« Mobilités en crises : investigations critiques » est une série de dix séminaires autour de thématiques liées à la crise économique actuelle ainsi qu’à la crise des réfugiés organisée par la British School at Athens (BSA) et l’École française d’Athènes (EFA), en collaboration avec le British Institute at Ankara (BIAA), et financée par le réseau Balkan Futures et l’EFA.
 
Ces dix séances, qui se déroulent entre janvier et mai 2018 à Athènes [programme ici] dans les locaux de la BSA et de l’EFA, présentent des études originales par des chercheurs confirmés, visant à établir un forum de discussion entre différents champs scientifiques et espaces géographiques.
 
Les séminaires, ouverts au public,  se focalisent sur des thématiques liées à la notion de mobilité et, plus précisément, à comment elle est perçue à travers les représentations publiques, les perceptions quotidiennes et lesdites « mésinterprétations » de la crise. Ces thèmes introduisent différentes questions : la mobilité est-elle une notion qui doit être critiquée et/oupeut-elle être analysée comme le résultat de crises multiples ? Dans quelle mesure la mobilité et la crise sont-elles définies et reconfigurées à travers la race, l’ethnicité, la classe, le genre, la sexualité et/ou la religion ?
 
Pour en savoir plus sur « Mobilités en crises », Grèce Hebdo* a interviewé deux chercheurs de l’EFA en tant qu’organisateurs de ces séminaires: Angelos Dalachanis, historien, membre scientifique de l’Ecole française d’Athènes, section moderne et contemporaine et Iris Polyzos, sociologue, membre scientifique de l’Ecole française d’Athènes, section moderne et contemporaine. A mentionner aussi qu’Eirini Avramopoulou (Anthropologue, A. G. Leventis Fellow in Hellenic Studies, BSA) et la troisième membre du comité d’organisation, pour la part de British School of Athens.
 
Dalachanis et Polyzou parlent de l’augmentation de la mobilité pendant les années de la crise et de parallèles mouvements (migration interne / réfugiés vers la Grèce et Grecs vers l’étranger). Ils prétendent que la notion de “crise”, tant en Grèce qu’en Europe, y est exagérément utilisée et mobilisée pour décrire des phénomènes très différents. La mobilité, en tant que catégorie analytique, englobe ou participe à des phénomènes politiques et sociaux comme la santé publique, le travail, la prostitution etc. Ils parlent aussi du racisme et des enjeux de l’acceptation de la figure de l’étranger, qu’il s’agisse des réfugiés récents, des migrants originaires des Balkans venus dans les années 1990 ou même des arrivées massives liées à l’exode rural vers les grandes villes du pays dans les années 1950 et 1960.

 

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“Mobilités en crises : investigations critiques”: pourquoi une telle série de séminaires à Athènes aujourd’hui ?
 
Depuis près de dix ans, la Grèce se trouve à l’épicentre d’une crise économique sans précédent, dont l’un des effets est une forte augmentation de la mobilité sous la forme d’émigration. Certains observateurs estiment qu’il s’agit d’un mouvement d’environ 400 000 personnes, en majorité des jeunes diplômés, qui ont quitté la Grèce depuis le début de la crise. Ces départs coïncident avec un autre mouvement parallèle, celui des migrants économiques et des réfugiés dont la plupart ont fui des fronts de guerre du Moyen orient et d’Afrique. Prise au dépourvu, l’Europe ne parvient pas encore à gérer le problème collectivement, dans le cadre de l’Union européenne. Le résultat est une focalisation sur les conséquences de l’arrivée massive des réfugiés à des niveaux nationaux, plus particulièrement dans les pays d’Europe du sud, notamment la Grèce et l’Italie, qui ont accueilli la majorité des migrants et des réfugiés du fait de leur position géographique. La gestion de ce flux, ainsi que la définition/renégociation du statut du migrant ou du réfugié dans les sociétés dites “d’accueil” a eu des répercussions politiques sur l’ensemble de l’échiquier politique. L’engagement de plusieurs ONG en Grèce et le rétrécissement de l’État social face à ce phénomène complexe sont des aspects alarmants de cette gestion politique des flux migratoires.
 
Ces phénomènes parallèles, la crise et la mobilité, occupent à raison une place centrale dans les médias, et pas seulement en Grèce. La notion de “crise” y est exagérément utilisée, mobilisée pour décrire des phénomènes très différents, comme si elle serait en mesure de résumer toute une époque. De même, la mobilité sous ses formes diverses (migration interne / réfugiés vers la Grèce et Grecs vers l’étranger) préoccupe constamment l’opinion publique grecque. Elle est devenue synonyme d’un “problème” auquel il faudrait trouver des “solutions” qui parfois ne concernent en rien la réalité des personnes en mouvement et se désintéressent souvent des causes profondes de ces phénomènes.
 
Or, la mobilité n’est pas seulement une question d’actualité. En Grèce et dans la région de la Méditerranée de l’Est en général, elle a toujours été la règle, et non l’exception. Mais dans un monde qui est considéré par les médias et des disciplines scientifiques de plus en plus “globalisé”, la notion de mobilité contribue au renouvellement des questionnements en sciences sociales dont le regard est de moins en moins figé sur une approche statique des sujets.
 
Que se soit en histoire, en sociologie, en géographie ou en anthropologie, la mobilité se trouve au cœur des problématiques actuelles; elle constitue une catégorie analytique pertinente en soi et amène à en construire d’autres qui lui sont liés (circulation, exil, etc.). Elle ne concerne pas uniquement les humains qui se déplacent, elle englobe ou participe à des phénomènes politiques et sociaux comme la santé publique, la prostitution ou liés aux animaux. Toutes ces questions sont traitées dans la série de séminaires que nous organisons. La question centrale que nous posons est la suivante : est-ce que la crise fonctionne comme catalyseur de ces mouvements ou bien la crise ne constitue que l’apogée d’un processus plus long ?
 
Refugees street art by VangelisB
Graffiti de Vangelis B, Athènes.
 
Quels sont les principaux thèmes de ces séminaires ? Quelle a été la logique qui se trouve derrière ce choix ?
 
La série de dix séminaires, qui se déroulent entre janvier et mai 2018, est le fruit d’une collaboration entre institutions étrangères établies en Grèce (l’Ecole française d’Athènes et la British School at Athens, avec la participation du British Institute at Ankara), ainsi que d’universitaires provenant de différentes disciplines : une anthropologue, Eirini Avramopoulou, un historien, Angelos Dalachanis, et une sociologue, Iris Polyzos. Nous cosignons l’ensemble mais, dans la pratique, chacun de nous a pris en charge un certain nombre de séminaires en fonction de ses intérêts particuliers, sa discipline et ses disponibilités.
 
L’idée a été d’organiser une série de séminaires interdisciplinaires qui traitent de ces deux notions. Et notre pari semble avoir été gagné. Malgré leurs thématiques et disciplines diverses les intervenant(e)s enrichissent le débat autour de la crise et de la mobilité. A titre d’exemple, le séminaire de L. Korma – K. Gardika traite de la mobilité des soldats serbes durant les années 1912-1913 en Grèce et le contrôle exercé sur la mobilité ou l’immobilité de cette population, tandis que celui de S. Mugnano aborde les mobilités transnationales aux frontières de l’Europe. Ce sont des sujets très différents qu’il serait certes risqué de comparer mais le regard croisé entre des phénomènes séparés dans le temps et l’espace nous permet de discerner, d’une façon critique, des logiques qui se trouvent derrière la gestion des mouvements de population.
 
Notre objectif a aussi été de faire la liaison non seulement entre les disciplines mais aussi entre des traditions universitaires: la francophone, l’anglophone ou l’italophone, pour ne mentionner que ces trois, et les placer en dialogue avec nos collègues qui travaillent dans le monde universitaire grec, ainsi que dans la société civile. Les thèmes des séminaires portent sur différentes formes de mobilité qui se déroulent dans des contextes temporels et spatiales très différents: de la mobilité des intellectuels tunisiens durant les années 1930 entre la France et le Maghreb jusqu’aux géographies induites par la mobilité des migrants dans l’espace méditerranéen et sud-européen, en passant par la fabrication des multiples frontières dans le cas de ladite “crise” des réfugiés. Outre cette notion de mobilité, les séminaires abordent la notion de “crise”, du point de vue de comment elle est construite et mobilisée dans différents contextes.
 
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“Nostalgia”, de Christina Morali, Expo Nouvelles Patries (Αthènes, mars 2018).
 
Est-ce que les « mobilités » et les « crises » contribuent éventuellement à rendre les identités nationales et même personnelles plus flexibles ou, au contraire, dans un environnent d’incertitudes, celles-ci deviennent-elles plusintenses ?
 
Cela dépend de l’angle d’observation. Pour la population qui accueille, il y a certainement les deux effets à la fois. Il y a souvent une réaction négative qui émerge vis-à-vis de l’Autre, mais les flux migratoires peuvent aussi révéler une bonne partie de la population plus accueillante. L’arrivée des migrants et réfugiés en Grèce témoigne de ces deux réactions: d’une part, une partie de la population perçoit les nouveaux venus comme une « menace » qui risque de déstabiliser davantage la situation socio-économique du pays. Dans ce cas, la réaction identitaire de la population dite “nationale” peut s’amplifier considérablement, y compris avec la recrudescence des phénomènes de xénophobie ou de racisme. Ce racisme n’est pas un phénomène marginal, une série d’attentats ont été orchestrés et soutenus par l’Aube Dorée. Or, ce parti parlementaire néo-nazi à été voté par 379,581 personnes, soit 6,99% de l’électorat, lors des dernières élections législatives de septembre 2015.
 
D’autre part, les flux récents, du fait de leur intensité et de la gravité des drames personnels et familiaux qui se déroulent lors du déplacement par la voie maritime, suscitent des sentiments de solidarité envers les réfugiés. Face à des phénomènes de cette échelle, les identités nationales restent fluides et sont en évolution dans les deux cas. Ces réactions ne dépendent pas seulement des aspirations et des idéologies personnelles, elles relèvent aussi du contexte socio-économique de chaque période.
 
Ainsi, l’acceptation ou non de la figure de l’étranger, qu’il s’agisse des réfugiés récents, des migrants originaires des Balkans venus dans les années 1990 ou même des arrivées massives liées à l’exode rural vers les grandes villes du pays dans les années 1950 et 1960, restent un enjeux pour la population dite d’ “accueil”.
 
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha
  
Infos pratiques
Série de séminaires, Athènes: janvier-mai 2018 | Programme 
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