Ι
Dénaturées les lois de la vie
Renversent la balance de la matière
Et il faut que tu passes au-dessus de mines
Avec des membres en fuite
À la recherche d’une patrie bien constituée
Avec des bateaux pour chiens qui à ta rage
Ont passé une laisse
Pour que tu n’aboies plus à ton ombre
Même si Cerbère attend
En remuant la queue
Avant que monte le fleuve muet
Jusqu’au cou de l’Èbre
Que l’amertume boive l’eau douce jusqu’à en éclater
Et la rejette par les poumons criblés
Il faut la manière
Pour débarquer sur des rivages inconnus
Dans des Amériques où tu attendais les Indes
 
II
Dans une langue éloignée
Et qui n’a pas voyagé
Tu pries maintenant
Que le corps de la mer Rouge s’ouvre
Que les eaux s’écartent
Pour que les gens marchent
Exanthème hémorragique d’une fuite
Qui se déchaîne avec la Canicule
Et ne te laisse pas de peau pour te cacher
Dans le corps d’une vie de quadrupède
Faune bâtarde de mortels
Qui effarouche le corps du soleil
Avec une telle cohue dans les cieux
Frets de plongeurs qui ont recueilli
Comme une éponge toute la lumière
Et crachent à la face de la terre
Les écumes de leur naufrage
Ils ont plongé avec leurs habits de fête
Pour attraper la croix
Peut-être que les eaux sont bénies
Bois de la Vraie Croix qui chavire vers l’ignoble
Balançoire avec des corps qui pèsent de plus en plus
Dans la charge du jusant
Corps gonflés tambours du silence
Puanteur d’un reflux
Que le meltemi ne chasse pas
Quelle place dans l’infini
Pour une vie si éphémère
 
III
Nous avons sorti toute la nuit dans l’écume
Ceux qui n’ont pas saisi
Dans leurs mains la terre ferme
Quelle tempête a soulevé
Le cétacé du malheur
Et nous avons couru nous le menu fretin
Dans les pires bas-fonds de la chair
Maintenant des îles écument en pleine mer
Fonds inversés de tous ceux qui ont appareillé
Pour le voyage de leur race minérale
Et l’azur s’est mis à noircir
Morts qui ne se sont pas retenus à la terre
La mer les a vidés
Sable de clepsydre aux rivages
Sur le dos se chauffe au soleil l’oubli de la réalité
Lieu de plaisance de tous ceux qui peuvent
Croire au corps.
On bronze bien en cette saison
Avec de si nombreux soleils au zénith
Tant que dure notre trois-mâts
À l’époque du Proche-Occident
 
Thomas Ioannou, “Τα Ποιητικά”, déc. 2015, Ed. Govosti, Athènes.
 
Traduction © Janine Kaminski. Source
Peinture: “Visibilis”, de Kostis Georgiou (1956-). Source: nikias.gr

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