La Crucifixion conçue sous l’aspect de l’œuvre salutaire et de la victoire du Christ sur la mort, est la clé de voûte de l’Orthodoxie. L’iconographie de la Passion, telle qu’elle est représentée dans des icônes et des peintures murales dans des Églises historiques de la Canée, offre l’occasion d’un voyage intéressant à travers l’art religieux autochtone. GreceHebdo publie aujourd’hui un texte de l’historienne d’Art Alexandra Kouroutaki, sous le titre: “Tradition byzantine et influences occidentales sur l’iconographie de la Passion dans la peinture religieuse Orthodoxe de la Canée (Crète), 17e – 20e siècle”.
Dr. Alexandra Kouroutaki est membre du Personnel Enseignant Spécialisé à l’école d’Architecture de l’Université Technique de Crète. Elle est titulaire d’un doctorat en histoire de l’art de l’Université Bordeaux Montaigne et d’un diplôme de troisième cycle en Littérature Française de l’École des Humanités, Faculté des lettres de l’Université Ouverte de Grèce. Elle est également diplômée du Département de Langue et Littérature françaises de l’Université Nationale et Capodistrienne d’Athènes.
L’objectif de cette étude est de considérer des œuvres représentatives du cercle thématique de la Passion qui illustrent l’évolution de la peinture religieuse à la Canée. Tant au niveau de l’iconographie que du style, elles témoignent des influences provenant de la tradition post-byzantine et de l’art occidental. Les facteurs historiques et sociaux qui ont marqué les orientations esthétiques des iconographes, sont mis en évidence. L’analyse critique utilise la terminologie spécifique de l’histoire de l’art.
L’étude comprend trois sections. Dans la première partie, deux icônes post-byzantines de la Passion sont abordées, créées par les iconographes crétois Constantin Paleokapas et Theodoros Poulakis, considérés comme des continuateurs de l’École Crétoise d’iconographie au 17e siècle. Dans la deuxième partie, référence est faite à des peintres de style occidental, qui ont vécu au tournant et au cours des premières décennies du 20e siècle. En particulier, l’étude porte sur l’intégration fructueuse des modèles occidentaux dans leur œuvre. Dans un troisième temps, on considère le retour de l’iconographie aux sources byzantines, après 1950, à travers des peintures murales de la Crucifixion dans des Eglises de la Canée. Ces fresques ont été créées par des iconographes autochtones, collaborateurs de Kontoglou et adeptes de la tradition de l’École Crétoise d’iconographie.
Représentations de la Passion divine dans l’iconographie post-byzantine du 17e siècle
L’intégration des modèles occidentaux dans la peinture religieuse Orthodoxe en Crète, résulte de l’influence de l’art de l’Europe occidentale sur les peintres crétois, depuis la seconde moitié du XVe siècle. La Crète était à l’époque une possession de la République de Venise. Cette intégration se poursuivra durant la période de la Renaissance Crétoise et tout au long du 16e siècle, grâce aux iconographes représentants de l’École Crétoise d’iconographie, Théophane, Michael Damaskinos et Georges Klontzas. Cette fameuse École a cultivé un style particulier, combinant la tradition byzantine au réalisme[1] de la peinture occidentale. L’intégration des motifs occidentaux est devenue plus intense au cours du 17e siècle.
Le voyage dans les représentations de la Crucifixion commence avec deux icônes portables du 17e siècle, créées par Paleokapas et Poulakis. Dans leurs compositions à figures multiples, les divers épisodes de la Crucifixion y sont dramatiquement narrés. Considérons tout d’abord, l’icône de Constantin Palaiokapas (dans le musée du monastère d’Hodigitria, à Gonia, Kolymbari) qui présente un mélange intéressant de motifs byzantins et occidentaux.
Au centre de la composition domine la figure du Christ en Croix avec les deux bandits crucifiés à ses côtés. Jésus est représenté, la tête inclinée vers la droite, portant uniquement un périzonium blanc, cachant sa nudité. Les archanges Gabriel et Michael entourent le sommet de la Croix. Suivant les normes byzantines, l’iconographe pose la Croix de Jésus sur des rochers en-dessous desquelles s’ouvre une caverne où est visible le crâne d’Adam [2]. Au pied de la Croix et du côté droit de Jésus, les Saintes Femmes accompagnent la Vierge qui regarde son Fils attaché à la Croix, en exprimant sa douleur avec modération et fermeté. A gauche de la Croix se tient Saint Jean. Dans la composition apparaissent aussi les figures des soldats, la foule et en arrière-plan, les murs de Jérusalem, “le théâtre” de la Passion.
A gauche: Constantin Palaiokapas, “La Crucifixion”, icône portable, 1635-1640, Musée du monastère d’ Hodigitria, Gonia Kolymbari. Source. A droite: Jan Sadeler, deux gravures sur “La Crucifixion”, 1582. Source : Wikimedia Commons
Dans sa composition, Paleokapas présente deux épisodes qui trouvent leur origine dans des gravures flamandes du 16e siècle: la scène du soldat romain Longin, perçant le flanc du Christ de sa lance, et la scène du partage des vêtements de Jésus. Ces épisodes ont été abordés par Jan Sadeler, dans ses gravures sur la Crucifixion [3]. En termes de technique, Paleokapas poursuit la tradition byzantine de l’icône portable. L’ocre doré du fond offre à l’ensemble un aspect rayonnant. De puissants contrastes opposent les coloris foncés, au premier plan et les tons clairs du fond de l’icône.
Considérons par la suite le cas du peintre-iconographe Theodoros Poulakis (1622-1692) qui était originaire de la région de Kydonia. Au niveau de l’iconographie et du style, il suit les types byzantins mais on y repère des influences du Baroque et du Naturalisme des peintres flamands [4]. En particulier, l’icône portable La Sainte Trinité, la descente du Christ aux enfers, le Christ dans le Paradis et l’Epitaphe, est une composition rythmique. Dans l’Epitaphe, l’iconographe présente la scène des lamentations. La Vierge se penche sur le visage de son Fils exprimant sa douleur, alors que Marie Magdeleine, qualifiée de “myrrhophore”, est reconnue par la couleur rouge vif de son vêtement. Elle est représentée se lamentant et inconsolable, lançant ses bras au ciel. De l’autre côté, Saint Jean est accompagné de deux autres participants.
Poulakis présente dans son iconographie la théologie dogmatique de l’événement. Comme est souvent le cas dans l’iconographie Orthodoxe, il ne raconte pas les faits de manière autonome, mais les présente en séquence. La Crucifixion fait partie de l’œuvre du salut dans la théologie Chrétienne. La Croix qui est l’élément dominant de la composition, est enracinée comme “un arbre de vie” dans la caverne sombre d’Hadès (cf. La descente du Christ aux enfers) tandis que le Christ marche sur les portes en ruine d’Hadès pour l’abolir définitivement.
A gauche: Theodoros Poulakis, La Sainte Trinité, La descente du Christ aux enfers, Le Christ dans le Paradis et L`Epitaphe,deuxième moitié du 17e siècle. Musée Byzantin et Chrétien d’Athènes. A droite: Theodoros Poulakis, icône portable de la Crucifixion, deuxième moitié du 17e siècle, Église de Panagia Chrysopolitissa, Larnaka, Chypre. Source
Cependant, dans les icônes de Poulakis, les influences de l’art occidental sont évidentes. Les figures représentées acquièrent une substance plus réelle grâce à leurs mouvements expressifs. Dans ce cadre, il convient de noter la tension dramatique de l’ensemble, la pénétration psychologique, les premières tentatives pour la restitution perspective de l’espace et l’utilisation de couleurs vives. Toutefois, Poulakis utilise la tempera à l’œuf sur bois, la technique traditionnelle de l’art byzantin et ne s’intéresse pas à la peinture à l’huile. Il a contribué de manière décisive à la mise en place de l’esthétique européenne dans la peinture religieuse Orthodoxe. Cette tendance vers le Naturalisme sera poursuivie par l’École Ionienne.
Représentations de la Passion dans l’iconographie autochtone de style occidental, au début du 20e siècle
Après l’occupation de la Crète par les Ottomans en 1669, les types iconographiques de l’Ecole Crétoise furent sauvés par des iconographes crétois qui ont continué à créer des icônes, dans des conditions difficiles. En 1897, l’île acquiert son autonomie sous la protection des grandes puissances européennes. Avec la proclamation de l’État crétois indépendant, une période créatrice a été inaugurée pour le peuple crétois qui cherchait à guérir ses blessures après deux siècles d’esclavage. Cette période d’autonomie dure jusqu’en 1913, quand l’île est officiellement unie à la Grèce. Pendant l’entre-deux-guerres, la Canée connaît une remarquable activité intellectuelle. L’iconographie locale préserve le style occidental.
Le peintre-iconographe et prêtre Ioannis Kalliterakis (avant 1878 – c. 1924) a vécu au tournant du siècle. Il avait reçu une formation académique à l’Ecole des Arts [5]. Les influences occidentales sont évidentes sur l’icône portable La Descente de Croix (1893), dans l’Église de la Présentation de la Vierge au Temple (Trimartiri), la Cathédrale de la Canée. Le modèle pour cette composition de Kalliterakis était une peinture à l’huile de Jean-Baptiste Jouvenet, La descente de Croix [6].
I. Kalliterakis (prêtre) La Descente de Croix, 1893, Église de la Présentation de la Vierge au Temple, ville de la Canée. Photo: M. Kimionis.
L’icône présente la scène de la descente du corps de Jésus de la Croix. Dans cette composition à figures multiples, l’élément du deuil est prédominant. Nous sommes témoins de l’effort intense des disciples, étant les uns sur des échelles, les autres au pied de la Croix, pour soutenir la tête penchée et le corps du Christ, s’aidant d’un drap. Le point culminant de la composition est la figure du Seigneur qui vient d’être descendu de la Croix. Jésus est représenté avec tout le poids d’un corps sans vie. La Vierge portant une auréole et les “Myrrhophores” figurent à droite de la Croix, comme c’est souvent le cas dans l’iconographie post-byzantine [7]. La dramatisation du mouvement est un élément impressionnant de cette composition de style baroque. Pour y arriver, l’iconographe met l’accent sur le jeu d’ombre et de lumière et sur l’usage de couleurs vibrantes et harmonieusement combinées. Le dessin y est méticuleusement soigné.
Au début du 20e siècle, Emmanuel Papadakis était considéré comme un peintre-iconographe de renom, de style occidental. L’icône portable Le procès sanglant des Juifs contre Jésus-Christ, le Seigneur et Sauveur du monde (1903, dans la Cathédrale de la Canée) est représentative de son art. Son style combine l’académisme avec quelques éléments de l’art populaire. Pour cette composition, l’iconographe prend pour modèle une gravure du 18e siècle présentant Le procès de Jésus [8].
La gravure du 18e siècle, “Le procès de Jésus”, imprimée sur papier, 1750, British Museum.
L’icône en question de Papadakis, à fond doré, met en scène le procès du Christ. À noter la mise en perspective de l’espace pictural à l’aide des éléments architecturaux de la composition. Jésus, l’accusé, est représenté assis à droite, Caïphe est debout sur un piédestal au centre, et Ponce Pilate est assis sur un trône à gauche. Le peuple juif participe au procès. De nombreux juges assis tiennent des parchemins pour présenter leurs verdicts sur l’accusé. Le naturalisme et l’idéalisme sont étroitement liés dans cette composition. L’iconographe “décrit” les personnages avec des détails réalistes, dans son icône inondée de lumière et de couleurs vives et brillantes.
Emmanuel Papadakis, Le procès sanglant des Juifs contre Jésus-Christ, le Seigneur et Sauveur du monde 1903, huile sur bois, Cathédrale de la Canée. Photo M Kimionis.
Il convient également de citer deux icônes portables de style occidental, présentant la Crucifixion et la Résurrection du Christ (peinture à l’huile) qui ornent l’iconostase de l’Église Saint-Eleftherios, à Gerani, créées par un iconographe inconnu. Dans l’icône de la Crucifixion, Jésus est représenté en Croix, au centre de la composition, calme mais souffrant dans le supplice. La figure du soldat romain Longin apparaît à cheval. À droite de la Croix, est représenté le voleur vertueux qui regarde Jésus d’un air suppliant. Le voleur injuste n’est pas représenté, on ne voit que sa main. Au pied de la Croix, la Vierge se lamente, soutenue par Saint Jean. L’iconographe suit l’approche naturaliste pour le traitement des formes et met l’accent sur le jeu d’ombre et de lumière. Il fait usage de couleurs vives et harmonieusement combinées et prend soin de représenter l’espace pictural avec la perspective.
Icônes portables de la Crucifixion et de la Résurrection, iconographe inconnu, sans référence chronologique, Église Saint Eleftherios, Gerani, la Canée. Source
En Crète, le style Nazaréen a influencé l’iconographie locale. Le style Nazaréen a été imposé en Grèce par les dirigeants politiques d’Othon dans le but de la laïcisation de l’art religieux et de l’européanisation du nouvel État grec. Par conséquent, l’art religieux autochtone s’est éloigné davantage des modèles byzantins. Cette tendance vers le style néo-Renaissance a été renforcée par l’influence du Mont Athos sur de nombreux peintres-iconographes [9] au cours des trois premières décennies du 20e siècle. Dans l’art du Mont Athos, les types iconographiques ainsi que la palette des couleurs étaient influencés par l’art Nazaréen et l’art Russe [10].
Pendant l’entre-deux-guerres, Stylianos Perrakis [11], un iconographe de renom, a produit une œuvre religieuse riche [12]. Connaisseur de l`art byzantin [13], il adopte souvent le style académique, dans le contexte de la soi-disant “amélioration ou correction” de l’art Byzantin. Dans sa composition La Crucifixion du Christ, d’abondantes influences occidentales sont repérées au niveau du traitement des formes et de l’espace. L’iconographe y présente les foules qui s’étaient rassemblées au Golgotha, les deux bandits crucifiés aux côtés du Christ et des activités hétéroclites. Perrakis y présente aussi la Vierge évanouie, en communion de souffrance avec son Fils, et les lamentations de Madeleine qui se jette à genoux, au pied de la Croix. L’épisode avec le soldat romain Longin apparaît le moment où le centurion s’écrie : Vraiment cet homme était Fils de Dieu [14], à la vue des prodiges qui ont accompagné la mort de Jésus.
Selon les textes bibliques: “Et voici que le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. À la vue du tremblement de terre et de ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : “Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu! [15]”
L’icône signée La Crucifixion du Christ est représentative de l’art de Perrakis. L’iconographe suit une approche naturaliste qui se caractérise par l’excellence technique du dessin, la dramatisation et l’intensité du mouvement, l’harmonie synthétique, la sensibilité à l’utilisation de la palette chromatique, l’intérêt pour le jeu d’ombre et de lumière et pour la perspective. Perrakis privilégie ainsi les principes mis en place par la Renaissance et “suit le chemin Nazaréen” dans sa technique: il peint à l’huile, qui remplace la tradition byzantine de la tempera à l’œuf.
Ιcône de St. Perrakis, “La Crucifixion du Christ”, 1935. Église de Panagia Evangelistria, ville de la Canée. Archives de Markos Perrakis.
Le retour de la peinture religieuse aux sources de la tradition byzantine, après 1950
Le retour de la peinture religieuse aux sources byzantines s’est produit en Grèce pendant les années 1950, grâce à la contribution décisive de Fotis Kontoglou [16] qui a ouvert la voie d’un renouveau de l’iconographie byzantine. Cette évolution a entraîné le retour à la technique de la tempéra à l’œuf qui remplace désormais la technique de la peinture à l’huile.
Kontoglou était un point de repère pour les jeunes iconographes de son temps qui ont suivi l’enseignement de leur maître. Parmi eux, les iconographes crétois Stylianos Kartakis [17], originaire de Kissamos, et Georges Kounalis ont adopté un style purement byzantin. Ils ont créé des fresques dans plusieurs Eglises de la Canée. Dans l’Église Saint Nektarios, on trouve les peintures murales de Kartakis, La Crucifixion et La Résurrection du Christ. Dans l’Église Saint Nicolas, à Souda, on trouve la fresque de Kounalis La Descente de Croix. Ces peintures murales se caractérisent par le dessin soigné, les harmonies de couleurs et les contrastes de tons chauds et froids.
De gauche à droite: 1) St. Kartakis, “La Crucifixion”, fresque, Église Saint Nektarios, vile de la Canée. Source 2) G. Kounalis, La Descente de Croix, Église Saint Nicolas, Souda, la Canée 3) St. Kartakis, la Résurrection, fresque, Église Saint Nektarios, ville de la Canée. Source
En particulier, dans sa peinture, Kartakis adopte le type iconographique de la Crucifixion selon la tradition byzantine. La figure du Christ en Croix domine, au centre de la composition. Il est représenté avec les yeux fermés et la tête légèrement inclinée vers la droite. Toutefois, les traits du visage sont restés calmes, empreints de sérénité. Même s’il est mort, il se tient debout sur ses pieds comme s’il était vivant. Il porte un périzonium blanc autour de sa taille. L’accent est mis sur le corps du Christ, sculpté dans l’amaigrissement, presque squelettique, aux bras et aux paumes qui s’ouvrent “comme s’il était en prière, comme un signe de bénédiction et d’accueil pour tous les hommes [18]”. “Et les jambes jointes, les genoux légèrement pliés, les pieds appuyés dans la planchette de bois, le suppedaneum [19]”.
Le drame divin se déroule devant les hauts murs de Jérusalem. Le mont du Calvaire ou “Lieu du Crâne” est stylisé dans la peinture byzantine, décrit comme un lieu rocheux. Suivant les normes byzantines, l’iconographe pose la Croix de Jésus sur une colline rocheuse en-dessous de laquelle s’ouvre une grotte où est visible le crâne d’Adam. Selon K. Kalokiris, les iconographes qui suivent les types byzantins soumettent le réalisme à la dimension généralement transcendante de leurs compositions [20].
Le voyage dans l’iconographie Orthodoxe se termine avec le cas de Nikos Giannakakis, peintre et iconographe crétois, originaire de la région Kalyviani (Gramvoussa, Kissamos). Giannakakis a étudié l’art religieux auprès de Kartakis. Il a collaboré avec lui pour la réalisation du programme iconographique de la Cathédrale de Saint Minas, à Héraklion (1968). Il a également étudié les arts plastiques et l’iconographie byzantine à l’École des Beaux-arts, et l’art de la Mosaïque à Florence. Dans son art religieux, il fait preuve d’un style “néo-byzantin” [21], tout en suivant la tradition de l’École Crétoise d’iconographie.
A gauche: N. Giannakakis, La Crucifixion, fresque, Église Saint Panteleimon de la Canée, 2005. A droite: N. Giannakakis, La Résurrection, fresque, Église Annonciation de Theotokos, Castelli, Kissamos, 1992.
Dans la peinture murale de la Crucifixion, Giannakakis représente Jésus en Croix, au centre de la composition. Sa tête tombe en avant contre son épaule. Il a les yeux fermés, dans une pose sereine, avec les bras étendus et les paumes ouvertes. Le Christ est mort mais représenté apparemment paisible, presque vivant. Du sang et de l’eau s’écoulent de ses plaies. Son corps est nu, mais sacré, portant seulement un périzonium. À droite, au pied de la Croix, la Vierge est en proie à la douleur mais participe avec fermeté à la Passion de son Fils. A gauche de la croix se tient Saint Jean. Les murs de Jérusalem apparaissent en arrière-plan, afin de ne pas déranger visuellement le sujet principal.
Giannakakis suit le style byzantin, cependant il entretient un rapport créatif avec la tradition byzantine, évitant l’imitation stérile. Comme on le voit, dans ses fresques portant sur la Crucifixion et la Résurrection du Christ, la particularité de son style est principalement due à l’intense expressivité du regard et du mouvement des figures sacrées, ainsi qu’à l’utilisation de la couleur comme un moyen essentiel d’expression, doté d’une forte charge émotive [22]. Son art ecclésiastique ouvre la voie au renouvellement de la tradition post byzantine. Il a créé des fresques dans de nombreuses Églises à la Canée, en Grèce, en Italie et en France.
En conclusion
À travers cet itinéraire dans l’iconographie de la Passion divine, telle qu’elle est représentée dans des icônes et des fresques dans des Églises historiques de la Canée, on constate que l’art religieux local exprime l’expérience ecclésiastique. Par conséquent, il est fortement influencé par le contexte historique et même par les évolutions dans le domaine des arts.
L’intégration progressive des motifs occidentaux dans l’iconographie Orthodoxe en Crète a commencé au milieu du 15e siècle et s’est poursuivie au 16e et au 17e siècle, grâce à la célèbre École Crétoise d’iconographie. Les iconographes post-byzantins Paleokapas et Poulakis ont incorporé plusieurs motifs de l’art occidental dans leur iconographie. Pendant l’occupation Ottomane en Crète, les types de l’École Crétoise ont été préservés, cependant l’art religieux acquiert une “expression” plus naïve.
À la fin du 19ème et au début du 20e siècle, l’art des iconographes autochtones (cf. Kalliterakis, Papadakis) présente un mélange intéressant des traditions, une combinaison particulière des traits occidentaux et byzantins. Au cours des trois premières décennies du 20e siècle, le style Nazaréen a également influencé l’art religieux local. A titre d’exemple, l’iconographe Perrakis a formé un idiome qui incorpore des influences occidentales, provenant notamment de l’école nazaréenne. Le style néo-Renaissance et les tendances académiques ont davantage éloigné la peinture religieuse locale des types byzantins traditionnels. Cependant, cet art religieux a été particulièrement apprécié par le peuple croyant, grâce à son excellence technique et à son caractère idéaliste.
Dans les années 1930, Kontoglou se lança dans une lutte dure pour ramener l’art religieux aux sources de la tradition byzantine. Après 1950, la peinture religieuse revint au style post-byzantin, considéré comme le seul capable d’exprimer le dogme Orthodoxe. Sur les pas de Kontoglou, des jeunes iconographes (cf. Kartakis, Kounalis) ont adopté le style purement byzantin. Continuateur de la tradition de l’École Crétoise, l’iconographe contemporain N. Giannakakis entretient une relation créative avec la tradition byzantine et post-byzantine.
Les représentations de la Passion Divine qui ont été considérées dans cette étude, témoignent de la haute perception esthétique des iconographes autochtones, présentent explicitement l’évolution de la peinture religieuse à la Canée, et permettent aux croyants de percevoir et de “ressentir” l’art religieux tant sur le plan de l’esthétique que du culte. Le passage de la Crucifixion à la Résurrection est aux fondements de la religion chrétienne. La Mort et la Vie coexistent sur la Croix. Bonne Fête de Pâques 2020, porteuse d’espoir!
* Texte rédigé et traduit en français par Alexandra Kouroutaki
Notes
[1] Alevizou Denise-Chloé, La Crète des Artistes. 19ème et 20eme siècles. Iconographie – Peinture – Sculpture, éd: Dokimakis, Heraklion, 2010, p. 20
[2] Voir Kalokyris, K., “Les douze grandes fêtes de l’Orthodoxie”, Encyclopédie religieuse et éthique, vol. 5, Athènes, 1964, p. 752
[3] A propos des influences des modèles flamands dans la peinture post-byzantine et en particulier dans l’iconographie de la Passion, voir Rigopoulos Ioannis, “La Crucifixion du Christ et ses modèles flamands”, disponible en grec https://www.academia.edu
[4] Voir Lydakis St., Dictionnaire des peintres et graveurs grecs, Melissa Publisher, Athènes 1976, p. 362. Voir aussi Rigopoulos, Ioannis, L’iconographe Theodore Poulakis et les gravures flamandes sur cuivre, éd. Grigoris, 1979
[5] Voir plus d’informations sur la biographie de l’iconographe Kalliterakis, Graikos, N., “Tendances académiques de la peinture ecclésiastique en Grèce au XIXe siècle. Questions culturelles et picturales”, thèse de doctorat, Thessalonique 2011, p. 574
[6] Pour le modèle de Kalliterakis, (la peinture de Jean – Baptiste Jouvenet, La descente de Croix, Louvre), voir Graikos, N., (2011), 547
[7] Voir l’icône La Descente de Croix, de St. Stavrakis (18e siècle), Musée Benaki.
[8] Voir la peinture à l’huile de Frederick Kemmelmeyer, The Bloody Sentence of the Jews Against Jesus Christ the Lord and Saviour of the World, 1788-1799.
[9] Les peintres-iconographes autochtones qui furent influencés par l’art Nazaréen sont parmi d’autres: Xenophon Papangelakis, Michel Papadakis, Manolis Theodosakis, Nikolaos Vlachakis, Stylianos Perrakis, George Polakis.
[10] Voir Georgiadou Kountoura, E. “Questions religieuses dans la peinture grecque moderne, 1900-1940”, thèse de doctorat, Thessaloniki, 1984, p.24. et Alevizou (2010), 60.
[11] Voir plus d’informations sur la biographie de l’iconographe Perrakis, Alevizou, (2010), 213
[12] Alevizou (2010), 213.
[13] Voir Grigorakis Michel, “La Canée et ses artistes”, revue Provoli, éd. Chaniotika Nea, 1875, “Perakis était le fils d’un iconographe pratique. Il travaillait à l’huile. Ses icônes témoignent d’une combinaison particulière des couleurs. Son travail était influencé parfois de l’art occidental, parfois de Byzance”.
[14] Dans les évangiles: Mt 27,54 ; Mc 15,39
[1]Dans les évangiles: Mt 27, 35-56 ; Mc 15, 22-45 ; Lc 23, 33-52 ; Jn 19, 17-40
[1] Lydakis, (1976), 187
[1] Voir plus d’informations sur la biographie de l’iconographe Kartakis (1912-1988), Lydakis, (1976), 167 et Alevizou (2010), 265 – 268.
[1] Kontoglou, Fotis, Expression de l’Iconographie Orthodoxe, vol. A, édition Papadimitriou, 2000, p.174.
[1] Ibidem
[1] Voir K. Kalokyris, La peinture de l’Orthodoxie: Interprétation historique, esthétique et dogmatique de la peinture byzantine, éd. Purnara 1972. p.139
[1] Voir Giannakakis Nikos, Louange à Dieu. Art pictural Orthodoxe néo-byzantin et crétois, éd: Préfecture de la Canée, La Canée, 2005
[1] Voir Phillis Yiannis, Nikos Giannakakis: Je suis un Iconographe, Préfecture de La Canée, La Canée, 2015, p. 47
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M.V.