Ernst Ziller (1837–1923) est un architecte saxon qui a lié sa vie et son œuvre à la ville d’Athènes transformant la capitale du nouvel État grec d’un village en une ville européenne du XIXe siècle. En construisant plus de 500 bâtiments entre 1870 et 1914, Ziller a donné à Athènes l’identité et l’esthétique architecturales dont elle avait besoin, en la reliant à son passé antique. Son œuvre riche et variée a profondément influencé l’architecture néo-classique bourgeoise et populaire en Grèce. Ce philhellène particulier, également chercheur et archéologue, a été naturalisé grec après son mariage avec la pianiste Sophie Doudou et a passé la plus grande partie de sa vie avec sa famille à Athènes.
Ernst Moritz Theodor Ziller, est né le 22 juin 1837, à Serkowitz, un petit village de Saxe près de Dresde, dans une famille aisée de dix enfants qui possédait une entreprise de construction. Son père, Christian Gottlieb Ziller, est lui-même architecte, alors que Ernst apprend, sur les chantiers de son père, le métier de maçon. Ernst fréquente en outre, de 1855 à 1858, l’atelier d’architecture de l’Académie des Beaux-Arts de Dresde (École Semper-Nicolai), où il obtient, la deuxième année, une médaille de bronze et, la troisième année, une médaille d’argent pour des ouvrages réalisés dans le cadre de concours d’études.
Après ses études, Ziller a la chance d’être embauché comme dessinateur dans le bureau du grand architecte danois Theophile Hansen (1813-1891), qui avait déjà entrepris des projets architecturaux à Athènes sous le roi Othon Ier de Grèce. La transformation d`Athènes, qui ne comptait à l’époque que quelque 12 000 habitants, en une capitale représentative à forte croissance avait été entamée sur un plan de 1831 par Schaubert et Kleanthis, dans un classicisme d’inspiration grecque.
Son arrivée à Athènes
C’est en 1861 que Ziller, à l’âge de 24 ans, vient en Grèce à l’instigation de Hansen dans le but de surveiller la construction de l’Académie, l’un des trois bâtiments néoclassiques qui forment l’emblématique Trilogie d’Athènes. Le bâtiment central de la Trilogie, l’Université d’Athènes a été construit en premier (à partir de 1839) suivant la conception de l’architecte danois Christian Hansen, frère de Théophile. La Bibliothèque nationale avec son escalier semi-circulaire caractéristique, construite à partir de 1888 est le troisième bâtiment de la Trilogie construit également sous la surveillance de Ziller.
Après l’expulsion du roi Othon Ier en 1862 Ziller est rentré à Vienne ou il a continué travailler dans le bureau de Hansen tout en étudiant l’architecture et la peinture à l’École des beaux-arts de la capitale autrichienne. Au cours de la même période, il visite plusieurs villes italiennes telles que Vérone, Rome, Florence, Venise, Pompéi, etc. où il effectue des études architecturales sur place.
La révolution de 1862 en Grèce a clôturé le cycle historico-social de la période 1833-1863, qui dépendait étroitement de l’idéologie culturelle allemande, en particulier bavaroise, grâce au roi Othon Ier. La période suivante, la première période du roi Georges Ier (1863-1887), est caractérisée par le processus évolutif d’émergence de la bourgeoisie grecque, renforcée par l’arrivée et l’installation en Grèce de riches mécènes grecs, tels que Syngros, Baltatzis, Papudoff, Skouloudis, Negrepontis, Skouzes, Kalligas, etc.
En 1868, Ziller retourne en Grèce pour y travailler en tant qu’architecte indépendant. Sa popularité auprès de la bourgeoisie grecque renforce sa réputation et il reçoit des centaines de commandes pour la construction d’édifices publics, de résidences privées et de villas.
La fusion entre le classicisme athénien et le romantisme européen
Contrairement à son maître Hansen, Ziller a conçu ses œuvres principalement en Attique, où prévalaient des conditions climatiques différentes de celles du nord brumeux. « L’architecture de Ziller s’oriente sur la lumière et réagit aux changements de cette lumière attique bien caractéristique. Des colonnes de tous styles inondées de lumière, des stoas, des motifs décoratifs d’une expression forte font de ses édifices des instruments de musique, dans lesquels l’ombre et la lumière génèrent une mélodie inédite d’une grande harmonie, toujours fonction de la trajectoire du soleil… » (Marina Lambraki-Plaka, Edition de la Galerie Nationale – Musée Alexandros Soutsos, 2010)
De plus, la taille d’Athènes imposait des échelles et des proportions différentes de celles des capitales du nord, afin de respecter les conditions esthétiques, naturelles et historiques du lieu. L’architecture de Ziller est un exemple intéressant de fusion entre le classicisme athénien et le romantisme européen. Le mariage de ces deux courants a donné naissance à des édifices d’une grande beauté qui mêlent le classicisme grec et des éléments de la Renaissance avec de nettes tendances à l’éclectisme. Le talent de Ziller consiste précisément en cela : la capacité de composer sans préjugés.
En tant qu’expression de l’attitude cosmopolite qui a vraisemblablement caractérisé non seulement sa biographie mais aussi son architecture, il a toujours vu au-delà des étroites frontières athéniennes et a composé son style personnel à travers cette attitude. De l’imitation des motifs de l’Erechthéion aux fresques pompéiennes, en passant par les palais vénitiens, les villas de Semper et les Grands Magasins parisiens et viennois de la Belle Époque, Ziller avait le talent de synthétiser tous ces éléments en une nouvelle idée, une nouvelle unité stylistique.
Ziller, suivant l’exemple de Hansen, alliait l’architecture à la peinture (aménagement et décoration d’intérieurs) et à la sculpture (ébauches de sculptures pour des façades, de meubles et de panneaux de bois pour gravures) et poursuivait ainsi l’idée de l’œuvre d’art totale, où ces différentes disciplines se complètent les unes les autres.
Des édifices publics, des résidences privées et des églises
Parmi les bâtiments les plus importants d’Athènes conçus par Ziller figurent la résidence Syngros (aujourd’hui siège du ministère des Affaires étrangères, 1872-73), le manoir Melas (aujourd’hui bureaux de la Banque nationale de Grèce, 1874), le Iliou Melathron (résidence de l’archéologue Heinrich Schliemann, aujourd’hui musée numismatique d’Athènes, 1878-81), le manoir Psychas (aujourd’hui ambassade d’Italie, 1885), l’Institut archéologique allemand d’Athènes (1887-97), les hôtels « jumeaux » Megas Alexandros (1889) et Bagkeion (1890-1894) sur la place Omonoia, le palais du prince héritier (aujourd’hui le palais présidentiel / résidence officielle du président de la République hellénique, 1891-97), le théâtre royal (aujourd’hui le théâtre national de Grèce, 1895-1900), le manoir Stathatos (aujourd’hui musée d’Art cycladique, 1895), la villa Atlantis à Kifissia (1897) et la résidence Frissiras à Plaka (aujourd’hui le musée Frissiras, 1904).
En 1885, Ziller a conçu une résidence de trois étages (aujourd’hui connu sous le nom de résidence Ziller-Loverdos) où sa famille a résidé jusqu’en 1912.
Ziller a également été le premier architecte à envisager la mise en valeur et la modernisation du Pirée. C’est pourquoi il a construit à Kastella sept villas à deux étages avec une terrasse, semblables à celles de la Ziller Strasse à Radebeul. Il a imaginé et mis en œuvre un plan ambitieux sous le nom de « quartier Ziller » ou « quartier des villas ». Aujourd’hui seulement une partie d’un de ces bâtiments a survécu.
Un grand nombre de ses œuvres se trouvent dans d’autres villes grecques et notamment l’imposant Hôtel de ville de Syros (1875 – 1891), le théâtre Apollon (1871-1872) à Patras le musée archéologique de Milos (1870), le théâtre municipal de Foscolo sur l’île de Zante (1870-75, non conservé), l’ancien marché municipal d’Aigion (aujourd’hui musée archéologique d’Aigion, 1890), l’ancien marché municipal de Pyrgos (aujourd’hui musée archéologique de Pyrgos) et l’ancien consulat grec de Thessalonique (aujourd’hui musée de la lutte macédonienne, 1893). Ziller a également construit des résidences impressionnantes à Thessalonique, au Pirée, à Kifissia, à Patras, à Tripoli, à Syros, à Mytilène etc.
Parmi ses œuvres figurent de nombreuses églises, dont l’église métropolitaine Saint-Grégoire Palamas à Thessalonique, l’église Saint-Georges de la fondation Hatzikonsta à Metaxourgio (Athènes), l’église de Luc l’Évangéliste à Patisia (Athènes), l’église de la Transfiguration de Jésus à Vilia (Attique occidentale), l’église cathédrale de la Panagia Faneromeni et les églises de Saint-André et de la Présentation de la Vierge Marie au temple d’Aigio.
Ziller a essayé de s’adapter de la manière la plus satisfaisant possible à l’esprit de la société grecque sans pourtant renoncer à son credo morphologique, en adoptant un modèle de travail pluraliste à trois volets. Pour les œuvres publiques, il composait selon le modèle de la morphologie de la Renaissance avec l’introduction d’éléments grecs. Pour les œuvres ecclésiastiques, il a composé avec le courant néo-byzantin et néo-roman (Rundbogenstil). Pour les maisons de campagne de la banlieue d’Athènes, il a composé dans le style gréco-helvétique.
Étude pour l’aménagement paysager du Lycabette
Son étude pour l’aménagement paysager du Lycabette est un document précieux pour le développement urbain historique d’Athènes donnant un aperçu de la tendance romantique, mais aussi réformiste, de la société bourgeoise. Ziller conçoit, dans un mélange complet de styles, des arcades avec des colonnes doriques, des fontaines avec des colonnes commémoratives, des jets et des cascades, des aires de repos avec des bancs et des pergolas, un chemin de fer électrique et une route carrossable à la manière suisse etc révélant ainsi son intention éclectique de fusionner la Nature, l’Art et l’Architecture. Cependant, le montant des dépenses du projet était d’une telle ampleur qu’il n’a pas pu être inclus dans le programme de construction, car la Grèce à l’époque devait faire face à des problèmes économiques graves.
Les recherches archéologiques de Ziller
Ziller a mené des fouilles impressionnantes. Il a découvert l’emplacement du stade panathénaïque et a réalisé la fouille décisive (1864-69) tandis qu’avant même son voyage en Italie, il avait déjà commencé, à la demande de la Société archéologique, à enregistrer la fouille du théâtre de Dionysos. Ziller a mené des fouilles à Troie et sur le site archéologique de Ramnounta près de Marathon et dans les barrières d’eau de l’Attique. En se basant sur la disposition horizontale de l’épistyle du Parthénon, il a même démontré que la courbure était un choix conscient dans la construction du Parthénon pour des raisons de perspective. Son étude sur l’illumination du Parthénon, c’est-à-dire l’endroit où la lumière pénétrait dans le temple a été également exceptionnelle.
La fin tragique de sa vie
Ziller a épousé la pianiste et compositrice Sofia Doudou, fille d’un homme d’affaires grec. Le couple s’est rencontré au début de l’année 1876 à Vienne et s’est marié en juin de la même année. Ils ont eu cinq enfants, Valeria, Natalia, la peintre Joséphine ou Fifi, Otto et Walter. Ziller est mort à Athènes le 10 novembre 1923 et a été enterré au cimetière d’Athènes. Les dernières années de sa vie ont été dramatiques, car il a été contraint de vendre sa maison et ses biens personnels suite à une faillite en raison des investissements ratés.
Ioulia Elmatzoglou | GreceHebdo.gr
SOURCES PRINCIPALES DU TEXTE
Ernst Ziller, Architecte (1837-1923), Marilena Z. Kasimatis, Edition de la Galerie Nationale – Musée Alexandros Soutsos, 2010
Architect Ernst Ziller and his rich legacy in Greece, Greek News Agenda, 2021
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