Pour la première fois, les photographies prises par Henri Cartier-Bresson lors de ses trois voyages en Grèce en 1937, 1953 et 1961, sont réunies et exposées dans la Fondation Basil & Élise Goulandris à Athènes.

Plus précisément, jusqu’au 27 octobre 2024,  le musée accueille deux expositions d’Henri Cartier-Bresson à Athènes : la première sous le titre Grèce rassemble, pour la première fois, toutes les photographies prises par Henri Cartier-Bresson lors de ses voyages en Grèce est la deuxième,  Images à la Sauvette consacre les 74 photographies qui composent le célèbre ouvrage.

À travers les photographies grecques de Cartier -Bresson (1908-2004), les visiteurs ont l’opportunité de voyager à Athènes, dans les îles Cycladiques, sur les sites archéologiques les plus importants de Grèce ainsi que dans les régions les plus reculées du Péloponnèse, de la Thessalie et de l’Épire dans les années 1930, 1950 et 1960. La plupart des photos de cette section sont exposées pour la première fois au niveau mondial, accompagnées de riches archives inédites telles que des lettres, des planches-contact et bien plus encore. L’exposition est réalisée avec la contribution de la Fondation Hentri-Cartier Bresson.

Lors de son premier voyage, en 1937, le photographe visita des lieux comme Athènes, Galaxidi, Delphes, Mycènes, Hydra et Spetses. Lors de sa deuxième visite en Grèce, en 1953, il y séjourna trois semaines durant lesquelles il se concentra sur les sites archéologiques tout en capturant des moments de la vie quotidienne à Athènes ainsi que des errances dans le Péloponnèse et en Grèce centrale. Lors de sa troisième visite, en 1961, en tant que correspondant des magazines Vogue et Holiday, son itinéraire fut planifié en collaboration avec l’Office national grec du tourisme et lui donna l’occasion de visiter, entre autres, la Thessalie, l’Épire et les îles des Cyclades.

GreceHebdo* a parlé avec Marie Koutsomallis-Moreau, la commissaire de l’exposition Grèce,  sur le regard unique d’Henri Cartier- Bresson et les images inconnues de ses voyages dans le pays.

La Fondation Goulandris accueille des photos prises par Cartier-Bresson en Grèce,  lors de ses voyages en 1937, 1953 et 1961.  Quelle nouveauté, cette exposition, présente-t-elle au public grec ? 

En effet, on présente en gros deux expositions de Cartier-Bresson. Outre celle que vous mentionnez,  il y a aussi une exposition qui est consacrée à son monumental album édité en 1952 par Tériade, « Images à la sauvette » et là, il s’agit vraiment de photographies mondialement reconnues. Parallèlement à cette manifestation, on présente une exposition consacrée à la Grèce dont la grande nouveauté c’est qu’une majorité des tirages exposés sont inédits, ils n’ont jamais été présentés, soit dans un livre, soit dans une exposition auparavant. Je dirais donc qu’on voit une vision tout à fait nouvelle de la Grèce par Cartier-Bresson. Parmi les photos exposées il y a certaines qui sont très connues, comme cette petite fille qui se promène dans les ruelles de Sifnos ou les deux dames d’un certain âge qui passent juste en dessous d’un bâtiment assez connu dans le quartier de Keramikos.

Cartier-Bresson avait beaucoup voyagé en Grèce et Il a énormément photographié toutes sortes de visages, de personnes et de sites. Et c’est très beau de les voir dans leur ensemble, enfin.

Pourquoi et comment Cartier-Bresson a-t-il découvert la Grèce en 1937 ?  Est-ce que vous pourriez nous parler de ce premier voyage ? 

Cette question est très intéressante et effectivement c’était le point d’interrogation de l’expo parce qu’au début nous n’avions absolument rien. Même dans les archives de la Fondation Cartier-Bresson il n’y avait pas de lettres qui pouvaient expliquer ce voyage. C’est en étudiant les quelques rares planches contacts qui étaient restées de ce voyage que nous avons réussi à identifier la période parce qu’on a pu reconnaitre la fête de Clisson qui a lieu le 24 juin dans certaines régions de Grèce.  C’est là qu’on a compris qu’il était venu en juin et ensuite, on a pu vérifier qu’il était venu avec son épouse Ratna.

Progressivement on a pu reconstituer les événements puisqu’on a compris qu’il avait épousé Ratna le 18 mai 1937 et qu’en juin ils sont venus en Grèce.  En toute probabilité, sans être en position de le confirmer une fois pour toutes, Cartier-Bresson est venu avec Ratna en voyage de noces en Grèce, c’est à dire son premier voyage est tout à fait personnel.

Est-ce qu’il y a des photos de cette période-là qu’on peut voir dans l’exposition ? 

On en voit juste deux. Parce qu’en 1939, juste après le déclenchement de la déclaration de guerre de l’Allemagne contre la France, Cartier-Bresson décide de détruire une grande partie non seulement de ses photos, mais aussi de ses négatifs.

A ce moment-là Il prend les négatifs un par un et il les découpe. Finalement, il ne garde que très peu de négatifs ; parmi eux, Il y en a quelques-uns de Grèce, dont les deux tirages que nous présentons dans l’exposition. 

Est-ce que vous pensez qu’en Grèce, Cartier-Bresson recherchait des aspects d’une identité européenne ?  Parce qu’on connaît bien qu’il y avait aussi son livre Les Européens,  édité par Tériade en 1955.  Est-ce qu’il cherchait une identité grecque ou une identité européenne en Grèce ? 

Je pense qu’il a vu la Grèce à travers d’abord des yeux de philhellène, parce que Cartier-Bresson était un érudit, il lisait énormément et était passionné de littérature, mais aussi de théâtre.   Il est donc très probable que parmi ses références, il y avait Sophocle, Eschyle, Euripide et il a vraiment tenu à aller dans divers sites archéologiques.

En tant qu’athée, il ne croyait pas en une religion en particulier, on dirait qu’il est devenu presque sympathisant bouddhiste vers la fin de sa vie.  Pourtant il a fait un geste qu’on pourrait qualifier de religieux en Grèce ; Il est allé au sanctuaire d’Asclépios à Épidaure afin de  poser un laurier pour ses parents et faire une prière pour leur souhaiter la bonne santé.  Ainsi il est vraiment venu en tant que philhellène et je pense que c’est ça qui fait l’originalité de son regard.

D’une manière plus générale, partout dans le monde où il voyageait, Cartier-Bresson tenait vraiment à capter la spécificité de chaque civilisation, de chaque peuple, de l’histoire.  Et en tant que grec, c’est extrêmement touchant de voir ces témoignages de Grèce dans leur ensemble parce qu’on se dit comment il a réussi à saisir autant de clichés en si peu de temps.  De plus, quand on voit les visages des gens qu’il a immortalisés on a vraiment l’impression qu’en sortant dans la rue on va voir leurs cousins, leurs petits-enfants, leurs petits-neveux.

Je dirais donc qu’il y a un regard vraiment tourné vers la Grèce en elle-même.  Et puis, comme vous l’avez très bien dit, par extension, le voyage surtout de 1953 a été fait dans l’objectif d’inclure la Grèce dans le livre Les Européens, fait avec Tériade qui va lui présenter des personnages clés qui vont faire de ce voyage une vraie initiation pour Cartier-Bresson.

* Propos recueillis par Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr

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M.V.

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