Votre dernier roman Comment devenir propriétaire d’un supermarché sur une île déserte vient de paraitre en français. De quoi s’agit-il ?
Le livre raconte l’histoire de Robert Man, un journaliste néo-zélandais qui, lors d’un voyage d’affaires, se retrouve naufragé dans une île déserte inconnue, au milieu de nulle part. Là, tout seul, au lieu de sombrer dans le désespoir, il s’adonne à la recherche du soi et décide de construire un supermarché. Équipé d’imagination et du désir de gravir l’échelle sociale, une aventure personnelle commence, marquée par des conséquences inattendues et surréalistes. La publication du livre en France est une chose merveilleuse pour moi. C’est en fait mon deuxième livre qui y est publié, après L’argent a été vire sur votre compte [titre grec: Το Θαύμα της αναπνοής] il y a trois ans.
Le paradoxe et l’absurde semblent habiter la plupart de vos livres. Pourquoi ce choix ?
Le paradoxe pour moi est un véhicule stylistique, grâce auquel je peux «voyager» en sécurité vers les mondes que je crée par écrit. La réalité, en tant que condition donnée, ne m’a jamais fasciné; après tout, j’écris pour échapper à la réalité, c’est ma prédisposition principale. Cependant, les thèmes du grotesque, de l’hyperbole et de la fantaisie dans mes histoires ont pour but ultime de mettre en exergue l’angoisse existentielle dans la vie de l’homme moderne. A cette angoisse existentielle vient s’ajouter notre désir perpétuel de conquérir une vie que nous n’avons jamais eue auparavant. Mes livres portent surtout sur nous tous, vous et moi, et les manières dont nous nous efforçons de contrôler ce véhicule personnel, qui s’appelle notre propre vie.
Quand j’ai commencé à écrire, je voulais simplement raconter des histoires, exister comme quelqu’un qui donnerait forme à un groupe de personnes, qui les «accoucherait» en chair et en os. Pourtant, au fil du temps, cela ne suffisait pas. Peu à peu, en découvrant mon style personnel, j’ajoute une touche plus intime et j’essaye de parler de la vie comme je la comprends, en mettant l’accent sur mon angoisse pour tout ce qui nous arrive jusqu’à l’instant de notre mort. Essentiellement, mes livres portent sur des cris qui se sont transformés en histoires. En d’autres termes, au lieu de dire quelque chose directement, je le fais dans ma solitude en écrivant un roman. En somme, au fil des années, ma vie a changé grâce à mes livres et j’ai fini par considérer cela comme une évolution naturelle. Maintenant, ce dont j’ai vraiment besoin, c’est d’un bon psychiatre.
L’argent a été viré sur votre compte a été traduit dans diverses langues et a été présélectionné à la fois pour le prix européen de l’excellence en littérature et le prix Jean Monnet. Comment vivez-vous le fait d’être traduit à l’étranger ? Pour quelle raison la littérature grecque est-elle attrayante pour les lecteurs étrangers ?
La publication de mes livres en dehors de la Grèce génère en moi un sentiment presque métaphysique. Ecrire un livre confiné dans ma chambre qui ensuite sera peut-être lu par des gens en Chine, crée un sentiment difficile à décrire. L’argent a été viré sur votre compte continue son chemin dans de nombreux pays et il en va de même avec Comment devenir propriétaire d’un supermarché sur une île déserte. Sans aucun doute, il s’agit d’un moment très important pour moi et je remercie sincèrement tous mes lecteurs, dans n’importe quelle partie du monde qu’ils soient. Pourtant, jusqu’ à récemment, les éditeurs étrangers étaient plutôt intéressés par des éléments plus folkloriques de la littérature grecque ou de la crise grecque. Mon écriture n’appartient ni à l’une ni à l’autre des ces deux catégories. Inévitablement, j’écris en grec, mais je ne traite pas seulement de «questions grecques»; je suis plutôt intéressé par les personnes qui vivent sur cette planète.
En tant que membre du comité du prix Athènes pour la littérature, quels sont, à votre avis, le potentiel et les perspectives de la nouvelle génération d’écrivains grecs ?
Je ne crois pas aux générations d’écrivains. Je considère que la littérature est une question très personnelle. Pourtant, on ne peut pas nier que les personnes vivant dans des longueurs et des largeurs spécifiques de l’espace-temps, partagent des images similaires du monde. J’attends avec impatience de bons livres grecs, des livres qui vont m’inspirer ce sentiment merveilleux de l’extase de la lecture. Au cours des dernières années, au sein du Comité du prix Athènes pour la littérature, nous avons eu des difficultés à repérer des livres vraiment bons. Heureusement, nous avons eu la chance de découvrir quelques titres très remarquables et je suis convaincu que les années à venir nous réserverons de bons romans.
** L’entretien a été publié en anglais sur le site Greek News Agenda-Reading Greece (Athina Rossoglou), sous le titre: Dimitris Sotakis on the Potential of Greek Writers and the Appeal of Greek Literature Abroad (21 février 2017).
Traduction de l’anglais pour GrèceHebdo: Magdalini Varoucha
M.V.