Elettra Stamboulis est née à Bologne en 1969. Écrivain et commissaire d’exposition, elle a assuré pendant plusieurs années la programmation du festival de la bande dessinée du réel Komikazen (Italie) et a organisé des expositions de Marjane Satrapi, Joe Sacco et Alexander Zograf. Ella a collaboré avec plusieurs revues, tant en Italie qu’à l’étranger, publiant ses textes dans Linus, Pagina99, Internazionale, Le Monde diplomatique, Efsyn.
Elettra Stamboulis est active aussi en tant que scénariste de bande dessinée. Elle à écrit le scénario de L’ammaestratore di Istanbul (Comma 22, 2008), Officina del macello (Edizioni del Vento, 2008; réimpression, Eris Edizioni, 2014), Cena con Gramsci (Becco giallo, 2012), Arrivederci Berlinguer (Becco giallo, 2013), Pertini tra le nuvole (Becco Giallo, 2014), Diario segreto di Pasolini (Becco giallo, 2015) tous en collaboration avec le dessinateur Gianluca Costantini.
La bande dessinée Petite Jérusalem, réalisée avec Angelo Mennilo, a été pré-publiée dans la revue italienne G.I.U.D.A. et a ensuite été traduite en grec (Jemma Press, 2016) et en turc (Istos Publishing House, 2017). Dans ce livre qui vient de paraitre en français (Editions Racham, février 2018), Elettra Stamboulis brosse par petites touches un portrait intime de Thessalonique, trait d’union entre l’Orient et l’Occident, ville à l’histoire millénaire et aux multiples facettes séfarades, valaques, arméniennes, pontiques, albanaises. Le récit d’Elettra Stamboulis, avec les dessins d’Angelo Mennillo, dressent le portrait de ce ville emblématique de Grèce à travers son histoire récente : l’Occupation allemande, l’extermination presque totale de sa communauté juive, la Guerre civile qui l’a divisée et ensanglantée, comme le pays tout entier.
Grèce Hebdo a interviewé* Elettra Stamboulis à propos de son livre Petite Jérusalem, ses rapports avec la Grèce et Salonique et sur le passé multiculturel de la petite Jérusalem grecque.
Pourriez-vous décrire brièvement le livre ?
Le protagoniste est un Grec né en Bulgarie qui “retourne” à Thessalonique après la chute du Mur de Berlin. Nous comprenons qu’il il œuvre dans le milieu linguistique, en tant que nouveau chercheur. Le livre a deux lignes narratives parallèles, la première montrant le protagoniste en tant que voyageur à Thessalonique. Il révèle des pièces de l’histoire de la ville qui ne sont pas conformes à l’histoire collective soi-disant « reconnue ». En même temps, nous lisons les lettres qu’il écrit à sa grand-mère, qui vit toujours à Varna et qui apprend qu’il est un réfugié civil de la guerre civile.
Essentiellement, le livre compose mes souvenirs de famille avec l’histoire de la Grèce moderne sur le fond de la ville de Thessalonique, qui est sans doute symboliquement la ville qui traduit le concept de «ville» dans la Grèce moderne.
Pourquoi Thessalonique et son identité multinationale vous ont-elles ému ? Pensez-vous que cette ville est définitivement perdue ?
Mon grand-père était analphabète, il ne savait lire que lorsqu’il était assez vieux avec l’aide de réfugiés Pontiens, mais il parlait quatre langues et le grec était sa troisième langue. Mon oncle, qui a vécu et est mort en Bulgarie et dont le fils a donné son nom au protagoniste du livre, parlait au moins cinq langues et pouvait comprendre plusieurs encore. Cela m’a impressionné depuis mon jeune âge. J’ai grandi dans une ville unilingue en Italie, où l’on me considérait exotique puisque je connaissais le grec… mais quand je venais à Thessalonique, je ne trouvais rien d’une identité multinationale. Je parle bien sûr des années 1980. Où était tout ce monde? Où étaient tous ces mots et la musique que j’entendais parfois à la maison? Un livre, un chercheur anglais, vint ouvrir mes yeux pour voir les fantômes, comme Mark Mazower les appelle dans (son livre) « Thessalonique. La ville des fantômes ». Un livre qui est présent comme une ombre tout au long de la « Petite Jérusalem ».
Je crois que cette Thessalonique-là, qui ne contient pas une, mais plusieurs références, est définitivement perdue, mais il y a maintenant un nouveau multiculturalisme dynamique et un multilinguisme à la recherche de nouvelles voix narratives. En partie, le film « Une éternité et un jour » de Theodoros Angelopoulos était prophétique ou avait-il peut-être un regard sur l’avenir etnous a donné une image révélatrice de nouveaux fantômes. Depuis 1998, l’année du film, et 1990, l’année où se déroule l’histoire de «La Petite Jérusalem», des décennies ont passé et en outre, une nouvelle image géopolitique dans la Méditerranée orientale a été créée. Je me suis aussi intéressée au regard de ceux qui ont vu pour la première fois une patrie qu’ils n’avaient connue que via des histoires de leurs parents. Plusieurs fois, la distance nous permet d’avoir une image plus claire.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans l’histoire des Juifs de Thessalonique ?
Je dirais l’éternité et un jour. C’est-à-dire, la façon soudaine dont une communauté séculaire a été perdue. “Un jour,” mon grand-père a dit, “nous sommes descendus au quartier Modianou et il y avait un silence étrange.” Aussi, ce qui était unique dans la narration grecque de l’histoire est la perte de mémoire des Juifs grecs. Comme un vent qui passe, et non pas un acte conscient auquel les Grecs ont aussi contribué. Le sujet de raconter l’histoire grecque moderne est l’un des points les plus critiques de l’identité nationale. Bien sûr, aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé en ce qui concerne cette question cruciale, mais le lien est toujours là. En d’autres termes, la génération des quinquagénaires, essentiellement la génération qui gouverne maintenant, n’a pas grandi avec la connaissance de la pluralité des formes et la richesse culturelle de son héritage. Ceci est illustré par les récentes protestations contre le nom de l’ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine). De nos jours, le Grec contemporain tend à s’identifier avec Alexandre le Grand, choisissant de ne pas se concentrer sur l’identité multiculturelle, qui inclut les Juifs de Thessalonique. En outre, le royaume d’Alexandre le Grand se composait de nombreuses cultures différentes, [chose qui est négligée].
Qu’aimeriez-vous que votre livre provoque chez les lecteurs ?
La contribution de l’histoire grecque à la constitution de l’identité collective européenne se termine en 146 av. J.-C., lorsque Corinthe antique fut détruite par les Romains, ce qui marque la conquête romaine du pays. Ensuite, je dirais que la Grèce est principalement liée à un restaurant et un parapluie dans la mer, pour le dire simplement. Je suis la fille de réfugiés politiques à l’époque de la dictature des Colonels, mais j’ai grandi et étudié seulement dans les écoles italiennes. Je me sentais fière quand nous enseignions l’histoire ancienne, bien que je ne trouvais aucune corrélation avec la Grèce que je connaissais …
Quand nous sommes arrivés au récit de l’après-guerre, nos livres présentaient une Europe divisée mais en paix. Cependant, je savais qu’en Grèce, la guerre se poursuivait après la fin de la seconde guerre mondiale (guerre civile grecque 1946-1949), pour laquelle il n’y avait aucune référence au manuel d’histoire du lycée classique où j’étudiais. Quand j’essayais de raconter des histoires personnelles à des amis et à des connaissances, ils me regardaient avec méfiance: «Est-ce que tu nous dis la vérité ? Ce qui est, bien entendu, plus impressionnant, c’est que beaucoup de mes cousins en Grèce ne savaient pas ce qui s’était passé. En d’autres termes, l’oubli de l’histoire grecque récente n’a pas seulement caractérisé les communautés linguistiques étrangères. Ce n’est pas une coïncidence si la première édition du livre “Petite Jérusalem” était en grec, bien qu’elle ait été écrite en italien pour le public italien. Enfin, le livre sera publié en italien l’année prochaine, ayant déjà été publié en turc et en français. Jusqu’à présent, les éditeurs italiens m’ont dit que c’était une histoire extrêmement difficile pour le public italien. Il est à noter, cependant, que l’Italie est en nombre absolu le quatrième pays d’origine des touristes étrangers, après l’Allemagne, l’Angleterre et la France. Ce que nous voyons dépend de ce que nous savons. La vision n’est pas un sens neutre. Et nous sommes ce dont nous nous souvenons.
De votre livre, nous concluons qu’il y a des personnages historiques qui ont servi de sources d’inspiration. Voulez-vous nous parler de cela ?
La source d’inspiration essentielle est mon histoire de famille, que j’ai utilisée comme un morceau de puzzle qui montre finalement une image qui n’est pas la vraie histoire, mais elle est réelle. En même temps, j’ai utilisé une richesse de documents historiques et en prose, comme la biographie de Freddy Germanos pour Nikos Zachariadis. Beaucoup de données sont entrées dans le creuset de la Petite Jérusalem… Mais la mémoire autobiographique était définitivement le fil d’Ariane. Essentiellement, le livre est une recherche narrative sur le problème toujours présent de la migration. Cette approche, à mon avis, conduit à une compréhension plus réelle de notre identité personnelle que la coexistence dans des ensembles homogènes.
* Interview accordée à Magdalini Varoucha
** Traduction du grec : Nicole Stellos | Remerciements pour leur aide à Sofia Christaki et Hugo Tortel
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M.V.