Patrick Comoy est le nouveau directeur de l’Institut Français de Grèce depuis septembre 2019. Ancien élève d’HEC et Sciences Po, il est entré au ministère des Affaires étrangères en 2003, en poste à l’ambassade de France aux Pays-Bas de 2006 à 2009. Elève à l’Ecole Nationale d’Administration en 2011-2012, il est sorti au ministère de la Culture où il a été en charge du régime économique de la presse écrite de 2013 à 2016. Il est retourné au Quai d’Orsay en 2016, où il a suivi la coopération universitaire et scientifique, au plan global, jusque 2019.

GreceHebdo.gr* a interviewé Patrick Comoy sur ses priorités en tant que nouveau directeur de l’Institut Français de Grèce, mais aussi sur la diplomatie culturelle française, l’image prédominante de la Grèce et  sur d’éventuelles synergies entre les deux pays.

Quelles sont vos priorités en tant que directeur de l’Institut Français de Grèce? Εst-ce qu’ il y a des nouveautés par rapport à la programmation enregistrée au cours de ces dernières années ?

La priorité que j’ai donné à l’Institut français de Grèce, que l’Ambassadeur Patrick Maisonnave a validée, c’est le soutien à la langue française en Grèce, et donc aux profs grecs de français. Notre slogan est « κάνε τη διαφορά », (fais la différence). Pour nous, l’idée est que le français, les études en France, peuvent faire la différence dans la vie des Grecs, des élèves, des étudiants, des adultes ensuite.

Evidemment, l’expression a deux sens : « fais la différence » sur un CV, tout le monde parle anglais et les meilleurs parlent français. Ca va être un « plus » marquant dans votre cursus un bain intellectuel, culturel, social, politique, environnemental. On espère pouvoir amener cette différence dans la vie des Grecs et Grecques. Comme c’est notre priorité, nous allouons beaucoup de moyens, financiers et humains, sur le soutien aux professeurs de français en Grèce. Les formations pédagogiques étaient notre « marque de fabrique ». On va continuer et en plus mettre en place des formations linguistiques, culturelles, qui répondent aux besoins exprimés par pas mal de profs grecs de français. Il faut entretenir le français et aussi la connaissance culturelle : être à jour, découvrir la nouvelle musique, des nouveaux livres, du nouveau cinéma, tout cela est le cœur de notre mission. Nous construisons ce programme avec le ministère grec de l’Éducation nationale.

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Croyez vous que juste le soutien de l’enseignement suffira pour avoir des résultats ? Il ya l’hégémonie de l’anglais quand même.

La question n’est pas de dire qu’on va concurrencer l’anglais. Ce n’est pas juste parce qu’on aide les profs et à travers eux leurs élèves que nous allons faire basculer les choses. Mais la francophonie est une force, pour les gens qui y participent, une ouverture intellectuelle, des valeurs. C’est une des langues les plus parlées au monde et cette place du français comme langue internationale va encore progresser dans le vingtième-et-unième siècle. Le français va de plus en plus être une langue d’échange intellectuel, économique, scientifique, et culturel bien sûr.

Mais nous n’allons pas qu’accompagner les profs de français. « Κάνε τη διαφορά », pour nous c’est aussi amener une différence dans la programmation culturelle à Athènes et en Grèce. Beaucoup de choses que l’Institut français faisait à Athènes, nous l’amenons ailleurs : le cinéma, la Comédie-Française sur les écrans par exemple.

Nous ouvrons deux résidences artistiques en 2020 : l’une est à Rhodes qui va démarrer mai, consacrée à la céramique. La deuxième porte sur la danse.

Nous voulons amener cette visibilité culturelle partout en Grèce, notamment en Grèce du Nord, car c’est là que le français est actuellement le plus en recul. Il s’agit d’amener de la langue française, du cinéma, de la culture, des livres, dans la Grèce entière.

Dans notre programmation, vous l’avez vu aussi, il y a des accents sur un certain nombre de sujets qui nous tiennent à cœur. J’ai parlé du cinéma avec des samedis cinéma à l’Institut, quatre films tous les samedis, puis le festival du film francophone j’espère qu’on aura quelques très bonnes nouvelles, on espère que ce sera un très bon moment cette année. L’Institut met en place des soirées musicales, c’est deux fois par mois, pour nous la musique c’est un vecteur très important d’étonnement, de curiosité, d’originalité, nous amenons des artistes ici à l’Institut français et souhaitons travailler avec la radio.

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Source: IFG 

Il y aura de l’électro aussi ?

Oui, les sessions seront moitié acoustiques, moitié électro avec des DJ. La première session électro est tombée avec la Nuit des idées le 30 janvier.

Une autre manière pour nous de « faire la différence », c’est le sujet de l’environnement, de l’écologie. Nous ne sommes pas les seuls à nous en préoccuper. Une pierre à l’édifice, un symbole, sera le jardin sur la terrasse de l’institut.

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Je ne savais pas qu’elle était ouverte !

La terrasse a été ouverte en 2019, pour quelques événements, par exemple en octobre pour de la danse. C’était au coucher du soleil sur Athènes, silencieux et assez extraordinaire.

Avec des événements sur la terrasse, le jardin nous aidera à parler de l’écologie. En septembre avec les autres instituts culturels européens du réseau EUNIC, nous prolongerons la thématique de la Nuit des idées, « être vivant » : nous aborderons ensemble les thématiques de développement durable.

« Etre vivant » nous amène à parler de l’homme avec son environnement, de l’homme avec les animaux, avec les plantes, mais le sujet est à la fois philosophique, mais aussi très incarné, très concret.

Ainsi, on essaye, de façon systématique, de « faire la différence », par des propositions qui n’existent pas ailleurs à Athènes ou en Grèce, des auteurs, des chanteurs, des chanteuses, des films, des poètes, etc. qu’on n’a pas l’occasion d’entendre ou de voir en Grèce : voilà notre vocation.

Au-delà de ce que nous proposons « dans les murs », notre métier est de créer une connexion pour que des artistes, des metteurs en scène, des techniciens de cinéma, voient leurs homologues français, et se mettent à travailler ensemble. Lorsqu’à l’Opéra National, Olivier Py assure la mise en scène d’un opéra, « Wozzeck », avec un responsable des costumes également français, des chanteurs grecs ou anglais, c’est une bonne illustration des objectifs de notre travail. A un moment on a encouragé ce type d’échanges, c’est à ce niveau que l’Institut français peut faire bouger les lignes, par les des contacts, du networking. Ça ne se voit pas tout de suite, mais peut-être trois ans après.
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Pourrions-nous dire que ces dernières années reflètent un déplacement constant de la diplomatie culturelle française, traditionnellement académique et discursive, vers des thèmes plus visuels, innovants et technologiques ?

C’est une  remarque bien vue et très juste. Nous restons assez attachés aux sujets académiques, au moins, pour la raison que l’Institut français, Rue Sina, a accueilli vraiment des grands noms, auteurs ou philosophes, et continue (Alain Badiou était présent il n’y a pas longtemps). Nous sommes connus pour cela, aimons ce rôle.

Néanmoins, nous ne souhaitons pas ne faire que cela. Quand Badiou vient, ensuite, comme il vient depuis longtemps, il rencontre des éditeurs d’autres philosophes : un brassage se fait.

De la même manière,  la technologie, l’environnement, les arts visuels, se prêtent bien à ce brassage. Notre travail devient beaucoup plus riche, si nous organisons une masterclass, des ateliers, des choses qui ne se voient pas tout de suite ou n’ont pas de public, … mais qui vont être productives.

C’est une question de générations aussi ?

Bien sûr, la thématique écologique et la technique, les sujets d’innovation peuvent amener des publics nouveaux.

La thématique  écologique s’affirme tellement au premier plan, nous accompagnons cette évolution, mais encore une fois c’est positif car cela nous oblige à changer notre format : pas toujours au même endroit, ni les mêmes intervenants. C’est beaucoup plus intéressant pour nous, j’espère que c’est plus intéressant pour les gens qui viennent ici ! J’espère que ça amène d’autres publics. Nos vieux amis, nos vieilles amies, s’intéressent au français, à la langue française, à la culture française, francophone, il faut que l’Institut français soit là pour eux. Sans renier cette amitié, nous voulons amener de nouvelles thématiques, de nouvelles approches, visuelles, ou même des choses plus détonantes.

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Concernant la marque pays « Grèce » ? Qu’est ce que vous y voyez là-bas ?

Il faut être très prudent avec cette question. Je lis actuellement deux livres en parallèle, très différents. Cités à la Dérive, de Stratis Tsirkas, un monument littéraire : à plusieurs reprises les héros qui ne sont pas des Grecs, les Anglais se disent, « si on pense comprendre la Grèce, en fait on se brûle », on se méprend, on est toujours prisonniers d’une image de la Grèce, acquise à Oxford, très intellectuelle, la Grèce antique. Ils se méprennent, puisque c’est la Grèce réelle qu’ils ont avec eux. L’autre livre, un peu provocateur, mais très intéressant, s’appelle « La Grèce existe-t-elle ? », de Michel Grodent, un critique littéraire belge. Au début, il l’avait titré « La Grèce n’existe pas », puis dix ans après « La Grèce existe-t-elle ? ». Il progresse, peut-être fera-t-il « oui, la Grèce existe » dans dix ans, on verra [rire]. Pour quelqu’un qui vient pour la première fois en Grèce, c’est mon cas, le piège est de penser que la Grèce, c’est celle de l’Antiquité, des philosophes ou l’Acropole. Les Grecs d’aujourd’hui portent cela avec eux comme une part de leur identité, de leur fierté. C’est leur pays, leur environnement, tellement fort, imposant et beau. Mais la beauté brûle, comme le dit Tsirkas. Cela veut dire également qu’on risque d’être déçus. Cette référence peut être écrasante.

Pour répondre plus directement à votre question, la Grèce me semble-t-il peut être très fière de la manière dont elle a traversé les années de la crise, d’avoir conservé sa dignité, de ne pas tomber dans la tentation fasciste. Un des facteurs qui ont joué, est que les Grecs se sont serré les coudes. C’est une leçon pour le reste du monde. Nous sommes sans doute à une autre étape de la crise, les effets de la crise sont plus insidieux. Je ne sais pas si on aurait résisté en France, si on aurait eu cette capacité à se tenir ensemble, à garder cette dignité, cette solidarité.

En tant que directeur de l’Institut français, d’un pays ami, voici  un sujet en soi à comprendre et partager pour nous : quelles leçons à tirer de la dizaine d’années écoulées, des choses terribles et puis des choses plus positives, plus prometteuses.

Si on parle de la Grèce contemporaine, de la culture de la Grèce contemporaine, qu’est ce que vous en pensez, est-ce qu’il ya un potentiel peut être de la culture contemporaine ?

Oui, absolument. Il y a un énorme potentiel, très impressionnant, en matière théâtrale, sur la scène des arts plastiques, musicale, littéraire. La création est très foisonnante. En des temps de crise la création artistique peut être un pas de côté ou une expression critique, une réaction à Athènes, et je crois ailleurs en Grèce. On dit qu’il y a autant de théâtres à Athènes qu’à Londres, c’est presque passé en proverbe aujourd’hui : mais c’est vrai ! Un peu partout, il y a des théâtres et tous les soirs des centaines de pièces sont jouées. Il n’y a pas beaucoup de villes dans le monde qui ont cette richesse.

L’Institut français est entre Kolonaki et Exarcheia, sans qu’on sache bien dire s’il est dans l’un ou dans l’autre, peut-être dans les deux. A Exarcheia, il côtoie nombre d’ateliers et d’artistes, de lieux un peu…« laboratoires », étonnants et de très bonne qualité. Ailleurs qu’à Athènes, il y a clairement une offre très riche à Thessalonique aussi, je dois aller à Larissa dans pas longtemps et là aussi il semble qu’il y a énormément ; il y a une scène street art à Patras. Cela fait énormément de potentiel, et une part de l’identité grecque actuelle.

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Athènes, vue de l’Acropole par Henri LEFEVRE. Source: iStock / Getty Images Plus
 
Vous vous y attendiez avant votre arrivée ?

Je savais qu’il fallait ne pas être dans l’illusion que tout s’arrête en 323 av. J.C. Mais je n’avais pas mesuré à quel point sont omniprésents dans la vie de tous les jours, musique et théâtre. Je suis Parisien, et Paris n’est pas une ville calme, elle a une belle offre culturelle.  Mais Athènes, par comparaison, m’impressionne de ce point de vue.

Une dernière question ; à quel point votre programmation rend compte de ces forces culturelles propres à la Grèce actuelle ? Est-ce qu’il y a d’éventuelles synergies transnationales entre la Grèce, entre l’Institut Français, etc.

Bien sûr, nous ne faisons bien notre travail que s’il y a des synergies. C’est la raison pour laquelle, quand nous organisons le festival du film francophone, quand nous participons à des festivals musicaux, quand nous faisons venir une poétesse, c’est à chaque fois en partenariat, par exemple avec le salon du livre. C’est notre métier. Au regard de cet incroyable foisonnement culturel que nous évoquions, de l’excellence aussi au plan académique, universitaire et scientifique, nous nous devons de créer ces synergies. Etudiants et scientifiques sont, comme les artistes ou les techniciens, désireux de contacts, de reconnaissance, de progression chacun dans leur domaine et donc nous nous devons de permettre tout cela en France ou ailleurs en Europe, selon le sujet. Pour être concret, aujourd’hui en Grèce il n’y a pas de reconnaissance du cirque comme forme artistique, c’est une pratique développée mais pas reconnue comme un art à part entière. Or en France existe une importante expertise en la matière, avec des lieux dédiés, des sites de formation, des compagnies bien sûr. Au-delà, en Europe, nous travaillons beaucoup avec d’autres pays. Le souhait, dès lors, serait d’insérer des partenaires grecs pour qu’ils puissent former, se produire ailleurs qu’en Grèce.

Ainsi, une synergie, peut vouloir dire du financement, des débouchés, des coproductions européennes, et c’est au cœur de notre rôle. C’est le même raisonnement sur la résidence à Rhodes par exemple. Elle va accueillir un artiste français ou une artiste française, un Grec ou une Grecque et un autre, de nationalité ouverte. Ces trois artistes vont être côte à côte, chacun avec son projet de création, mais nous espérons qu’ils vont se parler, confronter leur travail : c’est un modèle réduit de ce qu’on essaie de faire.

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Raoul Taburin par Pierre Godeau, France 2019. Source

– Au sujet d’initiatives pour la promotion des études en France comme « Bienvenue en France – Choose France », la coopération pour l’allocation de bourses d’études en France entre l’Institut Français et l’IKY, ou le Salon des Études en France (le 15 février à Athènes, le 17 février à Thessalonique), Mr Comoy a tenu à souligner : «Un sujet sur lequel nous sommes attentifs, qui répond à vos questions est la crainte légitime des Grecs et des autorités helléniques du « brain drain », de la fuite des cerveaux. Certes, les Grecs ne sont pas partis massivement en France pendant la crise, mais plutôt dans d’autres pays. Nous sommes néanmoins attentifs à ce sujet sensible, celui d’une « génération manquante », 500 000 Grecs hors de Grèce. On ne peut s’en satisfaire. Pour l’Institut français, nous voulons réfléchir aux manières dont nous pourrions contribuer au « brain gain », au retour des cerveaux, en tout cas au minimum le mettre en valeur. Nous nous vivons, aussi, comme une institution présente en Grèce, l’Institut français de Grèce. Nous nous réjouissons de la bonne nouvelle de ces retours, de  gens qu’on va pouvoir mettre en contact, accueillir, avec qui travailler, à rencontrer. On va donc essayer de trouver les moyens de valoriser leur retour et à la façon dont celui-ci peut contribuer au redémarrage de la Grèce.

* Interview accordée à Dimitris Gkintidis, Costas Mavroidis, Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr 

** Photo d’introduction: Patrick Comoy dans son bureau avec le livre 75 entretiens en temps de crise de GreceHebdo.gr, janvier 2020. Photo: Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr

M.V.

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