Ces deux dernières années marquent le traumatisme de la France, de la Belgique et au-delà, de l’Europe, face à des attaques d’une violence inouïe. Gilles Kepel, ainsi que Yannis Kartalis et Sotiris Roussos étaient présents à l’Institut Français d’Athènes ce lundi 30 mai pour alimenter le débat concernant le «jihad en Europe» et nous éclairer sur ses problématiques. GrèceHebdo a assisté à la discussion.
Gilles Kepel était déjà intervenu à Athènes, dans les mêmes locaux de l’Institut Français, en 2002. Ayant créé la chair sur le Moyen-Orient à Sciences po et disposant d’une grande connaissance de «terrain», il est aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes français des questions liées au jihad.
L’universitaire identifie les terroristes comme appartenant à une troisième génération de djihadistes. La «Genèse du jihad français» est rapportée dans son dernier livre «Terreur en Hexagone» (Gallimard, décembre 2015). Il apporte une analyse de «deux cheminements qui sont à la fois national et international» et qui conduisent à cette guerre salafiste au sein de l’Europe. C’est une jeune génération aux racines européennes qui a été mobilisée grâce à des idéologues de Ben Laden comme Abou Moussab Al-Suri qui diffusent leurs messages via Youtube et Tweeter. La suite de la stratégie a été de porter un coup aux « puissants » pour montrer que ces « mécréants » ne sont pas intouchableset les fragiliser, avec, au début, les attentats du 11 septembre 2001. Enfin, le but des salafistes est, avec ces mêmes attentats, de mobiliser des masses de «bons» musulmans pour détruire ce « ventre mou » de l’Occident et établir le califat. Un point sur lequel ils seraient en train d’échouer selon Gilles Kepel. Ce sont aussi des « enclaves nationales » qui se sont créées. Avec des causes culturelles et sociales comme la difficulté de s’insérer au marché de l’emploi. Dans la période de 2005 à 2015, Gilles Kepel voit la création et la solidification de ces « enclaves » permettant le recrutement de jeunes français près «à se tuer et tuer leurs compatriotes». Avec, comme l’analysent aujourd’hui de nombreux spécialistes, des échos de ces discours dans les prisons françaises.
Cela dit, même si selon le chercheur français les attentats de janvier contre les dessinateurs et le personnel de Charlie Hebdo a été un succès au sein des organisations salafistes car très ciblés, Gilles Kepel identifie les deux attentats qui ont suivi comme de possibles échecs. Le fait de s’en prendre à un stage entier, proche de populations que les salafistes veulent sensibiliser à leur cause et de ne pas cibler leurs victimes a eu de véritables échos négatifs dans leur milieu, notamment dans les prisons.
L’audience a pu poser ses questions concernant les valeurs transmises dans les écoles aujourd’hui mais également concernant l’état d’urgence, reconduit depuis 6 mois. Il est identifié par les intervenants non comme une solution mais comme une mesure visant à rassurer la population. Ce débat de première importance nous rappelle que si le sujet du jihad en Europe en lui-même est déjà porté à la connaissance de tous à la suite des attaques, l’analyse d’universitaires est plus que jamais nécessaire pour arriver à des débats éclairés qui peuvent conduire à des solutions et des politiques publiques.
Léa Rollin