Dr. Alexandra Kouroutaki est membre du Personnel Enseignant Spécialisé à l’école d’Architecture de l’Université Technique de Crète. Elle est titulaire d’un doctorat en histoire de l’art de l’Université Bordeaux Montaigne et d’un diplôme de troisième cycle en Littérature Française de l’École des Humanités, Faculté des lettres de l’Université Ouverte de Grèce. Elle est également diplômée du Département de Langue et Littérature françaises de l’Université Nationale et Capodistrienne d’Athènes. Le texte suivant est écrit par Alexandra Kouroutaki dans le cadre de l’année 2020 “Année Melina Mercouri” et de la vision pour la réunification des sculptures du Parthénon.
Introduction
Emblème de l’Hellénisme dans sa diachronie et symbole des principes et des valeurs fondamentales de la culture européenne, le Parthénon est l’un des monuments les plus éminents du patrimoine mondial de l’UNESCO. L’article entreprend une étude du Parthénon qui apparaît sous la qualité de symbole dans l’art Néohellénique, tant dans la peinture de paysage du début du XXe siècle que dans la production picturale de l’Entre-deux-guerres.
Dans la première partie, l’étude porte principalement sur les variations autour de l’Acropole durant la période 1910-1930 afin d’explorer la dialectique directe et le rapport plus essentiel entre le Parthénon et l’espace attique. La vue sur le Monument qui domine de sa magnificence l’Acropole, donne aux artistes grecs l’occasion de capter sur toile “l’esprit du lieu” qui habite dans les rochers et les collines d’Athènes, dans les courbes du paysage et la végétation dense, dans la qualité même de la lumière éblouissante méditerranéenne et la pureté du ciel d’Attique. Dans cet endroit qui a conçu le modèle architectural d’un idéal de beauté, les marbres du Parthénon se mettent en dialogue avec l’histoire.
Dans la seconde partie, l’étude se concentre sur des œuvres picturales de la célèbre “Génération des années 30”: il s’agit des compositions aux sujets historiques, mythologiques et allégoriques, des peintures de portrait et des natures mortes. Dans ces œuvres, le Parthénon fonctionne comme symbole de l’héritage culturel. D’une part, le Monument constitue le miroir identitaire de la conscience ethnique des Grecs, d’autre part, il est inextricablement lié à un symbolisme beaucoup plus large qui inclut l’idéal de la démocratie Athénienne, les valeurs humanitaires, les conquêtes du rationalisme et de la philosophie dialectique.
Outre la présence symbolique du Parthénon, l’étude met en évidence le contexte idéologique de l’art Néohellénique, d’après le contexte historique des premières décennies du XXe siècle et les évolutions générales dans le domaine des arts. En particulier, l’accent est mis sur les variations du Modernisme Périphérique Grec. Référence est faite aux influences du Symbolisme et des tendances postimpressionnistes dans la peinture de paysage et aux influences du Cubisme et du Surréalisme dans l’œuvre des artistes grecs de la “Génération des années 30”.
Le Parthénon dans la peinture de paysage et la dialectique du Monument avec l’espace de l’Attique
Au début du XXe siècle, la peinture de paysage est considérée comme l’événement majeur de l’art néohellénique qui entre désormais dans de nouvelles directions. [2] Les peintres progressistes grecs s’éloignent de la stérile représentation du réel et se libèrent de l’esthétique du Réalisme Académique de l’école de Munich. Leur intérêt se tourne désormais vers les pionniers du Modernisme et les mouvements d’avant-garde de Paris. [3]
Le contexte historique et politique en Grèce était favorable à cette évolution. La politique de Venizélos a décisivement contribué à la réorientation de l’intellect grec vers le Modernisme européen. Dans l’esprit du “Vénizélisme” associé au besoin de modernisation et de renaissance spirituelle de l’État Grec, le “Groupe Techni” (Groupe de l’Art) a été fondé en 1917 pour transmettre de nouvelles idées dans le domaine conservateur des arts visuels en Grèce. [4]
La peinture de paysage de la période 1915-1930 se caractérise par une uniformité étonnante [5]: il s’agit d’un art subjectiviste, postimpressionniste, influencé par le Symbolisme. Des artistes importants qui étaient pour la plupart membres du “Groupe Techni” (Constantinos Parthenis, Constantinos Maleas, Nikos Lytras, Périclès Byzantios, Nicolaos Othonaios, Othon Pervolarakis, Lykourgos Kogevinas, mais aussi Michel Oikonomou et Spyros Papaloukas) prêtent au paysage des dimensions symboliques. Manos Stefanidis souligne cette évolution de l’art vers le subjectivisme: «On dirait que nos créateurs ont pu découvrir avec éblouissement le paysage, son énergie, le caractère unique des étés lumineux et les contours stricts des montagnes et abordent désormais le paysage de façon exploratoire, avec perspicacité. [6]
Le subjectivisme et la tendance vers le symbolisme caractérisent les peintures de Lykourgos Kogevinas. Dans ses toiles, les volumes solides dans leur immobilité témoignent des influences de P. Gauguin et de M. Denis. [7]
Kogevinas aborde les paysages en suivant une approche antinaturaliste, par une schématisation des formes plates. Dans tous les cas, on doit souligner l’impression provoquée par ces peintures. Il ne s’agit pas de la représentation fidèle d’un espace naturel ou structuré mais de la mise en relief d’un Monument-symbole. L’éclairage théâtral et irréaliste des toiles relie le Parthénon à sa charge culturelle et capture la mémoire du ciel étincelant de la lumière éternelle de l’Attique.
On retrouve cette impression dans les peintures de paysage de Constantinos Maleas. En arrière-plan, les formes du Monument sont rendues avec un fort degré de simplification et d’abstraction, sous le ciel bleu ou doré d’Athènes. Au premier plan, on aperçoit la végétation dense de la région qui se compose principalement de pins et de cyprès. Tous les éléments des compositions sont stylisés. Maleas applique des couleurs plates sur les surfaces. [8]
Antonis Kotidis souligne l’influence de Gauguin et de Bernard sur l’esthétique du peintre grec et attribue l’influence du Symbolisme d’une part au subjectivisme du paysage et d’autre part aux “correspondances” entre les couleurs et les émotions, entre le développement des lignes et des phrases musicales. [9]
En conclusion, dans les peintures de paysage, le Parthénon est conçu comme un Monument-symbole revêtu de la majesté des siècles, toujours animé d’un souffle vivant, et inextricablement lié au lieu de son origine. Cette dialectique du Monument avec l’espace est soulignée par Le Corbusier, dans sa conférence, en 1933: «C’est l’Acropole qui a fait de moi un révolté. Cette certitude m’est demeurée: Souviens-toi du Parthénon, net, propre, intense, énorme, violent, de cette clameur lancée dans un paysage de grâce et de terreur. Force et pureté. [10]
Cependant, au milieu des années 1920, le besoin du retour aux sources de la tradition artistique grecque a mûri pour donner une nouvelle dimension au Modernisme Périphérique Grec. Le “Groupe Techni” et surtout Parthenis avaient préparé le terrain aux artistes de la célèbre “Génération des années 30” qui ont créé des œuvres d’une idéologie plus ethnocentrique. [12]
Le Parthénon dans la constellation de la “Grécité” et la “Génération artistique des années 30”
Des artistes importants de la “Génération des années 30″, tels Gerasimos Steris, George Gounaro, Costantinos Parthenis, Nikos Engonopoulos, Nikos Chatzikyriakos Gikas, Yannis Moralis ont abordé le Parthénon comme emblème du génie grec, assurant la continuité de la Nation dans le temps, et en même temps lié à un symbolisme plus large, associé aux idéaux démocratiques et aux valeurs humanitaires.
Pendant l’Entre-deux-guerres, la création artistique en Grèce entre dans une nouvelle phase, oscillant entre Modernisme et Tradition. [13]
Le retour aux sources artistiques grecques est devenu impératif après l’expérience traumatisante de la catastrophe nationale en Asie Mineure. Cet événement a créé le besoin d’une auto-affirmation nationale, exprimée même dans les arts. La “Génération des années 30” était à la recherche de la “Grécité” dans son effort de création d’un art profondément grec. Cependant, elle est considérée comme le courant le plus caractéristique du Modernisme en Grèce car elle a su conjuguer des influences occidentales et orientales.
Le cas de Gerasimos Steris est révélateur des évolutions qui s’étaient produites dans le domaine des arts en Grèce, pendant l’Entre-deux-guerres. Son œuvre symbolique et métaphysique a marqué un tournant décisif grâce à la liberté plastique de son langage pictural orienté vers l’abstraction. La source d’inspiration de Steris, dans l’ensemble de son œuvre, est l’art grec ancien et l’art moderne européen. [14]
Dans sa peinture de paysage avec l’Acropole, le caractère symbolique du Monument est intensifié par l’extinction progressive de la couleur grâce à la lumière éblouissante. Par la limpidité de ses couleurs, Steris tente de capter cette émotion unique qui se cache dans l’atmosphère grecque. Une fois de plus, le Monument qui domine le Rocher sacré, fonctionne comme symbole illustrant l’idéal en Architecture.
L’influence du Symbolisme se retrouve également dans la peinture de George Gounaropoulos -Gounaro. En 1938, l’artiste a réalisé une peinture murale d’une superficie totale de 113 m² dans la salle du Conseil Municipal de l’Hôtel de ville d’Athènes. [15] L’artiste tente “un développement micro-historique [16] avec des épisodes divers de la mythologie et de l’histoire de la ville, comme la lutte d’Athéna avec Poséidon, la bataille entre Thésée et le Minotaure, Égée qui attend du haut d’un promontoire le retour du bateau de son fils, Socrate en train de boire volontairement la ciguë, la bataille navale de Salamine, les guerres médiques, la scène de la mort de Georgios Karaiskakis, un héros de la guerre d’indépendance grecque [17] etc.
Dans la représentation centrale du programme, le Parthénon est situé en arrière-plan, dominant le Rocher sacré. La figure de Périclèsest sans doute idéalisée. Le grand politique athénien était le chef charismatique du Ve siècle considéré comme le Siècle d’Or du Miracle grec. Gounaro associe le Monument aux idéaux démocratiques. Lorsque la Grèce demande qu’on lui restitue les marbres du Parthénon, elle réclame bien plus que de simples œuvres d’art. Elle cherche à rassembler les fragments épars de son idéal de beauté, mais aussi de démocratie et de liberté d’esprit, devenues depuis lors des vertus universelles.
L’espace pictural d’Engonopoulos ressemble à une scénographie où ses fameux mannequins anthropomorphes (un emprunt à Giorgio De Chirico) jouent des rôles, comme des acteurs de théâtre. Les mannequins sont présentés soit nus soit habillés de costumes d’époque. La colline de l’Acropole est peinte à la manière byzantine. Le Monument emblématique du Parthénon constitue le point connecteur qui relie la Grèce moderne à son passé glorieux, tout en soulignant la relation interculturelle de la Grèce avec l’Occident.
Le Parthénon apparaît dans la composition de Constantinos Parthenis “Nature morte avec l’Acropole en arrière-plan”,(image14). Parthenis crée une peinture cérébrale, émotive, de portée idéologique. Il utilise des données empruntées au Cubisme, cependant, les motifs sont bien reconnaissables, malgré leur traitement géométrique. Il est à noter que la morphologie du cubisme n’empêche pas le peintre grec d’attribuer un caractère spirituel à son langage pictural et d’exprimer ainsi sa réflexion philosophique sur le monde. Le spectateur est confronté au sens spirituel des éléments représentés sur toile. Même si l’“idéal” (le Parthénon) est transféré au “cadre humain” (la nature morte portée au premier plan) il semble que l’effort de Parthenis consiste à capturer la vision grecque ancienne avec des couleurs et des formes, grâce à la limpidité des tons et la spiritualisation des éléments matériels.
Parthenis Constantinos, “Nature morte avec l’Acropole en arrière-plan”, huile sur toile, avant 1931. Source: nationalgallery.gr.
Le parcours dans les variations autour de l’Acropole dans l’art néohellénique se termine avec une composition de Nikos Hadjikyriakos Gikas, intitulée “Vue d’Athènes”. En adoptant un style cubiste, Gikas représente les trois collines de la ville, l’Acropole, le Lycabette et la colline de Philopappou. Le rocher de l’Acropole, les humbles maisons grecques, la lumière brillante et dorée et la végétation dense composent les éléments du paysage de l’Attique. Une fois de plus, le Parthénon s’érige en symbole assurant la continuité historique d’une civilisation auréolée de son passé prestigieux.
Conclusion
En conclusion, le Parthénon qui domine dans sa majesté le rocher de l’Acropole apparaît souvent dans l’art Néohellénique des premières décennies du XXe siècle, dans des peintures de paysage, des compositions aux sujets historiques et mythologiques, des natures mortes et des portraits. L’Acropole et le Parthénon constituent des points de repère pour l’identité du peuple grec, transmettant partout au monde le message de la civilisation, de la démocratie et de la liberté d’esprit d’une société ouverte. Les paroles de Melina Mercouri semblent plus actuelles que jamais: “La Grèce est ceci, son héritage. Ceci est sa propriété, et si nous perdons cela, on perd tout. [19]
Dans tous les cas, l’Acropole et le Parthénon apparaissent dans l’art Néohellénique comme emblèmes du patrimoine culturel national et mondial, doués d’une valeur symbolique et d’une force unificatrice incontestables. La vision de la Grèce pour la réunification des sculptures du Monument devient désormais universelle. Et le jour de la restitution des sculptures au Temple ne peut pas être loin, si l’on considère le chaleureux soutien de l’opinion publique internationale.
D’ailleurs, les sculptures violemment détachées du Parthénon ne sont pas des œuvres d’art autonomes. Elles constituent une unité indivisible, naturelle, esthétique et sémantique avec le Monument. Pour cette raison, les marbres antiques devraient être réunifiés dans leur environnement naturel et historique. Le rôle de l’art s’avère important en vue de la sensibilisation internationale à ce sujet. Le retour des sculptures au Parthénon est désormais une question européenne de culture et de morale. L’affaire est en cours.
Notes
M.V.