an plus tôt il avait reçu la Haute Distinction en Arts et Lettres.
En 1930, sa nièce Eirene l’emmena avec elle à Athènes où il a vécu les dernières années de sa vie dans la tranquillité familiale, continuant à travailler intensément jusqu’à sa mort le 15 septembre 1938. Après sa mort, son travail a été présenté dans de nombreuses rétrospectives.
* Photo d’introduction: Yannoulis Halepas rend visite à la Figure féminine endormie, sur la tombe de Sofia Afentaki, au premier cimetière d’Athènes, en 1930. Source: Lifo