Architecte, urbaniste et designer, Jean-Michel Wilmotte est né en 1948 à Soissons (France). Il a créé sa propre agence d’architecture à Paris en 1975. Tous les sujets intéressent Jean-Michel Wilmotte, avec une égale curiosité : du plus improbable au plus évident, du plus haut de gamme au plus accessible, du plus petit au plus imposant. Jean-Michel Wilmotte n’a cessé de développer et de diversifier ses savoir-faire, en France et à l’étranger. Aujourd’hui, son agence est structurée autour de deux sociétés – l’agence d’architecture Wilmotte & Associés et le studio de design Wilmotte & Industries SAS – et gère simultanément plus d’une centaine de projets. Renommée pour l’éclectisme de sa production, l’élégance et la qualité de finition de ses projets, l’agence Wilmotte est présente dans les secteurs public et privé, dans le luxe, l’hôtellerie, le résidentiel et le tertiaire. Dans cette interview, accordée au Bureau de Presse et de Communication de l’Ambassade de Grèce en France, il nous parle de l’innovation qui se trouve au noyau de ses projets, inspirés de la vie, de divers endroits et des voyages, du caractère multiculturel de son équipe, ainsi que de la Fondation Wilmotte, reconnue pour son soutien aux jeunes et talentueux architectes. De plus, il nous a décrit les liens qui l’unissent avec la Grèce, ses impressions du nouveau Musée de l’Acropole et la possibilité d’une ‘’certaine’’ réinvention de la capitale grecque.
Innovation: c’est un mot-clé dans vos projets. Quelle est la source de votre inspiration et de l’innovation continuelle qui caractérisent votre travail ?
D’où me vient mon inspiration, tout simplement de la vie, ce que je vois, ce que je découvre dans les endroits où je vais, ce que j’observe lors de mes voyages. Mes nombreux déplacements me permettent de voir tellement de choses. Mes lectures et la musique sont aussi sources d’inspiration. Je pense que la vie de notre époque est inspiratrice pour un créateur.
Vos collaborateurs sont originaires de différents pays, qu’est ce que ce multiculturalisme apporte à votre travail ?
Vous parlez de créativité, l’étincelle peut venir dès que j’oriente quelqu’un sur un projet, ce matin, par exemple, j’ai eu une réunion avec un allemand et un sud-coréen, nous avons travaillé ensemble et nous nous comprenions très bien. Cela amène une certaine personnalité, cela nous pousse à ne pas faire les choses d’une manière systématique, à nous réinventer tout le temps, à soulever des questions. Ne pas entrer dans un phénomène de tic dans lequel on répète toujours la même chose, cela nous permet d’être plus créatifs. Nous sommes aussi beaucoup plus créatifs parce que nous abordons des domaines tellement différents, un jour on travaille sur une résidence privée, un autre sur une cathédrale, un hôpital, des hôtels en France et à l’étranger… Et puis, nous travaillons aussi dans différents pays, en Russie, en Afrique, au Brésil et beaucoup en Corée du Sud, c’est très très varié, et cette variété de lieux participe aussi à la créativité. Les voyages sont importants, on croise des gens, on découvre des lieux, on étudie, on essaie de comprendre leurs mœurs, leurs coutumes, leurs modes de vie et cela s’entremêle, nous enrichit et fait que l’on devienne très créatif. L’un des grands projets que nous réalisons en ce moment est le siège de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest. Cela est un vrai grand projet pour nous parce que cela va réunir plus d’une vingtaine de pays de toute l’Afrique de l’Ouest. Cela requiert de la créativité, cela demande d’être différent. Cela donne une impulsion, un dynamisme.
La Fondation Wilmotte est reconnue pour son soutien aux jeunes et talentueux architectes.
On aide depuis douze ans les jeunes architectes sous la forme d’un concours, on leur demande de réfléchir sur des sujets spécifiques, des prix sont attribués et distribués, on s’occupe de les faire connaître, on édite une sorte de livre et communique dans la presse. C’est très important à mes yeux et on va la développer encore plus. J’aimerais bien qu’il y ait plus d’architectes grecs qui répondent à la Fondation, d’ici à six mois je solliciterais votre aide pour trouver des jeunes étudiants grecs.
Vous avez terminé un grand projet à Station F, l’un des plus grands campus de start-ups au monde. Est-ce quelque chose qui vous intéresse ?
Cela m’intéressait d’imaginer comment sur 35.000 m2, on pouvait faire vivre et travailler des jeunes qui sont en passe de monter leur entreprise. C’est cela qui m’intéressait et puis comprendre comment ils souhaitaient travailler afin de mettre au point ces nouveaux modes de travail, les organiser un petit peu, tout en gardant une grande liberté et une souplesse de fonctionnement, en conservant une grande flexibilité leur permettant de travailler à 5 ou à 50, l’environnement reste ainsi flexible et modulable.
Pensez-vous que l’on puisse appliquer ce style de mode de travail à toutes les entreprises même plus classiques ?
Je pense que ce style peut être adopté mais pas de manière systématique par toutes les entreprises, Je pense qu’il n’y a pas un modèle unique, il y a plusieurs modèles dont l’open space qui touche plutôt certaines générations qui évoluent mieux dans un tel environnement. Évidemment cela peut convenir à certaines entreprises dans leur globalité ou partiellement pour certains secteurs de l’entreprise. Par exemple, pour les R&D (Recherche et développement) c’est parfait, cela fait partie d’une sorte de brainstorming.
Vous avez réalisé plusieurs grands projets en France ainsi qu’à l’étranger (Congo, Brésil, etc). Avez-vous déjà vu un projet que vous auriez aimé avoir pensé ?
Il y a beaucoup de lieux, de grandes universités, des musées, des hôtels exceptionnels, on voit tout le temps des lieux magnifiques. Que se soit au Japon avec les îles Mishima-mura. Il y a des sites classés, historiques où l’on peut faire des interventions exceptionnelles.
En 2016, vous avez conçu le Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe à Paris, un projet qui a engendré de nombreuses polémiques. Vous l’avez caractérisé comme “votre coup de coeur”. Qu’est-ce que ce centre signifie et représente pour vous?
Non, il n’y a pas eu de polémiques, moi je ne les ai pas vu, il y en a peut-être eu avant mais elles ont cessé une fois que nous avons eu le projet. Je vous promets qu’au cours des trois dernières années, seulement un journaliste n’a pas été très sympathique. Il ne se passe pas une semaine sans que je croise quelqu’un qui me parle de l’église, c’est magnifique, le bâtiment, les coupoles et les bulbes changent de couleur en fonction de la lumière, des saisons et du moment de la journée. J’adore.
Vous l’avez caractérisé comme votre coup de cœur…..
Oui c’était à la fois un coup de cœur sur un sujet qui est très sérieux, un sujet qui représente une nation, une religion très respectable, et moi j’adore la Russie, j’adore ce peuple et j’ai découvert la religion orthodoxe grâce à des clients qui m’ont fait participer aux fêtes de Pâques, j’ai été très touché et ému par les cérémonies. Je m’y suis intéressé puis j’ai fait le concours, dans une deuxième étape du concours, j’ai remporté le projet, cela m’a permis par la suite de rencontrer toutes les autorités au Kremlin, le Patriarche dans le cloître où il réside en dehors de Moscou, le Président de la République. J’ai également fait la connaissance de personnes de grande qualité. Et j’ai donné tout mon cœur pour faire quelque chose de beau.
Qu’est ce qui provoque en vous l’étincelle qui vous fait accepter un projet ?
C’est l’enthousiasme, moi j’ai un enthousiasme permanent qui me pousse à accepter des projets parce que c’est quelque chose de nouveau. La curiosité de découvrir de nouveaux projets, de connaître de nouvelles personnes, de nouveaux commanditaires qui vous demandent un projet sur des sujets que vous ne connaissez pas. C’est un tout où se mêlent curiosité et enthousiasme.
Vous est-il arrivé de concevoir un nouveau projet à partir d’un simple détail d’un site, d’un monument ? Si oui, pouvez-vous nous dire lesquels et pourquoi ?
Cela m’arrive tout le temps, j’ai souvent des réactions comme ça, par exemple, lors d’un séjour dans le Bordelais on m’a demandé de refaire des chais et tout de suite l’idée a jailli d’ajouter des ailes en verre au château et cela a marché. Souvent c’est une impulsion, une première inspiration.
Vous avez voyagé en Grèce, vous avez tissé des liens dans le pays. Quels sont les plus importants avantages / les traits les plus forts du paysage naturel grec qu’un architecte pourrait utiliser de manière créative ?
La Grèce, c’est un fondement de notre civilisation donc déjà très importante, il y a la Grèce du mainland et la Grèce des îles, se sont deux Grèce différentes mais qui sont tellement complémentaires et tellement belles. C’est magnifique, j’aime la lumière et la présence de la mer. Mais même dans une ville comme Athènes, moi j’aime l’organisation de la ville à proximité de la mer, l’organisation de la ville autour du Parthénon. J’aime l’idée que la ville gravite autour, tout d’un coup au détour d’une rue on l’aperçoit. Lorsque je vais à Athènes, je descends dans un hôtel à Lycabette et à chaque fois je le vois là juste en face dans toute sa majesté ! Je trouve cela magnifique. J’aime bien les collines, les différents quartiers qui pourraient être développés encore très bien. Il y a une base d’une architecture classique avec des citations classiques c’est tout ce que j’aime et en même temps ce que j’adore c’est le petit village de petites maisons avec leurs petits jardins qui s’est construit sur la colline du Parthénon (Anafiotika). Je me suis promené dans les ruelles aux petits jardins et aux maisons dont les toitures quelque fois sont effondrées, une promenade qui m’a pris deux heures !
En parlant du Parthénon quelle est votre opinion sur le nouveau Musée de l’Acropole ?
J’aime bien mais je ne peux pas l’adorer complètement dans la mesure où j’ai fait le concours et que je ne l’ai pas gagné, mais j’avais une idée un peu plus forte que ça. J’avais une idée qui est toujours d’actualité. On va en faire un autre, ne vous inquiétez pas ! J’y vais, j’arrive….
Réinventer Athènes: est-il possible, selon vous? Où puiseriez-vous votre inspiration ?
Réinventer Athènes est un terme qui ne convient pas à Athènes, je pense qu’il faut aimer Athènes et quand on aime Athènes on a envie de la développer, de l’améliorer, de nettoyer les choses, de redonner vie à certains quartiers. Je pense qu’Athènes est un assemblage de quartiers qui sont formidables où vous pouvez vous balader. J’adore me promener dans le quartier de Kolonaki, la place est magnifique mais elle est un peu laissée à l’abandon. Mais, en la remettant en eau avec les fontaines, en restaurant les différentes terrasses, la végétation, elle peut redevenir un véritable bijou, il y a six mois de travaux pour polir les pierres, les recoller, remettre les fontaines en eau, planter des arbres, les retailler et repenser l’éclairage et cela deviendrait quelque chose d’extraordinaire. Ce quartier est un petit village, je vois Athènes comme une succession de petits villages et on passe de l’un à l’autre.
Il y a comme cela 2-3 endroits qui pourraient être remis en route. Quand je descends de Lycabette, il y a tous les jardins avec les arcades qui sont fermées. Il faut refaire le cinéma Attikon ravagé par un incendie et s’occuper de l’hôtel Esperia Pallas laissé à l’abandon juste à côté, il ne faut pas laisser cela en pleine ville. Pour moi, Athènes il faut la refaire avec acupuncture, par petites zones. Cette ville n’a pas besoin de grandes infrastructures, je pense qu’elle a vécu un choc d’infrastructures pour les JO, cela suffit ce n’est pas la peine de l’abîmer davantage, ça va très bien.
L’exemple de Paris, réinventer Paris, c’est une accroche qui a été inventée pour faire du marketing autour de cette idée-là. Moi, ce que je veux dire aujourd’hui c’est que la Grèce a besoin d’un traitement par acupuncture, de douceur. Il y a plein de quartiers formidables qui sont bien. J’adore ce quartier, il y a des endroits magnifiques, il y a un restaurant où du premier étage on se retrouve face au Parthénon comme une grosse lanterne et c’est sublime. Il y a plein de petits quartiers, des rues qu’il suffit de réaménager un petit peu mais pas grand-chose. Il faut déjà conquérir la ville et puis après on verra pour le développement, c’est pas une super-métropole c’est une jolie ville à échelle humaine.
On ne va pas appeler « réinventer Athènes » alors que l’on veut réaménager la côte, l’ancien aéroport, Le Pirée où il y a beaucoup de possibilités. Il y a trois quartiers au Pirée, il n’y a rien à réinventer, moi je serai bête de réinventer Athènes. Athènes existe, il y a tellement de choses, quand vous partez du Pirée il y a deux-trois autour des petites darses où l’on peut faire des quartiers magnifiques. Il y a aussi beaucoup de choses à faire autour de l’ancien aéroport qui donne sur la mer. En continuant il y a le nouveau Centre Culturel Niarchos qui est absolument extraordinaire. Un très beau projet qui devrait générer autour des galeries, des tas d’événements autour de ce centre. Après on remonte, on peut s’occuper de la grande avenue le long du littoral qui est un peu autoroutière, on peut la stopper un peu, en la végétalisant un peu, voilà c’est tout. Après il faut faire des choses qui peuvent s’entretenir.
Il y a aussi des quartiers un peu plus industriels à rénover, rien qu’au Pirée il y a d’anciens hangars que l’on pourrait transformer en hôtel exceptionnel, en musée, il y a plein de choses à y faire.
Pensez-vous que d’un point de vue architectural on puisse intégrer des touches plus modernes ?
Oui il y a quelques immeubles contemporains qui peuvent cohabiter avec, même qui quelque fois sont un petit peu brutaux c’est pas grave. L’immeuble en face de l’hôtel à Lycabette, l’immeuble en travertins moi il ne me gêne pas, il est grec de « Miami » mais cela ne me gêne pas du tout. C’est bien qu’il y est comme ça des objets qui réveillent la ville.
©Photo: Yiorgis Yerolymbos
Même si ce n’est pas de la qualité du Centre Culturel Niarchos ?
Niarchos c’est sublime. Je crois beaucoup à l’aménagement du Pirée à tout ce que l’on peut y faire. Je pense que la Grèce a quand même une racine extraordinaire, c’est le patrimoine archéologique. Je trouve que l’on ne devrait pas construire un bâtiment contemporain en omettant un élément du patrimoine archéologique dans les espaces intérieurs, il faudrait à chaque fois qu’il y est un rappel avec le patrimoine archéologique même dans les parcs et les jardins, cela serait magnifique, on pourrait ramener cette idée.
Vous avez déclaré que “créer de grandes esplanades génère des difficultés pour la sécurité et l’ordre public”. Est-ce que vous pensez que l’aménagement de la place Syntagma, une place centrale d’Athènes où de nombreuses manifestations sont organisées, a également joué un rôle crucial sur les évènements sociopolitiques pendant la crise? Que proposez-vous afin de mieux contrôler les grandes places?
Je pense, oui parfois cela génère des regroupements, il suffit de voir ce que l’on a fait à République, il y a une façon de structurer l’espace en respectant un équilibre entre le végétal et le minéral qui fait que l’on peut organiser l’espace et pas en faire des lieux de rassemblement prêts à manifester. C’est un avis très personnel, cela peut-être structuré par des jardins, par de l’eau, recomposer l’espace public de sorte à ce qu’il y ait une promenade agréable plutôt qu’une esplanade pour des gens qui tiennent des banderoles.
Mon rêve c’est rénover la place Kolonaki, en refaire un petit bijou.
* L’interview a été accordée au Bureau de Presse et de Communication de l’Ambassade de Grèce en France
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