Eleni Alexandrakis est née à Athènes en 1957. Elle a étudié le cinéma à l’Université de la Sorbonne, à Paris I et à l’École nationale du Film et de la Télévision d’Angleterre. Elle a écrit, réalisé et produit plusieurs films de fiction et documentaires, parmi lesquels: “A Drop in the Ocean” (fiction, 1995), “Easter is in the air” (documentaire, 1999) “La “The Woman who longed for Home” (fiction, 2004) “Angel and the Weightlifter” (fiction, 2008). Elle a reçu plusieurs prix en Grèce et à l’étranger.
Dans son récent documentaire “Kostis -: The Sweetest Misanthrope“, la réalisatrice Eleni Alexandrakis dépeint Kostis Papagiorgis, un essayiste original et traducteur. Évitant la sentimentalité, son film est un exercice rafraîchissant d’intertextualité, dans lequel des extraits de ses textes ainsi que des témoignages provenant d’importants représentants de la scène intellectuelle grecque composent une image de l’essayiste défunt.
Alexandrakis s’est entretenu avec nos publications Greek News Agenda and et GrèceHebdo* sur son dernier documentaire “Kostis Papagiorgis: The Sweetest Misanthrope” (2018) qui a remporté le Prix de l’Association Grecque de la Critique au 20ème Festival du Documentaire de Thessalonique.
Votre documentaire entreprend la tâche difficile de visualiser l’absence d’un intellectuel important comme Kostis Papagiorgis. Papagiorgis a évité d’apparaître dans les médias. Comment avez-vous géré l’absence de références visuelles?
Kostis Papagiorgis a évité l’auto-exhibition comme la peste, donc on ne trouve aucune photo de lui nulle part. Les seules images vivantes qui existent et que j’ai utilisées dans mon documentaire sont des vidéos maison, et quelques plans muets de lui que Nikos Perrakis avait filmés en 1994 pour son documentaire “Polis” (plans qu’il n’a jamais inclus dans son film). J’ai donc dû composer un puzzle de la personnalité de Kostis à travers les images inspirées par ses textes, combinées avec les mots des gens qui le connaissaient. C’était extrêmement difficile pour moi car je sentais que je reconstruisais son image à partir de zéro et que je créais une «partition musicale» des «notes» qui composent sa vie. Des intellectuels, des artistes, des parents ou des personnes ordinaires ont ajouté leurs propres touches au portrait.
Bien que Papagiorgis n’ait pas poursuivi d’études académiques, il a suivi des cours de philosophie pendant son séjour en France. Dans quelle mesure estimez-vous que cette «période française» l’a influencé?
Papagiorgis était autodidacte puisqu’il méprisait toujours l’éducation et les postes académiques. Il était trop rebelle pour être un étudiant classique. Il avait une telle autodiscipline et un esprit brillant qu’il a réussi à apprendre le français entièrement seul et à étudier la philosophie par lui-même. Tandis que Kostis vivait à Paris, enfermé pendant des jours et des nuits dans sa petite chambre de bonne, il a lu quarante fois «Etre et Temps » de Heidegger parmi les nombreux autres livres qu’il étudiait également. Papagiorgis admirait la civilisation occidentale et, comme il disait, il commençait réellement à comprendre Platon en lisant Heiddeger. Cela a bien sûr influencé et inspiré sa pensée, ainsi que les romans du 19ème siècle, qu’il adorait. Mais tout cela servait surtout à le faire contempler son âme et son cœur, et à travers ce regard intérieur, pour voir clairement les particularités de sa propre personnalité et de son propre pays. Après son retour en Grèce, il sentait qu’il devait arrêter d’écrire «la main sur la bibliothèque» mais il devait écrire «la main sur son cœur», ce qui l’amena à écrire sur la passion, l’ivresse, la jalousie, la misanthropie, la mort, la sympathie, l’Histoire grecque, Papadiamantis, Dostoïevski, Nietzsche et une multitude d’autres sujets. En écrivant à travers sa propre expérience, il s’exprime sur les problèmes universels de l’humanité. Après avoir vécu huit ans à Paris, il a traduit 54 livres du français (en grec) des plus grands penseurs de la civilisation occidentale.
L’œuvre riche de traductions de Papagiorgis comprend des écrits de Βalzac, Foucault, Cioran, Lyotard, Pascal, Sartre, Bergson, Derrida, etc. Qui étaient ses penseurs préférés?
Je crois que Balzac, Cioran et Pascal étaient probablement parmi ses favoris. Pour montrer son amour de Balzac, je vous donne ci-dessous un petit extrait de l’introduction de Papagiorgis à son Anthologie Balzac de « La Comédie humaine »:
“En tant que romancier, historien, physiologiste, alchimiste, psychologue et sociologue, Balzac a réalisé l’impossible dans les circonstances actuelles: il est devenu le miroir d’une société frappée par les effets de la Révolution française, des Guerres napoléoniennes et la Restauration. […] Il ne serait pas inopportun de penser que cette hypothétique interview** avec Honoré de Balzac nous permette d’esquisser les traits du XIXe siècle entier. “
* Entretien accordé à Florentia Kiortsi (Greek News Agenda) avec la contribution de Magdalini Varoucha (Grèce Hebdo). Traduction de l’anglais: Nicole Stellos
** Kostis veut dire ici que l’anthologie qu’il a faite des phrases de Balzac est comme une interview hypothétique
Kostis Papagiorgis, the Sweetest Misanthrope (2018), Trailer
M.V.
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