Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, traductrice des poèmes grecs en français, parle à GrèceHebdo de la poésie grecque et de sa diffusion au public francophone. 

Quelles sont les difficultés propres à la démarche de traduire des poèmes grecs en français? 

Traduire des poèmes grecs en français ne me pose pas de problèmes majeurs puisque je lis de la poésie dans les deux langues, que je maîtrise bien, après plus de trente années passées à les cultiver. Traduire en poésie représente un défi : rester fidèle au texte source tout en préservant sa beauté dans la langue de destination. Je fonctionne par analogie : en utilisant les mots comme des idéogrammes qui transportent des idées et des sentiments. Il s’agit donc de trouver les meilleures équivalences.

Bien sûr, certains poèmes sont tout simplement intraduisibles, sauf à les défigurer complètement : c’est souvent le cas des poèmes en pieds et en rimes. Le plus difficile, cependant, c’est de réussir à trouver un éditeur, puisque en France la poésie est un genre qui, s’il est finalement beaucoup lu et partagé, est très mal édité. Aussi, il est difficile d’en faire un métier, la Grèce étant par ailleurs un petit pays, à la production malgré tout limitée en quantité.

J’ai eu la chance que ma mère, Françoise Coulmin, soit elle-même poète, publiée notamment par un éditeur courageux, Francis Combes, qui était devenu un ami. Il s’est donc tourné vers moi quand il a décidé de publier de la poésie grecque, en témoignage de solidarité et d’estime envers le peuple grec et sa littérature. 

A quel point, la poésie grecque arrive-t-elle à accéder au public francophone par delà l’ “exception Cavafy”? 

Une fois l’obstacle de l’édition franchie, la poésie grecque contemporaine est appréciée dans les milieux poétiques et littéraires français. Grâce à Cavafy, Séféris, Élytis, Ritsos, elle bénéficie d’un prestige constamment renouvelé par la qualité des œuvres publiées. L’an dernier, par exemple, Thanassis Hatzopoulos a reçu le prestigieux prix Max Jacob, dans la catégorie “étranger”. Nombreux sont les poètes grecs invités et publiés de par le monde, dans des festivals internationaux, des revues prestigieuses.

De toute façon, la poésie en France concerne essentiellement un public particulier d’amateurs passionnés de poésie qui se tournent d’abord vers la poésie française mais qui fréquentent aussi la poésie d’autres pays et notamment la poésie grecque. Ces amateurs de poésie, ces ”initiés”, sont habitués à commander les recueils ou à souscrire auprès de maisons d’édition peu diffusée dans les “grandes” librairies. À ce titre il ne faut pas négliger l’apport des publications en ligne, généralement des revues ou des revues de presse, qui contribuent à faire connaître les auteurs et leurs titres. La langue et le patrimoine poétique grecs confèrent aussi à la poésie hellénique une bonne réputation que la qualité des parutions contemporaines contribue à alimenter. 

Vous avez publié une anthologie bilingue intitulée “Ce que signifient les Ithaques – 20 poètes grecs contemporains”. Quelles sont vos impressions par rapport à l’écriture poétique grecque contemporaine? 

J’ai essayé d’analyser dans l’introduction de cette anthologie les grandes lignes de la poésie grecque contemporaine, afin d’en donner à comprendre aux lecteurs francophones les constantes et les particularités. En effet, elle s’appuie sur un énorme édifice, qui plonge de profondes racines dans les origines de la littérature, orale et écrite, sans interruption depuis des millénaires. C’est d’ailleurs parfois un trop lourd héritage : il n’est pas facile de résister à la tentation du beau verbe et des références en miroir. Mais cette longue histoire confère une richesse rare à la langue et à la poésie helléniques. Par ailleurs, au même titre que la philosophie, la poésie offre une vision du monde particulièrement adaptée aux temps de crises comme celui que traverse le pays.

À l’heure où de grands évènements secouent le siècle et confrontent les gens à leur fragile condition humaine, la poésie offre au poète un moyen d’expression privilégié, au prix d’un crayon et d’un support où griffonner, même au fond d’une prison, tandis qu’au lecteur elle propose des réponses sur les grandes questions qui l’assaillent. Car la poésie est accessible à tous, avec le premier des ingrédients de la pensée : les mots – clés magiques de l’imaginaire et de la réalité. Ainsi, même les philosophes les plus élitistes n’ont pu s’empêcher d’être d’excellents poètes : Platon, Héraclite (dont les fragments sont poétiques par essence) – ils utilisaient la poésie pour transmettre leurs idées. Et les jeunes, écoliers et lycéens, sont un public privilégié pour la poésie. Interrogez les gens autour de vous : rares sont ceux qui ne commenceront pas à déclamer un texte, si vous le leur demandez, – qu’ils l’aient écrit eux-mêmes dans leur adolescence, ou bien qu’ils se souviennent de paroles, parfois celles d’une chanson qui leur a plu autrefois.

La poésie, comme chez Eschyle ou Homère, constitue un mode d’analyse du monde parfaitement adapté aux humains, sans considérations de frontières, d’âge, de genre ou d’origine. 

L’anthologie peut être trouvée sur les points de vente suivants:

• Librairie Odos Panos, Didotou 39, 

• Librairie Café Le Floral place Exarchia, 

• Librairie café Free Thinking Zone, 

• Librairie Électronique d’Athènes 60 rue Sina 

• Librairie À livre ouvert, Solonos 77, 

• la Librairie Politeia 

• et en ligne sur Le Temps des Cerises

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