Né en 1945 à Ankara, Metin Arditi est un écrivain suisse d’expression française et de culture mathématique aussi, musicale et picturale. Arditi, qui vit à Genève – ingénieur en génie atomique, ayant enseigné à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne – a créé en 2009 la fondation “Les instruments de la paix – Genève”, qui favorise l’éducation musicale d’enfants israéliens et palestiniens. 
Parmi ses œuvres, notons Dernière lettre à Théo (2005), La fille de Louganis (2007), Loin des bras (2009), Le Turquetto (2011, prix Jean-Giono, prix Page des libraires, prix Alberto-Benveniste, prix des libraires de Nancy) traduit aussi en grec et Prince d’orchestre (2012). 
A propos de sa nouvelle visite à Athènes pour participer à une table ronde le 21 mars (on va y revenir), GrèceHebdo* lui a adressé les questions suivantes. 
 
Qu’est-ce que la Grèce représente pour vous ?
 
La Grèce est une partie essentielle de ma vie pour de nombreuses raisons. Mon épouse est grecque. Nos filles ont été élevées en Suisse dans les deux langues, français et grec. L’une d’elles, Jessica, est pédiatre en Grèce. Mes sept petits-enfants parlent parfaitement le grec, y compris ceux d’entre eux qui habitent la Suisse. Nous passons chaque été à Spetses depuis 35 ans. Tout cela fait beaucoup, vous en conviendrez. Mais il y a plus. Je suis né en Turquie, et j’en ai gardé un amour inassouvi de la Méditerranée. Où vivre cet amour mieux qu’en Grèce ? Et puis la chose la plus importante : la civilisation. Les racines de la civilisation grecque se confondent avec sa culture la plus profonde, je veux parler de l’art byzantin, le plus spirituel, le plus beau d’entre tous. Il m’éblouit.
 
A toutes ces raisons qui rendent la Grèce si chère à mon cœur, j’en ajoute une, liée à la dureté des jours que traverse le pays. Comment ne pas l’aimer, maintenant plus que jamais ? Comment ne pas réfléchir, comme chaque Grec, avec chaque Grec, à ce qui peut être fait au niveau du citoyen, pour aider la Grèce à retrouver sa voie et son rang ? Comment ne pas se sentir responsable de ses malheurs ? Tout le monde est complice dans cette affaire. Qui n’a pas accepté, une fois ou l’autre, de régler une note sans facture ? Il n’y a pas que les armateurs ou les politiciens corrompus à devoir assumer la débâcle. Il y a tout le monde. Elle est le résultat d’un état d’esprit. D’une méfiance réciproque et historique entre le citoyen et son pays. Et, par addition, d’une méfiance entretenue par le peuple tout entier à l’égard de sa patrie. De ce fiasco, je me sens solidaire et responsable. 
 
D’ Ankara οù vous êtes né à Genève où vous êtes naturalisé suisse, à quel point votre parcours personnel a influencé votre œuvre ? 
 
Il n’y a pas l’ombre d’un doute que tout mon travail d’écrivain découle de mon expérience vitale. C’est le cas pour ce qui pourrait, avec bienveillance, être considéré comme sa meilleure partie. Bien sûr, il ne s’agit pas de l’aspect autobiographique direct, même s’il pointe son nez, ça et là, par exemple dans La Fille des Louganis, où l’action se situe entre Spetses et Genève, ou dans Loin des Bras, où l’histoire se passe dans un internat au bord du Léman. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui compte, c’est la part d’inconscient de nous même que nous mettons dans l’écriture. En d’autres termes, ce n’est pas l’histoire elle même, mais le regard que nous portons sur l’histoire. J’ai le sentiment d’écrire juste lorsque je vis ce paradoxe : l’histoire me dépasse et en même temps je sens qu’elle émane de moi entièrement. Qu’elle contient mes failles, mes doutes, mes espoirs, et qu’ils apparaissent sans réserve, mieux que je ne pourrais jamais les raconter si je parlais de moi. Le Turquetto décrit les tribulations d’un enfant du XVIème siècle, peintre génial. C’est son doute le roman qui m’est le plus proche, le plus intime. Alors que je ne sais pas dessiner. Et que je n’ai pas un souvenir précis du XVIème siècle… 
 
Au moment où la révolution des nouvelles technologies nous impose de plus en plus le sens de la vitesse et de l’ immédiateté, il reste encore de la place pour l’ univers “étrange” et “lent” du roman? 
 
Le roman est un moyen de se connaître. Un bon roman fait de vous une personne plus proche d’elle-même, et donc meilleure. Plus forte. Mieux à même de dialoguer, de s’ouvrir à l’autre. De se dévoiler et d’écouter. Si l’on part de ces quelques principes fondamentaux, on voit que la vitesse et l’immédiateté ne sont pas de taille à perturber ce qui constitue la condition humaine. C’est un peu comme si vous vouliez faire une belle promenade en bord de mer et que votre voiture vous conduisait à une vitesse folle. Ce serait absurde. Le problème ne se pose donc pas en termes de vitesse. Je ne crois pas que la rapidité de communication soit un obstacle ou un avantage. Elle nous aide sur un plan pratique. Elle peut devenir une mauvaise habitude. Mais la nécessité de prendre son temps s’imposera naturellement dès lors qu’il s’agira d’aller à l’essentiel, c’est à dire au plus profond, au moins accessible. Au plus douloureux, souvent. Entre l’écriture dite littéraire et la psychanalyse, les points de convergence sont nombreux. Et en psychanalyse comme en écriture, il n’y a pas moyen d’accélérer les temps. Le chemin dure ce qu’il doit durer. Et tant mieux. Comme dit Cavafy : Lorsque tu t’embarqueras pour Ithaque, souhaite que le chemin soit long.
 
* Entretien accordé à Costas Mavroïdis
 
M.V.
 

TAGS: Interview | littérature | livres