Le souci de rationaliser l’accès à la haute fonction de l’État est à l’ origine de la création de l’École Nationale d’ Administration en 1983. Pour ce faire, un concours exigeant, voire objectif, a vu le jour pour la première fois en 1985 pour assurer la sélection de ceux qui par la suite auraient un accès rapide aux hauts postes d’Administration afin d’introduire un nouvel esprit de travail, de nouvelles méthodes et des outils de management. Le chemin n’a pas été sans encombre dû notamment aux résistances des mécanismes et des fonctionnaires issus du clientélisme dominant qui voyaient dans les nouveaux Enarques une certaine menace pour leur propre évolution professionnelle. 30 ans après, on dénombre 23 promotions d’élèves et 2390 diplômés dispersés un peu partout dans l’Administration et les Collectivités Locales, y compris dans une partie des postes à caractère diplomatique. (Αttachés commerciaux et attachés de Presse). GrèceHebdo a rencontré le nouveau Directeur de l’Ecole Kostas Papadimitriou pour parler de l’Ecole et du corps des fonctionnaires dans un pays où on fait souvent la liaison entre la crise actuelle et le « bas niveau » des serviteurs de l’État. Papadimitriou, docteur en science politique ayant effectué des études de droit, de science administrative ainsi que des études pédagogiques, est le premier Enarque grec qui assume la direction de l’École.
Quelles sont les affinités entre l’ENA française et l’ENA grecque?
La « raison d’être » de l’ENA grecque mise sur pied en 1983 en pleine gouvernance socialiste coïncide avec celle de l’ENA française dans le but de démocratiser le recrutement aux postes importants de l’Administration Publique. Toutefois, le parcours n’est pas le même. La politique de réforme du gouvernement socialiste perd vite son élan vital, ce qui se répète également dans d’autres champs des politiques publiques. Les premiers Enarques acquièrent leur diplôme en 1988 au moment où la vague de la réforme n’est plus à l’ordre du jour. La survie de l’École est désormais associée à son inscription dans le deuxième cadre d’appui de la Communauté Européenne. Pourtant le financement de l’école va de pair avec l’indifférence pour le sort de ses diplômés. Aucun corps de diplômés de l’ENA grecque n’est institué, d’où leur dispersion un peu partout dans le service public. Ils sont le plus souvent dévalorisés par rapport à leurs qualités acquises. Un décalage entre les attentes des diplômés et la réalité de l’Administration grecque s’impose de facto.
Pourquoi le concept d’ «élite administrative» est si faible au sein de la société grecque?
La société grecque se caractérise historiquement par une structuration de classe mal définie, ce qui se reflète dans la limitation des élites chez les corps des diplomates, des officiers de l’armée ou des juges. Il n’en est pas moins vrai que des démarches de démocratisation des élites y ont vu le jour dans les années ‘’80 à l’ exception du corps diplomatique opposé à l’appropriation de la sélection des nouveaux diplomates par l’ENA. (Espérons que le contrôle du Ministère des Affaires Etrangères sur cette sélection ne durera pas longtemps et sera remplacé par le concours prévu au sein de l’ENA). Néanmoins cette démocratisation ne s’est pas accompagnée d’une structure étatique dotée des fonctionnaires dévouées… (À noter, encore une fois, la dévalorisation des diplômés de l’ENA). Au contraire, on a vécu le règne des chercheurs de rente (rent-seekers) parmi lesquels les politiciens, les bureaucrates et les entrepreneurs se sont nourris du budget étatique, tous axés sur l’exploitation des ressources communautaires; d’ où l’essor de la bureaucratie et de la corruption visible notamment dans les années ‘’90 et jusqu’ au moment de l’écroulement du pays en 2009-2010.
Au cours de ces dernières années de crise, les fonctionnaires grecs ont reçu un bon nombre de critiques venus de différents horizons. (΄΄fainéants», “inefficaces’’,“nombreux”). À quel point partagez-vous cette approche? Est-ce que la levée de l’ inamovibilité constituerait une certaine solution ?
Le discours stéréotypique sur les ‘’mauvais fonctionnaires’’ alimenté par les forces conservatrices (tant nouvelles qu’anciennes) implique une profonde hypocrisie. Celle-ci consiste au fait que ces forces pour une grande période (1995-2010) n’ont pas voulu procéder à la réforme de l’Administration afin de la rendre efficace et utile à la société. En résulte une Administration en confusion, dépourvue d’organisation suffisante et marquée par le grand nombre des lois et la mauvaise qualité des régulations. Face à cette réalité produite par des politiciens obsédés par la conquête et le maintien du pouvoir, les stéréotypes contre les fonctionnaires tiennent le haut du pavé, notamment à cause du rôle des « Mass-Médias » favorables aux forces politiques conservatrices. La garantie de l’inamovibilité est la seule garantie dont les fonctionnaires disposent et sa levée éventuelle ne pourrait qu’être mal jugée. De nos jours, des fonctionnaires mieux formés pourraient être plus productifs s’ils sont porteurs d’un esprit de reconstruction du service public et non pas vu comme les «boucs émissaires» d’un système raté.
Comment concevez-vous le nouveau rôle de l’ENA grecque?
L’École a été conçue dans le but d’être le vivier des cadres de l’Administration voués à la tâche difficile de la réforme de l’État grec. Pour ce faire, au bout de 30 ans d’échecs délibérés, une mobilisation de toutes les ressources politiques et administratives s’impose. L’École ambitionne de former des cadres aptes à animer et mobiliser leurs collègues avec lesquels ils seront en osmose, dans le but de créer tous ensemble une Administration Publique guidée par des valeurs démocratiques au service de la société.