Angelos Dalachanis est chercheur auprès du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) placé dans l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (IHMC) à Paris. Il est titulaire d’un doctorat en histoire de l’Institut universitaire européen de Florence et a été chercheur postdoctoral au Seeger Center for Hellenic Studies de l’Université de Princeton et à l’École française d’Athènes. Ses recherches portent sur l’histoire des migrations, du travail et de la diaspora grecque en Méditerranée orientale à l’époque moderne. Il est l’auteur du livre « The Greek Exodus from Egypt : Diaspora Politics and Emigration, 1937-1962 » (2017) et co-éditeur avec Vincent Lemire du « Ordinary Jerusalem, 1840-1940 : Opening New Archives, Revisiting a Global City » (2018).

Angelos Dalachanis a parlé à la rubrique Rethinking Greece de Greek News Agenda* des caractéristiques socio-économiques de la communauté grecque en Égypte et à Jérusalem, de l’  « exode » grec du début des années 1960 ainsi que du lien de ce dernier avec la dissolution de l’Empire ottoman, l’effondrement des empires coloniaux et la guerre froide ; des relations complexes entre les communautés diasporiques et l’État grec, et enfin, des défis auxquels les communautés de la diaspora grecque sont confrontées dans la région du Moyen-Orient.

En ce qui concerne le potentiel d’une présence grecque plus dynamique au Moyen-Orient, Angelos Dalachanis souligne le rôle que les universités grecques pourraient jouer, en accordant davantage de bourses aux étudiants originaires de la région afin qu’ils puissent étudier en Grèce, et en utilisant le capital humain des nombreux étudiants originaires du Liban, de l’Égypte, de la Syrie, de l’Iran et d’autres pays du Moyen-Orient qui ont étudié dans les universités grecques au cours des dernières décennies.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, les Grecs constituaient la plus grande communauté étrangère en Égypte. Quelle était la taille de la communauté grecque en Égypte et quelles étaient ses caractéristiques socio-économiques ?

En effet, la communauté grecque était la plus grande communauté étrangère en Égypte au cours du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, suivie par les Italiens. La population grecque n’a fait au’ augmenter  au cours de cette période, atteignant son apogée à la fin des années 1920, après l’arrivée en Égypte de réfugiés grecs d’Asie Mineure. À cette époque, selon les statistiques officielles, environ 77 000 ressortissants grecs vivaient en Égypte, alors que la population totale du pays dépassait les 14 millions d’habitants. Juste avant l’exode du début des années 1960, le nombre de citoyens grecs était déjà réduit à environ 48 000, tandis que la population égyptienne avait presque doublé, approchant les 26 millions.

D’autres chiffres qui apparaissent encore de temps en temps dans le débat public, et parfois dans des romans historiques sur la puissance démographique des Grecs d’Égypte, sont basés sur des estimations arbitraires et montrent toujours que la communauté était beaucoup plus importante qu’elle n’apparaissait dans le recensement. On peut donner de nombreuses explications à cette divergence entre les statistiques officielles et les estimations. Mais il y a une explication sur laquelle je voudrais insister. La divergence est due en grande partie à l’incertitude concernant la question qui pouvait être considéré comme grec en Égypte : s’agissait-il uniquement des citoyens de l’État grec, des personnes d’origine grecque, des chrétiens orthodoxes qui parlaient le grec ? Il est donc important de souligner ici que ni les recenseurs, ni les autorités diplomatiques grecques ni les communautés elles-mêmes n’avaient une idée précise du nombre de la population grecque en Égypte, car on ne savait pas exactement qui faisait partie de cette communauté. Même si nous considérons les Grecs comme une entité unique, les contours de la communauté n’étaient pas clairement définis, mais étaient fluides et en constante évolution.

Une chose est sûre. Même si les Grecs n’ont jamais dépassé 0,6 % de la population totale de l’Égypte au début du XXe siècle, leur pouvoir économique était cependant immense, principalement en raison de la place dominante des élites économiques grecques dans le secteur cotonnier et banquier. Bien entendu, cela ne signifie pas que tous les Grecs d’Égypte étaient riches, bien au contraire.

La plupart des Grecs sont arrivés en Égypte au XIXe et au début du XXe siècle en tant que migrants. Au départ, ce mouvement concernait de grands marchands et commerçants qui faisaient partie de la diaspora marchande grecque autour de la Méditerranée et de la mer Noire. En Égypte, ils ont établi des réseaux commerciaux étendus, encouragés par Muhammad Ali, le dirigeant de l’Égypte de 1805 à 1848, qui a favorisé leur installation. Plus tard, la migration vers l’Égypte a également pris la forme d’un mouvement massif de main-d’œuvre, comme dans le cas de milliers d’insulaires du Dodécanèse venus travailler à la construction du canal de Suez. Les Grecs nouvellement arrivés se sont installés non seulement au Caire et à Alexandrie, mais également dans la vieille ville de Suez et les villes nouvellement fondées de l’autre côté du canal de Suez, notamment Port Saïd et Ismaïlia, et ont même pénétré à l’intérieur du pays, à savoir dans les villes du delta du Nil telles que Mansoura, Tanta et Zagazig, jusque dans la Haute-Égypte.

Les migrants grecs qui sont arrivés en Égypte se sont engagés dans un large éventail d’activités économiques. Les grands marchands de coton alexandrins et autres entrepreneurs (Georgios Averoff, Emmanuel Benakis, Konstantinos Salvagos et autres), qui sont aujourd’hui connus surtout en tant que bienfaiteurs, ne constituaient qu’une infime partie de la communauté. Les élites économiques ont largement profité du régime des Capitulations et de la présence semi-coloniale britannique en Égypte après 1882. Les Capitulations étaient des accords bilatéraux entre l’Empire ottoman et des États individuels qui réglementaient les droits et les privilèges spéciaux des étrangers au sein de l’empire, y compris l’Égypte.

Lorsqu’en 1940, les consulats grecs ont mené une enquête sur les activités professionnelles des Grecs et ils ont révélé une stratification sociale intéressante : les « employés de bureau » constituaient la majorité de la main-d’œuvre, soit 33,5% de celle-ci. Ils étaient suivis par les techniciens (13,2 %), les artisans (12,8 %) et les divers commerçants (7,8 %), tandis que plusieurs autres professions telles que les artistes, les serveurs, les enseignants et les professeurs, les chauffeurs, les infirmières, les médecins et toutes sortes de professions libérales représentaient un peu plus d’un quart de la main-d’œuvre. Enfin, la classe moyenne supérieure et les grands bourgeois de la communauté — marchands et industriels, hommes d’affaires divers, propriétaires terriens et rentiers — représentaient 6,6 %. Il ne faut pas oublier que la communauté comptait également un nombre important de personnes démunies ayant des revenus très faibles ou nuls. Si les magnats mentionnés ci-dessus étaient impliqués dans des activités caritatives (soupes populaires, orphelinats, hôpitaux, etc.), c’est qu’il y avait un réel besoin. En fait, certaines personnes dépendaient de ces pratiques pour leur survie.

famille benaki
La famille Benakis à Alexandrie au début du XXe siècle. Collection de Alexandros K. Samaras

Vous avez également étudié une autre communauté « moins connue », la communauté grecque orthodoxe de Jérusalem à la fin de l’époque ottomane et sous le mandat britannique. Pouvez-vous nous en dire plus sur les Grecs de Jérusalem à cette époque ?

Pour ce qui est du contexte, il existe des similitudes entre la Palestine et l’Égypte : toutes deux sont des provinces arabes sous domination ottomane, la majorité de la population est musulmane et elles subissent une forte influence européenne, notamment britannique, jusqu’au milieu du XXe siècle. Néanmoins, il existe des différences évidentes entre ces deux cas : La Palestine n’avait pas de port important et Jérusalem n’était pas une grande ville marchande. Elle n’a pas  été non plus construite autour de terres fertiles pour attirer de riches marchands ou de grands propriétaires terriens, comme c’était le cas des villes égyptiennes. Même si des travailleurs itinérants égyptiens se sont rendus en Palestine pour la construction de grands projets de développement (tels que les chemins de fer palestiniens), cela n’a pas débouché sur une installation permanente. En outre, l’Égypte jouissait d’un degré d’autonomie élevé vis-à-vis de la Sublime Porte et les capitulations étaient extrêmement favorables aux étrangers, plus que dans tout autre endroit de l’Empire ottoman.

Les Grecs de Jérusalem nous racontent une histoire un peu différente par rapport à celle des Grecs d’Égypte. La présence grecque à Jérusalem est invariablement liée à l’existence du Patriarcat grec orthodoxe, qui est la plus ancienne institution chrétienne de la Terre Sainte, le principal gardien des sanctuaires sacrés chrétiens et l’un des plus importants propriétaires terriens non étatiques de ce qui est aujourd’hui la Palestine et Israël. Le clergé et la congrégation étaient formés par des sous-communautés grecques et arabes palestiniennes. Les Arabes palestiniens ont toujours constitué la plus grande partie de la congrégation grecque orthodoxe de Jérusalem, tandis que les Grecs constituaient une petite minorité. Cependant, en raison de facteurs historiques, le clergé grec a toujours contrôlé la confrérie du Saint-Sépulcre, et donc le Patriarcat grec orthodoxe.

À partir des années 1840, les puissances européennes ont ouvert des consulats à Jérusalem et la ville a attiré des personnes pour la plupart religieuses, mais aussi des migrants grecs de l’Empire ottoman et de Grèce. En termes démographiques, la population grecque de Jérusalem a atteint son apogée à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec 1 500 personnes sur une population d’environ 165 000 habitants. Malgré sa petite taille, le capital symbolique de la communauté grecque était important, en raison de l’importance spirituelle et économique du Patriarcat. Les élites économiques grecques de Jérusalem étaient principalement composées de professionnels libéraux et n’étaient pas comparables aux fortes élites économiques d’Égypte. Il existait cependant des liens et des connexions entre Jérusalem et Alexandrie, principalement par le biais des réseaux religieux entre les patriarcats de Jérusalem et d’Alexandrie. Certaines des figures les plus éminentes de la communauté grecque d’Égypte, qui parlaient l’arabe et participaient activement à la vie intellectuelle de la communauté, avaient étudié à l’école de théologie du monastère de la Croix à Jérusalem. L’exemple le plus connu est celui de Najib Michail Sa’ati, un arabe grec orthodoxe né à Jérusalem en 1885, qui a traduit et adapté l’orthographe de son nom en grec Eugenios-Michailidis lorsqu’il s’est installé à Alexandrie en 1912 et est devenu une figure éminente de la vie intellectuelle grecque en Égypte. Il figure dans le livre publié en 1950 « L’Alexandrie qui s’en va » [titre grec : Η Αλεξάνδρεια που φεύγει: σκιαγραφική βιογράφησι των Αλεξανδρινών της τελευταίας 50ετίας] de Despina Sevastopoulou parmi d’autres biographies d’ « Alexandrins des 50 dernières années », et son cas est conceptualisé dans un article récent du professeur Antony Gorman.

David Roberts Greek Church of the Holy Sepulchre Jerusalem April 11th 1839 plate 4 from Volume MeisterDrucke 292103
Église grecque du Saint-Sépulcre, Jérusalem, 11 avril 1839, planche 4 du tome I de «La Terre Sainte», gravée par Louis Haghe (1806-1885), éd. 1842 par David Roberts

Quels sont les principaux facteurs qui ont poussé les Grecs d’Égypte à quitter progressivement le pays ? La sagesse conventionnelle relie l’ « exode grec » à la nationalisation de nombreuses industries en 1961 et 1963 par le régime de Nasser, mais vos recherches montrent que d’autres facteurs ont également joué un rôle.

Vous avez tout à fait raison de signaler que les Grecs n’ont quitté l’Égypte que progressivement. Les gens quittent souvent un endroit pour trouver un meilleur avenir dans un autre ; et les Grecs qui ont quitté l’Égypte l’ont fait parce qu’ils étaient convaincus que le pays ne leur offrait aucun avenir ou parce qu’ils avaient de meilleures perspectives ailleurs.

Les Grecs ont toujours quitté l’Égypte soit après avoir atteint les objectifs qui les avaient poussés à y émigrer soit en période de crise économique. Dans le contexte de l’après-guerre, cependant, quelque chose a fondamentalement changé. Les Grecs ont cessé d’émigrer en Égypte parce qu’il est devenu plus difficile d’entrer dans le pays et parce que  les opportunités de travail et de richesse ont considèrablement diminué.

Le départ massif des Grecs a bien eu lieu au début des années 1960, mais le démantèlement des éléments structurels qui liaient la présence grecque à l’Égypte avait commencé des années auparavant. Le changement structurel le plus important a été l’abolition des privilèges de capitulation dont les étrangers avaient bénéficié en Égypte jusqu’en 1937. Les capitulations protégeaient les Grecs et les autres étrangers en les exemptant de presque toutes les taxes et en leur garantissant la liberté de mouvement et de commerce. En outre, elles accordaient l’immunité de tout contrôle légal et judiciaire. Tant que les capitulations étaient en vigueur, l’Égypte n’avait pas le droit de promulguer des lois relatives aux citoyens étrangers, sur lesquels les tribunaux égyptiens n’avaient aucune juridiction. Les résultats de l’abolition des Capitulations dans la vie réelle n’ont pas toujours été perçus immédiatement.

La domination des étrangers résultant des Capitulations et de la présence britannique avait des aspects non seulement économiques et politiques mais aussi culturels. Elle a entraîné un complexe de supériorité à l’égard de la population égyptienne, qui se manifestait par la réticence de la majorité des Grecs à acquérir la maîtrise de l’arabe. En d’autres termes, ils refusaient de s’intégrer à la société égyptienne dans une mesure significative, ainsi que de « converser » avec l’État égyptien, d’autant plus que la langue arabe était devenue l’un des outils de base du nationalisme égyptien et que son utilisation s’était étendue à tous les aspects de la vie publique dans les années 1940 et 1950.

Donc, oui, les nationalisations du début des années 1960 ont bien eu lieu et ont joué un rôle, mais elles ne se sont pas produites comme un coup de tonnerre. Les mesures associées au processus de transformation de l’Égypte, d’une province ottomane autonome sous contrôle européen en un État-nation indépendant, ont également été prises avant le coup d’État de 1952 et l’ascension de Nasser au pouvoir, et ont contribué à la décision des Grecs de quitter l’Égypte. Les historiens doivent élargir le tableau en termes de temps et d’espace afin de comprendre des phénomènes complexes tels que le départ définitif des Grecs d’Égypte. Ce faisant, il apparaît clairement que le départ des Grecs n’était pas un phénomène isolé, mais qu’il s’inscrivait dans le cadre de mouvements de population plus larges, liés à trois évolutions historiques différentes : la dissolution de l’Empire ottoman, l’effondrement des empires coloniaux et la guerre froide.

cairo1960s
Le centre-ville du Caire vers 1960

Vous mentionnez que de nombreuses communautés diasporiques ont historiquement précédé l’émergence de l’État national grec, ce qui a compliqué les relations entre le nouvel État grec et « sa » diaspora. Comment ces relations sont-elles évoluées au fil des ans ?        

La puissance démographique de la nation grecque et la géographie de l’État grec n’ont jamais été en parfait accord. Malgré le fait qu’un grand nombre de Grecs vivent hors de Grèce depuis la fondation de l’État grec, ce dernier n’a jamais développé une politique stable et cohérente à l’égard de la diaspora grecque. Et malgré les déclarations pompeuses des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux qui parlent d’un « hellénisme œcuménique », l’État grec ne traite pas tous les Grecs hors de ses frontières de la même manière. Sa préoccupation pour la diaspora est déterminée par ses propres besoins : la présence de Grecs dans les territoires de l’Empire ottoman, par exemple, soutenait la doctrine irrédentiste de la Grande Idée et le besoin d’expansion géographique. Après 1922 et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt pour la diaspora est limité. L’intérêt de la diaspora a été renforcé par le besoin de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale et a connu un grand renouveau dans les années 1970 après l’invasion turque de Chypre et dans les années 1990 lorsque la question macédonienne est revenue sur le devant de la scène.

L’État a tourné son regard vers une direction  plus bénéfique pour ses propres buts selon les circonstances : soit vers l’Est jusqu’en 1922, soit vers l’Ouest dans la période de l’après-guerre. Toutefois, outre l’orientation géographique générale, les aspects institutionnels, politiques et économiques des relations entre l’État et la diaspora étaient principalement basés sur des stratégies et des initiatives personnelles qui ne dépassaient que rarement la durée d’un mandat gouvernemental ou ministériel, ou d’une génération de la part de la communauté expatriée.

Pour la Grèce, c’est elle-même qui est au centre, et la communauté expatriée tourne autour d’elle. Mais pour de nombreux membres de la diaspora grecque, ce n’est pas forcément le cas. Au fil du temps, de nombreux Grecs de la diaspora n’ont pas considéré la Grèce comme leur seul ou même le principal point de référence. Par exemple, il existe des cas de Grecs ottomans qui ont décidé d’émigrer vers les États-Unis, la France et d’autres pays occidentaux sans jamais passer par la Grèce. De même, seule la moitié environ des Grecs qui ont quitté l’Égypte se sont rendus en Grèce. Les autres ont rejoint la diaspora dans le monde entier, en Afrique, en Europe occidentale, en Océanie et aux Amériques. Pour ces personnes, la patrie était et reste un espace culturel et imaginaire. Mais si l’on considère que « l’hellénisme n’a pas de frontières », comme le notait déjà l’Atlas Larousse illustré en 1901 —pour la raison supplémentaire qu’il s’agit d’un espace imaginaire— on ne peut ignorer ses multiples centres, tant politiques (l’État grec) que religieux ou autres symboliques (Istanbul, Jérusalem, Alexandrie). Le point de référence n’est donc pas toujours et pas uniquement la Grèce, mais des régions d’Asie mineure, d’Égypte, de Palestine et d’autres régions, principalement en Méditerranée orientale, où des populations grecques ont vécu pendant longtemps.

 1920px 50 largest Greek diaspora.svg
Les 50 pays comptant le plus de Grecs dans le monde. Source Wikipedia

Quels sont les défis auxquels les communautés de la diaspora grecque sont confrontées aujourd’hui dans la région élargie du Moyen-Orient ?

Chaque pays du Moyen-Orient a ses propres spécificités. Par exemple, la population grecque d’Égypte compte aujourd’hui trois composantes principales : les descendants des anciennes communautés florissantes qui n’ont jamais abandonné l’Égypte ; les expatriés nouvellement arrivés qui travaillent pour des entreprises grecques ou occidentales pendant un certain temps ; et les membres du clergé et les personnes proches du Patriarcat grec orthodoxe d’Alexandrie.

Chacune de ces sous-communautés est confrontée à des défis différents. Je dirais que la présence grecque séculaire, dont les racines remontent à l’ancienne communauté grecque d’Égypte, est la plus menacée. Le déclin démographique et le manque d’éducation appropriée sont les défis les plus importants. Il y a très peu de Grecs vivant en Égypte de nos jours et l’utilisation de la langue grecque diminue de jour en jour. L’État grec, et en particulier le ministère de l’éducation, a un rôle central à jouer dans ce domaine. Il devrait renforcer les structures éducatives dans la région et écouter plus attentivement les demandes des communautés. Quant au problème démographique des Grecs dans la région au sens large, nous devrions probablement reconsidérer qui est un Grec au Moyen-Orient et qui peut devenir Grec ou se rapprocher des communautés grecques.

Des exemples comme celui d’Eugenios Michailidis, que j’ai mentionné précédemment, peuvent nous montrer comment envisager ces relations à l’avenir. Vous savez, des centaines, voire des milliers d’étudiants originaires du Liban, d’Égypte, de Syrie, d’Iran et d’autres pays du Moyen-Orient ont étudié dans les universités grecques au cours des dernières décennies. De même, des milliers d’immigrants qui ont vécu et travaillé en Grèce pendant de nombreuses années sont rentrés dans leur pays. L’État grec ou d’autres associations font-ils des efforts significatifs pour maintenir des relations avec ces personnes après leur retour dans leur pays ? J’en doute fortement.

Cependant, ces personnes ont souvent une solide connaissance de la langue grecque et de la réalité grecque moderne. Certains d’entre eux ont épousé des Grecs. L’État grec devrait établir des liens avec eux et en faire des ambassadeurs officieux de la Grèce, afin que le pays puisse jouer un rôle culturel et économique plus dynamique en Méditerranée orientale.

Davantage de bourses devraient être accordées aux étudiants de la région afin qu’ils puissent étudier en Grèce. Les universités grecques ont toujours été un pôle pour les personnes de la région, mais l’État grec a traditionnellement fait preuve d’indifférence à leur égard. Au lieu d’accorder des visas d’or et citoyenneté à des personnes au statut économique et moral controversé parce qu’elles paient quelques milliers d’euros, nous devrions trouver des moyens d’exploiter le capital humain et culturel déjà présent. Ces personnes devraient être intégrées de manière créative dans les communautés actuelles et créer les communautés grecques de l’avenir.

Pour repenser la présence grecque au Moyen-Orient, il nous faut une connaissance historique de la région et de ses habitants, ainsi qu’une forte imagination et une attitude impartiale. Cela nous aidera également à repenser la Grèce et les moyens par lesquels les populations de migrants et de réfugiés du Moyen-Orient peuvent être intégrées dans notre pays et faire partie de la nation grecque.

 gazbia sirry life on the embankment of the nile ii 1960 aware women artists artistes femmes 1500x757
 Gazbia Sirry, Life on the Embankment of the Nile (II), 1960, huile sur toile, dimensions inconnues, Université américaine du Caire, Le Caire, avec l’aimable autorisation de la bibliothèque des livres rares et des collections spéciales, Université américaine du Caire.
 
* Propos recueillis par Ioulia Livaditi | Greek News Agenda
** Traduit vers le français par Lina Syriopoulou | Grèce Hebdo

Lire aussi sur Grèce Hebdo

TAGS: Grèce | histoire | Interview | migration