La journaliste Adéa Guillot, correspondante en Grèce chez Le Monde/ARTE/Le Soir, répond aux questions de GrèceHebdo*
 
Après les événements tragiques en France et la diffusion de la peur et de la terreur un peu partout en Europe, plusieurs gouvernements européens tentent d’établir un lien entre le terrorisme et les réfugiés qui affluent sur l’Europe. Faut-il s’attendre à un durcissement de la politique migratoire européenne?
 
Oui et d’ailleurs ce durcissement est déjà largement engagé. La semaine précédant les attentats j’étais en reportage en Allemagne et en Autriche où j’étais allée retrouver des familles de réfugiés que j’avais suivi de Kos à Skopje. Même s’il y avait déjà un débat mené par les plus conservateurs ou par l’extrême droite sur la nécessité d’arrêter la politique d’accueil des migrants, le climat était j’ai trouvé plutôt positif. Il y avait une volonté largement répandue de faire face, d’arriver à absorber le flux, liée à l’idée d’une responsabilité par rapport aux conflits syriens, irakiens ou afghans.
 
Et puis cette bonne volonté encore majoritaire s’est effondrée au lendemain des attentats. L’idée qu’il fallait au minimum ralentir le flux et accélerer la distinction entre réfugiés potentiels et “simples” migrants économiques, avec à la clé une déportation dans leur pays d’origine, s’est imposée. Seule Angela Merkel continue d’affirmer que son pays “peut y arriver” mais encore a t’elle commencé elle aussi de parler de ralentir le flux. Très vite, sous pression des pays du nord de l’Europe l’ARYM et la Serbie ont commencé à filtrer les réfugiés. A ne laisser passer que les Syriens, les Irakiens et les Afghans. Laissant tous les autres en Grèce. Je ne peux m’empêcher de penser que cela viole totalement la philosophie de l’asile telle que nous l’avions développée jusqu’ici. Car normalement, dans la tradition juridique européenne, chaque personne, quelle que soit sa nationalité devrait avoir le droit de déposer une demande d’asile. C’est au cas par cas que notre droit européen, jusqu’ici jugeait les dossiers et non par groupe de nationalités.
 
L’équilibre aujourd’hui est à trouver entre le respect de la convention de Genève et les capacités d’accueil européennes. Cela ne peut que passer par plus de solidarité et de concertation et plus de pression sur la Turquie pour qu’elle prenne aussi ses responsabilités sur les trafics en cours sur son territoire.
 
1.5 millions de  migrants ont traversé la Méditerranée pour arriver à l’Europe cette année, dont 80% via la Grèce. Est-ce que vous voyez le danger des migrants «enfermés» sur le territoire grec au sein d’«une Europe-forteresse»?
 
C’est déjà le cas. Sur les 2300 migrants refoulés d’Idomeni le 9 décembre dernier -les non Syriens Afghans ou Irakiens- 123 Marocains ont été arrêtés et enfermés dans un camp de rétention à Corinthe en attente de leur déportation. Les autres vivent soit dans les stades réquisitionnés par le gouvernement, soit dans des hôtels glauques du centre soit dans des appartements communautaires. Ils sont en tout cas coincés à Athènes, à la recherche de nouvelles voies pour contourner la frontière fermée de l’ARYM. Concrètement cela signifie que les passeurs mafieux qui tournaient au ralenti depuis cet été ont repris leur business. Ils demandent 1600 euros par migrant pour les amener jusqu’à l’Autriche en contournant la barrière de l’ARYM. Très peu pensent au retour volontaire. S’ils n’arrivent pas à quitter le pays mais continuent d’arriver de Turquie, on imagine bien l’engorgement que cela peut rapidement entraîner. Et ce alors que la Grèce n’a déjà pas assez d’infrastructures d’accueil pour gérer les arrivées de réfugiés et les demandeurs d’asile. Inévitablement cela ne peut déboucher que sur plus de rétention mais encore faut il avoir là aussi suffisemment de places. Aujourd’hui il y a dans le pays 4500 places de rétention mais qui sont déjà pas mal occupées. Je n’ai cependant pas encore obtenu les chiffres sur le nombre de places disponibles.
 
Vous êtes basée en Grèce depuis plusieurs années. Comment vous jugez la politique de la Grèce face aux immigrés?
 
Y’en a t’il une? Les précédents gouvernements conservateurs étaient très répressifs et dans une vision criminalisée du migrant et n’ont du coup absolument pas investi dans des structures d’accueil pour demandeurs d’asile ou sur des mesures de soutien à l’intégration comme il en existe dans les pays du nord. Aide à l’apprentissage de la langue, formation professionnelle, etc…. Et je parle aussi d’une période d’avant la crise où ce pays aurait pu mobiliser une partie de ses ressources pour organiser un système d’asile décent. Ce qu’il devient quasiment impossible de faire aujourd’hui maintenant que le besoin est plus pressant que jamais mais que les finances publiques sont à sec.

Et l’actuel gouvernement ne peut rien faire d’autre que de gérer l’urgence. Nous sommes tout de même dans une situation exceptionnelle et globalisée. Nous faisons face à un véritable mouvement de population qui concerne bien plus que la Grèce ou même la simple Europe. Je reste assez surprise que d’autres pays comme les Etats Unis ne s’impliquent pas plus pour prendre en charge une partie de ces quelques 2/3 millions de Syriens qui vont nous arriver dans les prochaines années. 

* Entretien accordé à Magdalini Varoucha
 
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