GrèceHebdo* a suivi la journée d’ouverture de ce colloque, organisée par l’Université Panteion des sciences sociales et politiques (Athènes) et l’Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (UMR 5186 du CNRS, Montpellier).
On présente ici un compte rendu avec les principales interventions des historiens et universitaires qui y ont participé. Ce colloque passionnant se conclue aujourd’hui (25 mai) à l’Institut des relations internationales de l’Université Panteion à Plaka (salle des conférences. 3, rue Hill –programme).
Conférences d’ouverture | Les Lumières aujourd’hui : l’idée du « progrès » en tant qu’anachronisme tenace
La séance d’ouverture a été accueillie par l’Institut Français le mercredi 23 mai 2018. Mikaël Hautchamp, directeur de l’Institut Français de Grèce, et Alexandre Farnoux, directeur de l’Ecole Française d’ Athènes, ont ouvert le colloque eninsistant sur la place centrale que tiennent les Lumières dans le cadre des institutions culturelles françaises. Mikaël Hautchamp a souligné que cette année l’Institut fête ses 111 ans et que son parcours historique est vecteur des richesses et des complexités du phénomène des Lumières dans ses déclinaisons balkaniques. Alexandre Farnoux a ensuite pointé que le colloque s’inscrit dans la programmation scientifique de l’Ecole, du fait qu’à l’occasion du bicentenaire de la révolution grecque en 2021 l’EFA s’intéresse particulièrement au rôle que les Lumières ont joué dans le mouvement d’indépendance Grecque.
La séance a ensuite continué avec les discours d’ouverture, sous la modération de Chrysanthi Avlami.
Bertrand Binoche a esquissé une approche critique de la question perpétuelle « qu’est-ce que les Lumières », en suggérant que ce phénomène pourrait être plutôt interprété en tant que démarche critique et agonistique continue plutôt qu’un mouvement à caractère défini et fixe.
Le concept négatif de « préjugé » qui fut couramment utilisé dans les textes de l’époque, au sens de passivité ou docilité, permet de comprendre la philosophie des Lumières en tant qu’engagement pratique et public. Cette nature polémique et réflexive de la philosophie des Lumières (« athéisme argumentatif ») fut toutefois neutralisée et dépolitisé durant le 19ème siècle par différentes fractions de la classe politique française (autant républicaines que libérales). Bertrand Binoche a même tenu a défendre l’incertitude que prônent selon lui les Lumières, en référence à des critiques telles que celle de Reinhart Koselleck.
S’agissant d’une des premières unités de recherche historique professionnelles, cet Institut, ainsi que ses acteurs principaux, tels que l’historien matérialiste et universaliste Schlözer, nous permettent de saisir le potentiel radical mais aussi les limites pragmatiques de l’historiographie des Lumières. Ceux-là ont été surtout conditionnés par la médiation et l’institutionnalisation universitaire. La cristallisation des enjeux politiques de la révolution française à la fin du 18ème a toutefois rendu l’acte de balance intenable pour ces historiens, en faisant éclater en même temps les contradictions internes de ce champ.
A noter que, en répondant aux questions des participants, Christos Hadziiosif, ainsi que Bertrand Binoche, ont tous deux tenu à souligner que l’idée d’une notion bien définie de « progrès » tenant une place centrale dans le mouvement des Lumières est un anachronisme tenace.
Franck Salaün a ensuite entrepris de retracer la valeur symbolique que tiennent les Lumières dans bon nombre de projets de construction culturelle nationale. Cette instrumentalisation nationale (ou « nationalisation ») des Lumières tient au fait que parvenir à établir une histoire des Lumières nationales est souvent sensé garantir à une « nation » une place dans la soi-disant « jeunesse de la modernité ».
Ces projets de nationalisation des Lumières n’appartiennent pas seulement au passé, mais des démarches de revendication de la paternité des Lumières sont toujours en train de resurgir en Europe par voie de publications ou de campagnes diverses. Ceci semble en fait contredire le principe universaliste fondamental des Lumières. C’est de ce point de vue même que Franck Salaün a aussi pointé les contradictions et la nature réductrice de l’identification des Lumières avec le colonialisme qui est souvent mise en avant par les représentants des études postcoloniales.
Par la suite, Jean-Pierre Schandeler a communiqué sur la mobilisation des Lumières dans un nombre de crises contemporaines, en distinguant trois types d’usage. Tout d’abord, les Lumières se sont progressivement constitués en tant qu’objet légitime d’étude académique (qui à son tour légitime aussi). Un deuxième mode de mobilisation à faire avec le réinvestissement politique des Lumières lors de conflits politiques nationaux tout au long du 20ème siècle et finalement, un troisième type de mobilisation, beaucoup plus collectif et spontané, consiste au fonctionnement des Lumières en tant que « dispositif enchanteur » le lendemain d’événements traumatisants, comme fut par exemple l’intérêt renouvelé des français pour l’œuvre de Voltaire Traité sur la tolérance à la suite des attaques terroristes sur Paris en 2015.
Le colloque se conclue aujourd’hui (25 mai) à l’Institut des relations internationales de l’Université Panteion à Plaka.
* Texte écrit par Dimitris Gkintidis | GreceHebdo.gr
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