Samuel Baud-Bovy (1906-1986) constitue l’une des figures principales de l’ethnomusicologie de la Grèce et des Balkans, ayant en même temps enseigné le grec moderne à l’Université de Genève (1931-1958) (Rouget 1986). Son parcours fut inextricablement lié à la Grèce et jusqu`à la fin de sa vie il ne cessa de montrer son intérêt envers les sons et les vers des habitants de ce pays. Son œuvre en effet dépassa les frontières du domaine des études grecques modernes, ayant un impact important dans le domaine ethnomusicologique et aidant ainsi à l’étude comparative des formes musicales sur l’aire européenne (Georgopoulou 2014).

Samuel Baud Bovy, 1964 (Source: Mon Musée Musical/Licence: CC BY-NC-ND 4.0)

Un ethnomusicologue issu du milieu philhellénique genevois

Samuel est né à Genève en 1906, fils de Daniel – historien et académicien – et Jean-Catherine – pianiste. À noter que son père et l’ami de celui-ci et parrain de Samuel, le photographe genevois Fred Boissonas, furent des philhellènes convaincus, ayant effectué des visites en Grèce et même une ascension de l’Olympe en 1913 (Georgopoulou 2014). 

Au bout de ses études classiques à l’Université de Genève, Samuel suivra des cours de grec moderne d’Hubert Pernot à la Sorbonne (Gagnaux 2018). Parallèlement à ses études académiques, il suivra des études musicales à Genève, Vienne, Paris, et Bâle (Gagnaux 2018, Georgopoulou 2014). Sa première visite en Grèce, en 1927, scellée par une ascension de l’Olympe, semble paraît-il, avoir défini son intérêt pour la chanson populaire grecque et les études grecques modernes : c’est précisément pendant une pause au cours de l’ascension qu’il eut l’occasion d’écouter des evzones grecs (chargés protéger l’équipe des grimpeurs étrangers) chanter des chansons démotiques captivantes (Rouget 1986). C’est l’année suivante que Samuel Baud-Bovy s’inscrivera dans des cours de grec moderne à la Sorbonne. Sa première visite en Grèce en tant que boursier du legs Lambrakis-Maunoir s’effectuera en 1929 (Gagnaux 2018). À noter que le Centre d’Études d’Asie Mineure a récemment publié des extraits du journal personnel de Samuel Baud-Bovy, traduits par Markos Dragoumis, datant de la période 1929-1930 (durant son voyage et son séjour à Athènes) qui nous permettent de saisir les premières expériences du chercheur sur le terrain (Baud Bovy 2014[1930]).

Recherche initiale au Dodécanèse  

Comme souligne Arsinoi Georgopoulou, Samuel Baud-Bovy eut alors l’occasion de travailler à Athènes avec le couple Octave et Melpo Merlier qui l’a aussi orienté vers la méthodologie de terrain – ce qui semblait aussi correspondre à son goût de la nature (Rouget 1986). En suivant les conseils de Melpo Merlier, il choisira la région du Dodécanèse pour effectuer sa recherche, une région qui était alors sous domination italienne et qui de fait était inaccessible aux chercheurs grecs. Sa thèse doctorale sera, entre autres, basée sur sa recherche concernant la chanson démotique (populaire) du Dodécanèse. À noter que Samuel Baud-Bovy était aussi un musicien expérimenté qui suivait des méthodes d’enregistrement particulières (préférant la transcription en notes à l’enregistrement sonore, cette dernière d’une qualité limitée par les moyens techniques de l’époque), par désir de rester autant plus fidèle que possible à la performance initiale (Georgopoulou 2014).

Contribution à l’ethnomusicologie de Grèce

Comme rapporté par Arsinoi Georgopoulou (2014), Samuel Baud-Bovy continuera ses recherches dans d’autres régions, telles que la Roumélie, la Thessalie, la Macédoine, la Thrace, l’Épire et la Crète dans la période de l’après guerre. Il collaborera notamment  avec l’Archive Musical Laographique de Melpo Merlier et un grand nombre de chercheurs grecs. Mention particulière pourrait être faite de son approche dynamique et de son intérêt de contextualiser la production musicale dans le cadre des conditions sociales contemporaines dans lesquelles se situaient les agents sociaux qui les reproduisaient – chanteurs, instrumentalistes, etc. En effet, bien qu’une des préoccupations épistémologiques de Samuel Baud-Bovy fusse la soi-disant continuité des formes musicales et lyriques anciennes et modernes sur l’aire grecque (Baud-Bovy 1988[1984]) – une question idéologique (Kallimopoulou 2009) qui a graduellement perdu son attrait dans le champ académique des sciences sociales contemporaines -, son œuvre académique a produit d’importantes avancées comparatives, tant diachroniques que géographiques, mettant en relief les variations mais aussi les traits communs entre les chants populaires de différentes régions des Balkans (Georgopoulou 2014). Ses nombreuses publications et enregistrements constituent encore aujourd’hui un précieux substrat pour l’ethnomusicologie de la Grèce et des Balkans.

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Ouvrage collectif sur l’œuvre de Samuel Baud Bovy sous la direction de Bertrand Bouvier et Anastasia Danaé Lazaridis. Sur la photo de couverture, Samuel Baud-Bovy à l’écoute d’un vieillard crétois.

Une œuvre multidimensionnelle

Les publications de Samuel Baud-Bovy incluent aussi des ouvrages sur un autre genevois, Jean-Jacques Rousseau, en qui même Samuel Baud-Bovy voyait « le patron des ethnomusicologues » (Rouget 1986), ainsi que traductions et analyses d’œuvres de poésie grecque. Baud-Bovy publia notamment une collection d’analyses et traduisit lui-même des œuvres de Palamas, Calvos, Solomos, Cavafy, et Sikelianos en 1944 alors qu’il a avait déjà traduit en 1940 des poèmes de Seféris et d’Elytis, avec lequel il entretenait des relations amicales.

Parallèlement à son poste de chercheur et de néohelléniste à l’Université de Genève (professeur de 1942 à 1958, puis professeur émérite, Georgopoulou 2014), Samuel Baud-Bovy aura aussi une importante activité en tant que musicien, compositeur, responsable de la classe d’orchestre, des cours de direction d’orchestre et directeur du Conservatoire de Musique de Genève, deuxième chef d’Orchestre Suisse Romande et directeur de la Société de Chant Sacré de Genève (Gagnaux 2018). De plus, dés 1950 il fut membre du Conseil International de Musique de l’UNESCO (Georgopoulou 2014).

À noter que Samuel Baud-Bovy fut nommé Commandeur de l’Ordre du Phénix de la République Hellénique, membre correspondant de l’Académie d’Athènes et docteur honoris causa de l’Université de Thessaloniki (Georgopoulou 2014).

Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr
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D. G.

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