A propos de la publication de l’intégralité de l’œuvre de Costas Karyotakis en français aux éditions «Le miel des anges», GrèceHebdo publie quatre de ses poèmes. Karyotakis (1896-1928) peu connu jusqu’ à aujourd’hui en France demeure l’un des poètes grecs les plus importants du XXème siècle.  Fonctionnaire qui souffre sous le poids d’une quotidienneté pesante et guère spirituelle, Karyotakis finit par se suicider en 1928 à la ville de Préveza. Son suicide est à l’ origine d’un courant littéraire connu sous le nom Karyotacisme où Karyotakis demeure le personnage de référence tant pour son état d’âme que pour son œuvre poétique. Michel Volkovitch écrit à propos de lui: “Karyotakis va devenir un classique et plus encore: quelqu’ un de «terriblement présent», comme on l’a récemment écrit, près d’un siècle après sa mort. Quelqu’ un dont la misère personnelle a été celle de tout un peuple à son époque-οn le voit aujourd’hui mieux que jamais- mais qui surtout reste d’actualité dans notre temps sans idéaux et sans avenir, en Grèce comme ailleurs en Europe. Les Grecs amateurs de poésie-οn sait combien ils sont nombreux-le savourent aujourd’hui encore voluptueusement, ou amèrement, ou les deux ensemble» 

”Prèveza”

Mort, les corbeaux qui viennent se cogner
Contre les murs noircis ou sur les tuiles,
Mort, les dondons qui se laissent aimer
En faisant frire les oignons dans l’huile.
 
Mort, de ces rues ternes la saleté,
Leurs noms brillants, pompeux et indigestes,
L’oliveraie, la mer plate à côté
Et le soleil, plus mort que tout le reste.
 
Mort, le gendarme à qui l’on fait peser
Le contenu ‘’défectueux d’une assiette,
Mort, les jacinthes du balcon usé,
L’instituteur achetant sa gazette.
 
Quelques soldats, la caserne tout près.
On entendra dimanche la fanfare.
Je viens d’ouvrir à la Banque un livret,
Trente-deux drachmes, dépôt provisoire.
 
Me promenant lentement sur le quai,
‘’J’existe ?’’ dis-je, et je me réponds: ‘’Guère! ‘’
Drapeau hissé. Car monsieur le Préfet
Dans le bateau s’apprête à toucher terre.
Quel réconfort si l’un de ces messieurs
 
Pouvait mourir d’un ennui si sévère…
Nous irions tous, dignes et silencieux
Aux funérailles, afin de nous distraire.
 

 

Traduction © Michel Volkovitch ‘’Je veux partir. Poèmes et Proses. Costas Karyotàkis’’, Le miel des anges, 2017
Peinture: Yiannis Moralis ‘’Preveza’’
Le poème original en grec sur notre page facebook

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