GrèceHebdo* a rencontré  le jeune comédien et réalisateur Aris Troupakis, qui tient le rôle principal du Compte Almaviva, à la pièce «Le Mariage de Figaro» de Beaumarchais, mise en scène par  Stathis Livathinos au Palais de la Musique (Megaron). Τroupakis au cours de ces dernières années participe à «l’équipe terrible» de Livathinos qui après la tournée internationale d’ Iliade d’Homère se penche encore une fois sur le théâtre classique choisissant Beaumarchais. De plus, Troupakis prépare actuellement à titre de metteur en scène les «Morts Voyageurs» d’Alexandros Papadiamandis, pièce prévue pour le mois d’avril au Théâtre Kefalinias.

Pourquoi Beaumarchais? Parlez-nous de ce choix.

Il faut tout d’abord dater. Cette œuvre, écrite en 1778, onze ans avant la Révolution française, se penche sur des questions telles que la lutte des classes et la hiérarchie sociale, l’argent, la situation de la femme au XVIIIème siècle et la mentalité petite bourgeoise. Considérée comme subversive et libertine à son époque, «Le Mariage de Figaro» nous invite au travail collectif, d’ où les défis pour notre équipe.

Cette œuvre classique parvient à nous parler aujourd’hui? Quelle lecture proposez-vous?

Figaro comme personnage est le symbole du flâneur, du nomade  qui vit librement, sans engagements,  révolté contre tout le monde. Une fois décidé de se marier (par amour, il ne faut l’oublier)  se trouve soudainement dans une position où il doit défendre une «propriété.» D’un jour a l’autre, Figaro se trouve avec une femme,   dispose de l’argent et du travail et s’efforce de  défendre tout cela à tout prix. Ainsi il commence pour la première fois dans sa vie à s’inquiéter, à perdre le sommeil.  Figaro doit brusquement défendre un statut qui ne l’intéressait guère auparavant puisque toutes ses appartenances jusqu’ alors (travail etc.) étaient souples, il pouvait les changer à n’importe quel moment.  Dans sa mise en scène Livathinos voulait mettre en évidence, d’une manière subtile et souterraine, la fin un peu tragique et amère du «libertin», tout en préservant les éléments comiques de l’histoire.

Autrement dit,  la famille comme un piège?

La famille est un symbole de bonheur, mais aussi un symbole d’engagement. Elle se situe dans le dipôle «liberté -sécurité.» Se sentir en  sécurité présuppose que j’éprouve de la peur, donc je ne peux pas être heureux. Ca va ainsi aussi sur le plan  politique, où on est dominé par la certitude  que c’est plus facile de gouverner les gens qui ont peur. En effet, ça c’est très évident dans les campagnes électorales où, souvent, la peur, le besoin de sécurité et de l’attachement à la sécurité matérielle l’emporte sur la vision à long terme.

 Qui est le Comte Almaviva, le rôle que vous jouez?

Le Comte est une âme vivante,  un séducteur un peu cynique qui s’ennuie terriblement. L’ennui est le sujet principal de sa vie, et la chasse de l’aventure est la seule chose qui l’excite. Lorsque la conquête s’effectue, tout se termine pour lui. Et en même temps, Almaviva incarne le rêve de Figaro.

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C’est un type de Don Juan?

C’est vrai, Almaviva partage  certains traits propres à Don Juan mais, contrairement à lui, il ne soulève pas des questions sur le plan moral, il est un personnage plus simple, sa seule problème est l’ennui et c’est  ça qui le rend très moderne. On éprouve de l’ennui quand on n’a rien pour se battre et tel était le cas des aristocrates de son temps.

Comment lutter contre l’ennui?

Je pense que ce qui rend nos vies intéressantes est le processus qui consiste à donner sens, donner signification aux expériences à travers des symbolismes. Mais cela ne se produit pas comme une «révélation», au contraire, cela s’apprend. Donner sens, ce n’est pas la réaction aux problèmes posés par la vie de tous les jours; il  nécessite des connaissances, un certain art d’exploration alors que  la lutte pour la survie est quelque chose de plus automatique, je dirais, instinctif.

Le processus du savoir est quelque chose de plus profond que les autres nous apprennent. Il porte sur  la gestion de la curiosité et  la transformation de celle-dernière en quelque chose d’essentiel. Il s’agit d’un mécanisme de trouver du sens dans les choses futiles du quotidien, voire d’un algorithme que quelqu’un d’autre nous aide à déverrouiller. Si cela se produit, le cerveau  arrive à trouver des débouchés et cela c’est l’antidote à l’ennui. Pour reprendre les mots d’Odysseas Elytis qui vivait dans une maison de 50 m²: «Quand je regarde le mur en face de moi, j’aperçois la colline d’Ymittos» Vivre d’une manière essentielle, c’est différent de la consommation des expériences. Le Compte en consomme sans avoir le sens du moment dans la mesure où il met ensemble sans distinction passé, présent et avenir.

Enquoi consiste l’art théâtral, pourquoi il vous attire?

Le théâtre, c’est l’art éphémère par excellence qui n’existe que dans la durée d’un spectacle (la performance enregistrée en vidéo n’est plus une performance théâtrale puisqu’il manque l’interaction avec le public). Le comédien, en temps réel, met ensemble le passé, le présent et le futur. Le théâtre est un art qui n’a pas changé au cours des siècles, sans être très affectée par le progrès technologique. Ιl comporte toujours les mêmes ingrédients: un corps débout en face de vous. La représentation théâtrale est l’hymne absolu au présent, elle ne laisse derrière elle aucune trace considérée à posteriori comme œuvre d’art. Autrement dit, c’est un art authentiquement populaire qui n’a  besoin que des êtres vivants, ici et maintenant. Tout ce qu’il nous faut, c’est le public. Pour reprendre la définition de  Peter Brook: «Le spectacle théâtral est la rencontre de deux parties autour d’un thème; tout simplement l’une partie est mieux préparée que l’autre».

* Entretien accordé à Magdalini Varoucha

INFOS PRATIQUES

“Le Mariage de Figaro” de Beaumarchais
Mise en scene: Stathis Livathinos
Athènes, avril et automne 2015 et janvier-février 2016

 

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