Lena Kallergi (1978) est poétesse et traductrice, dont le troisième recueil Ανήμερο (Ikaros 2023, prix de poésie de la revue Anagnostis 2024) vient de paraitre en France sous le titre  Fauve  en version bilingue aux éditions Desmos  (traduction par Denisse Laurence Campet, 2024). Elle a aussi publie en grec les recueils Περισσεύει ένα πλοίο (Gavriilidis, 2016) et  Κήποι στην άμμο (Gavriilidis, 2010, prix Maria Polydouri pour les nouveaux poètes).  Elle a aussi participé à deux volumes collectives (Ομάδα Από Ποίηση, Gavriilidis, 2010 et 2012). Elle a traduit, entre autres, des poèmes de Giacomo Leopardi, Samuel Taylor Coleridge, William Wordsworth, John Keats etc..

Lena Kallergi a été l’une des 10 poètes contemporains invités au 41e Marché de la Poésie en France dont la Grèce était le pays d’honneur (Paris, 19 – 23 juin 2024). Elle a parlé à Grèce Hebdo* sur les « patries » de la poésie, ainsi que sur la notion du temps et l’exploration de la nature humaine.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous exprimer par les mots, comment êtes-vous arrivée à la poésie ?

Depuis toute petite, j’aimais et comprenais les textes littéraires, les contes de fées, les histoires pour enfants, mais surtout les poèmes. À l’école, mes livres préférés étaient les anthologies littéraires. Lorsque, en grandissant, j’ai découvert la poésie d’abord d’Elytis, Karyotakis, Cavafy et Seferis, puis de Dimoula, Mastoraki, Laina, Engonopoulos et bien d’autres, j’ai été très attirée. La fascination que la poésie exerçait sur moi était plus profonde que tout autre domaine de la création humaine, et j’ai donc souhaité pouvoir m’exprimer de cette manière. J’écris mes propres poèmes depuis que j’ai appris à écrire et j’ai eu la chance d’avoir des professeurs à l’école primaire qui nous faisaient écrire des poèmes sous forme de jeux ou de petits devoirs. C’est ainsi que je me suis assuré que c’était ce que je voulais suivre, que cela me donnait plus de sens à la vie.

Dans votre troisième recueil de poésie Animero, qui vient de paraitre en français (Fauve, Editions Desmos, 2024, traduit par Denisse Laurence Campet), vous explorez les parts sombres de la nature humaine et du monde qui nous entoure. Qu’est-ce que la nature pour vous ?

La nature, c’est nous-mêmes avec d’autres créatures. Il ne s’agit pas seulement de l’endroit où nous vivons ou visitons lorsque nous quittons les villes. Ce n’est pas quelque chose d’abstrait et de lointain, mais ce n’est pas non plus quelque chose d’extérieur à nous. Nous ne pouvons certainement pas la dominer, comme nous l’avions imaginé dans le passé, et je ne pense pas qu’il soit logique de penser que nous la protégerons, comme nous le faisons aujourd’hui. Cela ne nous a pas fait grand bien en tant qu’espèce de nous placer dans la position du plus fort ou de celui qui a plus de droits et de privilèges que les autres espèces. Je ne trouve pas ça si “naturel”. Il serait peut-être préférable de se connecter aux éléments et créatures du monde et de voir la vie comme quelque chose qui contient à la fois des parties claires et sombres, de la tendresse, du sang et de la violence, ayant quand même du respect pour un rythme plus profond.

Cela vous préoccupe, la recherche du « vrai » soi, au sens d’une existence honnête, ou voyez-vous la nature humaine comme plus fluide et éphémère ?

Je considère la nature humaine comme éphémère et assez fluide, mais cela n’empêche pas la recherche et l’exploit d’un soi ou d’un mode de vie plus authentique. La façon dont nous existons peut avoir plus de sens si nous le désirons et essayons. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes et avec les autres et si on connait nos motivations, nos désirs et nos limites, nous nous entendrons probablement mieux, nous comporterons mieux et nous sentirons plus satisfaits, plus heureux. Notre nature éphémère crée un besoin d’authenticité.

Quel est le rôle du temps dans votre vie ? Avez-vous l’impression que le présent domine, comme dans les poèmes du recueil « Fauve » ?

J’aimerais que le présent domine. Il est plus important que notre passé et plus certain que l’avenir. J’ai voulu que les poèmes d’Animero soient des poèmes d’action, pour autant que cela soit possible dans l’écriture qui implique la réflexion et l’imagination, donc à la fois le passé et le futur dans l’instant qu’elle incarne. Ma relation avec le temps est compliquée, je vis des vies parallèles en même temps, comme beaucoup. Heureusement, je ne vis plus autant dans le passé, ce qui m’arrivait quand j’étais plus jeune. Je me sens mieux quand je suis dans le présent.

Vous étiez l’une des 10 poètes contemporains invités au 41e Marché de la Poésie (Paris, 19 – 23 juin 2024) dont la Grèce était le pays d’honneur. Est-ce que vous vous considérez comme membre d’une génération et avec quelles caractéristiques ?

Oui, j’ai eu la chance de visiter Paris en juin pour le Marché de la Poésie et c’était une très belle expérience. J’ai été surprise de voir à quel point le public était chaleureux et communicatif et combien de personnes voulaient nous parler et nous poser des questions après nos lectures. J’ai été ravie à la fois de la qualité de questions posées et du travail sérieux effectué par les organisateurs. C’était très intéressant d’être au cœur de la production poétique, avec tant de stands de livres autour de moi.

Bien que je ne me classe pas dans une génération, je me sens appartenir à un ensemble de poètes qui est apparu dans les lettres autour de 2010 et poursuit son parcours depuis. Ce groupe de poètes est diversifié, contient des voix bien différentes, est extraverti et est en interaction avec la poésie d’autres langues par le biais de traductions, de festivals, de résidences littéraires et d’autres activités. Nous verrons plus tard si nous faisons partie d’une génération.

D’une manière plus générale, qu’en pensez-vous, est-ce qu’il y a une « patrie »  de la poésie, déterminée par la langue d’écriture,  ou est-ce qu’elle arrive à s’adresser aux lecteurs du monde entier ?

Je pense que les deux sont possibles. La poésie est écrite ou parlée dans une langue particulière et est déterminée par les caractéristiques de cette langue et des poètes qui l’utilisent, l’étendent, l’adaptent, etc. Mais le message de la poésie, si ce n’est dans sa totalité, du moins en grande partie, s’adresse à tous les auditeurs et lecteurs qui veulent et peuvent le découvrir.

Evidemment, nous n’avons pas accès à toutes les langues du monde, mais autant que possible, on transfère les poèmes d’une langue à l’autre. Pensons à un poème comme à une chanson : même si nous ne connaissons pas les mots, il y a des caractéristiques du poème qui nous touchent, surtout si nous l’entendons transmis par une voix humaine. La poésie contient la possibilité de cette émotion, quelle que soit la langue dans laquelle elle est écrite.

*Interview accordée à Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr

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M.V.

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