Dimitris Christopoulos est professeur assistant à l’université Panteion d’Athènes. Il est vice président de la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme. De 2003 à 2011, il était président de la Ligue hellénique pour les droits de l’homme. Il est fréquemment interviewé par les médias grecs et internationaux et écrit régulièrement dans la presse grecque, en contribuant à la promotion de la sensibilisation pour les droits de l’homme en Grèce, en particulier pendant la crise actuelle. Professeur Christopoulos a parlé à “Rethinking Greece” des droits de l’homme en Grèce, de la crise économique et des réfugiés dans son contexte européen, et les politiques du gouvernement grec dans ces domaines.
L’interview qui a paru au quotidien électronique Greek News Agenda a été, par la suite, traduite par GrèceHebdo *.
Quels sont les points positifs mais aussi négatifs dans la façon dont l’Etat grec a géré la crise des réfugiés jusqu’ici? Et pour ce qui est de la suite des politiques migratoires?
Le point positif, et il est très positif, c’est que nous avons laissé derrière nous l’agenda xénophobe de l’ancien Premier ministre Samaras, à savoir l’idée que nous allons empêcher les personnes d’entrer dans le pays, en leur faisant « la vie insupportable. Ce récent changement, en 2015, a touché nos concitoyens. Au moins, ils ne prennent plus les réfugiés pour des boucs émissaires à l’origine de leurs innombrables problèmes. Toutefois, je crains – et cela est très regrettable –qu’à l’intérieur de l’administration grecque, le défaitisme s’installe et la conviction qu’on ne peut plus rien faire ne cesse de gagner du terrain. Mais si on céde au fatalisme – car on ne dispose pas de personnel, ni argent, ni structures- il est certain qu’on ne fera rien. Que puis-je dire? Nous avons besoin d’une grande mobilisation pour améliorer la situation, d’ autant plus qu’un grand nombre de réfugiés ne sont pas en mesure de quitter la Grèce dans les mois à venir.
Comment jugez-vous la gestion de la crise des réfugiés par l’UE, suite aux récentes pressions exercées vers la Grèce pour ce qui est du contrôle des frontières?
En Europe, en raison des flux récents des réfugiés, la notion de frontières extérieures est effondrée. Et ce n’est pas la faute de la Grèce quels que soient les objections qu’on pourrait exprimer sur la façon dont le pays a géré la crise des réfugiés. Malheureusement, ce que je vois être banalisé dans l’UE est l’attribution systématique et injuste de toutes les omissions constatées au maillon faible de la chaine européennes, c’est-à-dire à la Grèce.
L’UE utilise les lacunes grecques comme un prétexte pour imposer au pays plus de responsabilités et d’obligations par rapport à tout ce que celle-ci peut assumer. En outre, l’UE ne peut pas être fière de sa performance dans la gestion de la crise des réfugiés: les Etats-membres n’ont pas ouvertement expliqué à leurs peuples que cette crise n’est pas un «mauvais moment» de notre histoire actuelle, mais une situation avec laquelle nous devons apprendre à vivre, à cause du désordre qu’on a créé au Moyen-Orient, en Afghanistan ou au Pakistan. Les états européens érigent des clôtures et ferment leurs frontières aux refugiés venus des pays tiers : bientôt, ce sera le tour de faire pareil aux autres Européens ! Vous voyez ce qui se passe ; même si l’extrême droite en France n’a pas gagné les dernières élections régionales, elle a pu marquer ses scores les plus élevés au fil de son histoire. Vous vous rendez compte de la gravite de la situation, si l’une de deux nations de l’axe européen (France et Allemagne) aurait élu un gouvernement de l’extrême droite… Un retour à l’Europe des années ’30 !
Quel est l’impact des droits sociaux en Europe après les attentats terroristes de Paris? Y a-t-il un problème d’islamophobie en Grèce?
Il y a des conséquences, déjà visibles, dans la mesure où un nouvel équilibre se met en place entre la liberté et la sécurité et une aggravation de la crise des réfugiés est possible à cause de la réaction belliciste de la France après les attentas terroristes. Nous vivons à une époque marquée par la « guerre contre le terrorisme », suite à la «guerre froide», qui a pourtant touché deux générations. Je ne peux pas deviner où nous serons dans dix ans. Toutefois, si nous répondons à la «manière Bush» après 11/9, je ne vois pas de bonnes choses. Quant à la Grèce, il y a, bien sûr, une question d’islamophobie, et même une version singulière d’islamophobie, qui n’est pas pour autant liée à l’environnement actuel de la migration postcoloniale européenne, mais au passé ottoman grecque et la relation de la Grèce envers la Turquie. Cependant, je l’espère sérieusement en raison de notre proximité avec le Moyen-Orient, que les Grecs, tant au niveau de la société comme au niveau du gouvernement, devront agir prudemment en faisant face à la situation avec précaution et maturité.
Comment peut-on repenser la Grèce suite à une double crise tant économique que migratoire?
A partir des conditions historiques d’une crise universelle aux multiples facettes, quelque chose de nouveau va naître. Telle est l’histoire. Ce qui est essentiel, c’est de ne pas avoir encore plus de pertes dans notre société et nos institutions jusqu’au moment où le pays sera en mesure de se remettre. Et par la suite de se rendre compte que la gestion de la crise des réfugiés n’est pas un exercice de charité, mais une « prova generale » devant des défis sociaux plus étendus. En Grèce, on dit souvent que les changements douloureux, survenus pendant les années de la crise, étaient sans précédent en temps de paix en Europe. Il est ainsi et si nous regardons l’histoire grecque et européenne du 20e siècle, nous saurions tirer quelque chose de positif de cette observation. Permettez-moi de vous rappeler, que la guerre, le nazisme et un bon nombre d’autres monstruosités ne sont pas des visiteurs étranges qui arrivent tout d’ un coup sur le vieux continent. Ces visiteurs font partie intégrante de l’histoire récente de ce continent.
* Traduction: Lazaros Kozaris, Maria Oksouzoglou