La présence grecque en Belgique dès les débuts du 20ème siècle est une histoire complexe qui reflète tant l’histoire de la Grèce contemporaine que les processus migratoires sur le niveau européen. Bien que ces processus se soient intensifiés après la Seconde Guerre mondiale, on note la présence de communautés grecques en Belgique au moins dès les débuts du 20ème siècle, comme signalé par l’historienne Lina Venturas, dont l’oeuvre Migrants grecs en Belgique (éditions Nefeli, 1999, en grec) constitue un point de référence majeur pour l’historiographie de la présence grecque en Belgique. Tel fut le cas de la communauté d’Anvers dans les années 1910, qui s’inscrivait dans la tradition des communautés diasporiques à composition majoritairement bourgeoise et dont les activités reflétaient des intérêts culturels, patriotiques et religieux. Telle fut aussi l’activité de la communauté grecque de Bruxelles au milieu des années 1940 (Venturas 1999, voir aussi Bruneau 2000). En effet, jusqu’aux années 1950, la plupart des grecs en Belgique appartenaient plus ou moins aux classes moyennes éduquées et aspiraient à des stratégies d’ascension et d’intégration sociale en parallèle à des taux d’exogamie et de naturalisation très élevés (Venturas 2002).
Immigration dans les années 1950 : reconfiguration de la présence grecque en Belgique
Cette situation fut radicalement changée avec l’avènement de l’immigration massive de travailleurs grecs en destination des régions minières de la Belgique au milieu des années 1950 – à partir de 1955 et à la base d’un traité bilatéral à partir de 1957. Ceci faisait partie du contexte plus large de migration de travailleurs en provenance de pays du Sud de l’Europe vers les économies industrialisées de l’Europe du Nord-Ouest qui étaient en voie de reconstruction et de croissance rapide dans la période immédiate de l’après guerre. Bien que le nombre de travailleurs grecs en Belgique – qui ont travaillé dans des conditions très difficiles dans les mines – était relativement faible par rapport à celui des ouvriers grecs dans d’autres pays pendant cette même période, comme en République Fédérale d’Allemagne, leur impact fut décisif dans la reconfiguration de la présence grecque en Belgique et ses caractéristiques sociales.
Il s’agissait notamment de sa composition de classe devenue soudainement majoritairement ouvrière, ses références culturelles distinctes, ainsi qu’au long terme un positionnement politique qui commençait à diverger du consensus plus ou moins conservateur et dépendant de l’État grec qui dominait les communautés grecques jusqu’à ce moment. Au fur et à mesure que les travailleurs grecs s’installaient dans des centres urbains en dehors des régions minières et coexistaient avec d’autres membres de la communauté et des officiels de l’État grec, cette dynamique prit même la forme de ruptures et d’un dualisme organisationnel, comme dans le cas de Bruxelles pendant la période 1967 – 1991 (Venturas 2002).
L’expérience de l’immigration fut un processus transformateur pour des milliers d’ouvriers grecs, souvent en provenance de milieux ruraux et rapidement confrontés à des conditions de travail industriel et de vie quotidienne extrêmement difficiles, comme notamment documentées dans le film de Lambros Liaropoulos Lettre de Charleroi. Ceci aussi signifia un long processus d’intégration dans la société belge et de socialisation contradictoire avec d’autres migrants, italiens, turcs et autres (Venturas 2002, Seraidari 2011). En même temps, on peut noter que les travailleurs grecs en Belgique ont aussi été confrontés à des processus qui se développaient en même temps en Grèce (urbanisation, industrialisation, syndicalisme), même si dans des conditions beaucoup plus fragmentées, étant aussi donnée la répression politique de la Gauche en Grèce tout au long de la période de l’après guerre. Dans le cas belge, les sections grecques des syndicats se sont avérées un des noyaux organisationnels principaux de l’organisation communautaire grecque en Belgique, comme le démontre le parcours du journal grécophone Protoporos, initialement issu de la section grecque du syndicat chrétien-démocrate.
La présence grecque après 1960
Dès les années 1960, la transition professionnelle des mineurs grecs vers de nouveaux secteurs professionnels et leur relocation géographique ont conduit à une certaine diversification sociale. Plus tard, ce processus a été accentué avec l’entrée de la Grèce dans la Communauté Économique Européenne en 1981, qui a fourni aux citoyens grecs en Belgique un nouvel capital symbolique et institutionnel par rapport à d’autres communautés immigrantes non-européennes – c’est à dire le statut de citoyen d’un État-membre de la CEE-, en parallèle à l’avènement d’un nouvel stratum de fonctionnaires grecs qui travaillaient dans les institutions européennes (Venturas 2002, Seraidari 2014).
Tout au cours de ces années, les modalités d’extraversion culturelle des communautés grecques de Belgique ont affiché les points communs mais aussi les antinomies sociales et politiques de la Grèce contemporaine. Telle fut notamment la tension entre normes culturelles européennes à caractère typiquement bourgeois ou antiquisant et les pratiques culturelles plutôt spontanées qui s’inscrivaient dans la tradition populaire rurale et ouvrière. De même, comme finalement souligné par Lina Venturas (2002) on peut noter que les initiatives culturelles des communautés grecques sont passées de l’angoisse d’une assimilation hâtive à une volonté d’affirmation d’une identité distincte.
À côté des activités à caractère typiquement culturel, on peut aussi noter la visibilité de la présence grecque à travers des activités professionnelles, notamment les pratiques culinaires sur différents niveaux et spécialisations (Seraidari 2014), mais aussi, plus récemment, l’entremêlement d’initiatives solidaires et entrepreneuriales dans le contexte de la mobilisation que la crise économique a suscité en Grèce et en Europe (Seraidari 2018).
La crise et la mobilité d’aujourd’hui : l’histoire continue
En effet, les années 2010 et la crise économique ont signalé un tournant pour la présence grecque et un questionnement sur sa nouvelle composition. Les statistiques disponibles jusqu’en 2011 ne démontrent pas une augmentation de la migration grecque vers la Belgique analogue à celle de ressortissants d’autres pays du Sud de l’UE (Lafleur et Stanek 2017). Toutefois, il se pourrait que des nouvelles études affichent une dynamique différenciée au cours de ces années, telle que signalée empiriquement par un renouveau de l’activité communautaire grecque en Belgique (Seraidari 2018). L’histoire des communautés grecques en Belgique est vraisemblablement loin d’être close.
Dimitris Gkintidis | GreceHebdo.gr
Moments de la vie des Grecs en Belgique et les Pays-Bas (Publication électronique de l’EDIAMME/Université de Crète)