L’appartement d’Angelos et Léto Katakouzenos, situé au cœur d’Athènes, sur l’avenue Amalias, est un joyau culturel de la capitale grecque. Cette Maison – Musée, avec une collection permanente remarquable, qui organise aussi des expositions d’artistes contemporains et d’autres manifestations culturelles, est connue comme l’un des plus importants salons littéraires de la génération des années 1930, un groupe d’écrivains, de poètes, d’artistes, et d’intellectuels grecs qui ont introduit le modernisme dans l’art et la littérature de la Grèce contemporaine. Des soirées de poésie, des concerts, des débats philosophiques et littéraires y ont été organisés par le couple Katakouzenos souvent fréquentés par des intellectuels européens et américains de renom.
Angelos Katakouzenos (1902-1982), un neurologue et psychiatre renommé, a fait des études de médecine en France, où il a noué des liens d’amitié avec des étudiants grecs, qui ont formé l’élite intellectuelle de la génération des années 1930. Angelos est revenu en Grèce et a épousé Léto Protopappa en 1934. En 1951, il a fondé l’Union Culturelle Gréco-Française. Albert Camus, lauréat du prix Nobel de littérature, a parlé de l’avenir de la Civilisation européenne, lors d’un colloque organisé par Katakouzenos en 1955, à Athènes.
Léto Katakouzenos (1909-1997), avait une vocation artistique et aimait la littérature. En 1954, Léto a accompagné le peintre et graveur Marc Chagall au Musée Archéologique d’Athènes et a aussi organisé, en son honneur, une première exposition de peinture panhellénique, chez elle. Chagall a fait son portrait intitulé « La tête blonde de Léto dans le bleu Chagall ». Léto a écrit un bon nombre d’œuvres littéraires, entre autres, le livre « En compagnie d’Albert Camus », en 1979 (en grec, « Syntrofia me ton Albert Camus »).
En 1989, Sophie Peloponnissiou (aujourd’hui, membre du conseil d’administration de la ‘Fondation Angelos et Léto Katakouzenos’) a lu le livre que Léto avait publié sur son mari (« Angelos Katakouzenos, mon Valis », en grec « Angelos Katakouzenos, o Valis mou »). Fascinée par la personnalité et le parcours d’Angelos, elle a contacté Léto. C’était le début d’une grande amitié, qui a conduit à la création de la Μaison-Musée Katakouzenos, en septembre 2008.
Dimitris Vassilakos, aussi membre du conseil d’administration de la ‘Fondation Angelos et Léto Katakouzenos’, a parlé à Grèce Hebdo* de l’histoire fascinante de la Maison – Musée Katakouzenos et de sa collection.
Comment est née l’idée de la Maison – Musée Katakouzenos ? Quel était le but de sa création et quand est-ce qu’elle a ouvert ses portes au public ?
C’était Noël 1989, quand Sophie Peloponnissiou a lu le livre que Léto Katakouzenos avait juste publié au sujet de son mari décédé. Sophie a été fascinée par la personnalité d’Angelos Katakouzenos, un neurologue et psychiatre renommé, sa contribution vers la Grèce, sa relation avec les artistes et les événements culturels de son temps, mais aussi par son parcours dans son ensemble. Le livre a fait une telle impression à Sophie, qu’elle contacta Léto. Cela fut le commencement d’une relation d’amitié qui dura jusqu’à la mort de Léto en 1997. Pendant ces années, Léto a partagé avec Sophie une multitude d’histoires du couple et de leurs amis, dont la plupart étaient des artistes de la génération des années 1930.
Léto avait décidé de créer une fondation nommée d’après le couple, afin de protéger et promouvoir leur parcours commun et permettre à leur maison de continuer sa fonction de salon littéraire. Sophie faisait partie de l’équipe initiale, dont elle était le membre le plus enthousiaste. Elle a fait un mastère en muséologie à Londres et, dès son retour en 2005, elle s’embarqua dans la belle aventure de la création de la Maison-Musée Katakouzenos.
En septembre 2008 la Μaison-Musée a ouvert ses portes au public, dans le cadre des Journées Européennes de Patrimoine. Une exposition photographique permanente a été organisée en collaboration avec le Musée Freud, à Londres, afin de mettre le point sur les éléments communs entre les cabinets médicaux des deux neurologues, mais aussi afin de faire la connexion entre l’Acropole – une source d’inspiration pour Angelos-, et le voyage de Freud à Athènes, en 1903, qui l’a inspiré pour écrire son texte bien connu, intitulé « Un trouble de mémoire sur l’Acropole ». La réussite de cette coopération a été scellée par les paroles suivantes de Michael Molnar, Directeur du Musée Freud, qui ont mis le Musée Katakouzenos sur la carte culturelle d’Athènes : « Qu’on se trouve au bureau du Professeur Katakouzenos ou à celui du Professeur Freud, notre attention oscille entre les objets laissés derrière par le résidant de chaque maison et nos ‘objets intérieurs’, qui le représentent à nos yeux. Chaque musée est une Acropole, un lieu où la réalité est entourée par l’imagination ».
Après ce premier pas, Sophie Peloponnissiou a proposé à Angelos Delivorias, directeur du musée Bénaki à l’époque, de créer dans une des chambres de la maison Katakouzenos « L’atelier de Nikos Hadjikyriakos-Ghika », en utilisant des brosses, des œuvres et des objets personnels du grand peintre grec. C’était une façon de rendre hommage à l’amitié profonde du peintre avec Angelos Katakouzenos, une amitié qui a duré cinquante ans. A noter que Ghika est resté pendant trois mois chez les Katakouzenos, afin de composer ses fameuses ‘Quatre Saisons’ sur les quatre portes d’acajou qui séparent le salon et la salle à manger de la maison.
Le Musée Katakouzenos, orienté vers la présentation de la création contemporaine, a collaboré avec la galerie d’art ‘John Martin Gallery’, à Londres : le peintre anglais Richard Cartwright a exposé pour la première fois à Athènes vingt de ses tableaux parmi les œuvres de la collection permanente du couple Katakouzenos. Cette approche a été adoptée pour toutes les expositions d’artistes contemporains, hébergées pendant les années suivantes.
Le salon littéraire du couple Katakouzenos a attiré des poètes, des écrivains, des artistes et des savants grecs, mais aussi plusieurs Européens et Américains. Quelles personnalités du monde de la culture et de l’art a accueilli cet appartement au centre d’Athènes ?
Angelos et Léto ont fonctionné pendant des décennies en tant que trait d’union entre les membres de la fameuse génération des années 1930. L’amitié d’Angelos avec des membres de ce mouvement littéraire et artistique grec avait déjà commencé pendant ses études à Paris : Georges Katsimbalis, le fameux « Colosse de Maroussi » d’après Henry Miller et éditeur de la revue « Ta Nea Grammata » (‘Lettres Nouvelles’), le peintre Nikos Hadjikyriakos-Ghika et Georges Seferis, le premier lauréat grec du prix Nobel de littérature, parmi d’autres.
Beaucoup d’autres artistes et écrivains non seulement grecs, mais aussi de la scène culturelle mondiale, ont visité la maison Katakouzenos, ils y ont dîné et discuté à plusieurs reprises : Tériade (Stratis Eleftériadis), Eugène Ionesco, William Faulkner, Henri Cartier-Bresson, Albert Camus, Ilias Venezis, Andreas Embiricos, Angelos Terzakis, Georges Theotokas, Karolos Koun, Manos Hadjidakis, Costas Taktsis, Nikos Kavvadias, Titos Patrikios, Georges Gounaropoulos, Spyros Vassiliou, Lili Arlioti, Michalis Tombros, Yannis Tsarouchis.
Comment est-ce qu’Angelos Katakouzenos a contribué au renforcement des relations entre la Grèce et la France, à travers l’art et la culture ?
Angelos Katakouzenos était à la fois un patriote enthousiaste et un Européen passionné. Ayant fait ses études en France, Katakouzenos a été fortement influencé par le pays et ses valeurs pour le reste de sa vie. De retour en Grèce, pendant les années 1930, il a gardé ses liens avec la France pendant la 2e Guerre mondiale et l’Occupation allemande. Pendant cette période, Katakouzenos a travaillé de manière diligente en faveur des intérêts des forces alliées. C’est très probablement la raison pour laquelle il a été décoré de la Légion d’honneur par le gouvernement français.
Après la guerre, le couple a renforcé sa relation avec l’Ambassade de France à Athènes : Jean Baelen, ambassadeur de France en Grèce à l’époque, qui se trouvait à Athènes pour une deuxième fois, est devenu un bon ami du couple Katakouzenos. Quand Baelen est rentré en Grèce pour la troisième fois, leur amitié est devenue encore plus forte : la maison Katakouzenos abrite un tableau de l’Ambassadeur, qui représente Léto en robe bleue.
En 1951, Angelos fonde l’Union Culturelle Gréco-Française et organise, en tant que son président, plusieurs activités, comme par exemple « Une soirée sur Apollinaire » avec la participation de l’Ambassadeur Jean Baelen, Nikos Hadjikyriakos -Ghika, Léto Katakouzenos et l’actrice Eleni Halkoussi. En 1955, il organise une discussion remarquable entre Albert Camus et cinq intellectuels Grecs (Georges Theotokas, Konstantinos Tsatsos, Phédon Vegleris, Evangelos Papanoutsos et Nikos Hadjikyriakos-Ghika), sur « L’avenir de la civilisation européenne ». Les idées partagées pendant cette discussion restent absolument pertinentes jusqu’ aujourd’hui.
Il faudrait peut-être ajouter que, au-delà de sa contribution au renforcement des relations gréco-françaises à travers l’art et la culture, Angelos a aussi offert ses services pendant vingt-cinq ans à l’Institut Pasteur d’Athènes, dont il a été élu membre du conseil d’administration en 1950, vice-président en 1961 et président en 1972. Son œuvre importante a été reconnue par Louis Pasteur Vallery-Radot, le grand-fils de Louis Pasteur, qui a caractérisé Katakouzenos comme le ‘Saint Sauveur’ de l’Institut Pasteur. En 1963, le Général et Président de la République Française Charles de Gaulle, lors de sa visite en Grèce, a félicité Angelos Katakouzenos pour sa contribution à l’Institut Pasteur Hellénique.
Qu’est-ce qui a inspiré Léto Katakouzenos à écrire le livre « En compagnie d’Albert Camus » ?
Albert Camus était un ami d’Angelos Katakouzenos. C’est d’ailleurs Angelos qui l’a invité à participer à la discussion sur « L’avenir de la civilisation européenne ». Le couple Katakouzenos avait accompagné Albert Camus pendant un petit voyage qu’il avait fait à l’île d’Égine. Les discussions qui ont eu lieu pendant ce voyage, ainsi que pendant leurs visites respectives à Paris et à Athènes ont inspiré Léto. Ainsi, quand Camus a eu l’accident de voiture qui a marqué sa fin tragique, Léto a voulu préserver la mémoire de tout ce qu’ils avaient partagé. Son texte sur Camus témoigne de l’amitié chaleureuse développée entre eux et affirme un côté sensible du grand écrivain et philosophe, ainsi que son amour pour la Grèce.
Que comprend la collection de la Maison – Musée Katakouzenos ? Quelles œuvres d’art sont des cadeaux offerts au couple Katakouzenos par leurs amis artistes ?
La maison Katakouzenos est pleine d’œuvres, qui font partie de la production artistique grecque entre 1930 et 1980. Au-delà des quatre portes d’acajou et de quelques tableaux peints par Nikos Hadjikyriakos -Ghika, la collection comprend des œuvres faites par plusieurs membres de la génération des années 1930, comme Spyros Vassiliou, Yannis Tsarouchis et Georges Gounaropoulos. Elle comprend aussi des tableaux de l’Ambassadeur Jean Baelen, de John Craxton et d’Alexander Mohr.
La ‘pièce de résistance’ de la collection est très probablement le portrait de Léto, créé par Marc Chagall et intitulé « La tête blonde de Léto dans le bleu Chagall », tandis que la collection des œuvres des 19e et 20e siècles est complétée par deux dessins au crayon, un probablement fait par Edgar Degas et un autre par Pablo Picasso. On peut aussi admirer quelques icônes qui datent des 17e et 18e siècles.
Ce qui donne un air d’exclusivité à la collection de la maison Katakouzenos, mis à part sa valeur artistique intrinsèque, est le fait qu’aucune de ces œuvres n’a été achetée par le couple : la plupart d’elles ont été offertes au couple Katakouzenos en signe d’amitié ou de gratitude.
Pour plus d’informations sur la Maison – Musée Katakouzenos: https://katakouzenos.gr/fondation-angelos-et-leto-katakouzenos/
Photos: © Fondation Angelos et Léto Katakouzenos
* Entretien accordé à Sotiria Gkotsi| GreceHebdo.gr
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