La Grèce ancienne, et surtout la ville d’Athènes, figurent comme les sites et jalons historiques par excellence dans un long processus de formation et de dissémination de l’art théâtral. Bien que l’histoire du théâtre grec ancien ait été souvent privilégiée par l’historiographie occidentale et les hellénistes du 19ème siècle aux dépens de processus historiques et de patrimoines culturels analogues dans d’autres contextes géographiques tels que l’Afrique du Nord, l’Inde et l’Asie de l’Est (Csapo et Miller 2008, Carlson 2013), il n’en reste que le cas grec cristallise par son histoire fascinante les processus globaux qui donnèrent naissance à cette forme d’art, célébrée partout dans le monde chaque année le 27 mars, Journée Mondiale du Théâtre.

Une approche comparative et macro-historique nous permettrait de saisir les vicissitudes sociales et économiques déterminantes qui eurent lieu à Athènes durant le 6ème et 5ème siècle av J.C., et qui auraient possiblement conditionné un passage de la danse à des modèles d’expression linguistiques, beaucoup plus flexibles et riches en sens. Selon Glynne Wickham (1994), celles ci auraient bel et bien pu être le passage du mode de production exclusivement fermier (ou dans d’autres cas, chasseur) à des modèles de production artisanale et échanges marchands, ainsi que la succession de modèles politiques autocratiques et populistes. Plus précisément, le théâtre grec prend sa forme bien connue à la fin du sixième siècle, dans des compétitions théâtrales organisées chaque printemps sous l’autorisation du dirigeant populiste Pisistrate en honneur du dieu du vin et de la fertilité Dionyse. Le passage ultérieur à un modèle de gouvernement démocratique sous Clisthène en 510 av J.C. aurait même conféré une forte dimension civique et politique au théâtre athénien, ainsi qu’une dissociation de connotations religieuses.

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C’est dans un tel contexte, commun aussi dans d’autres cas, que se présentent de nouvelles formes narratives telles que le mythe et la légende, ainsi qu’une institutionnalisation et spécialisation (ou même professionnalisation) des pratiques et acteurs théâtraux. Dans le cas athénien, surgit la figure emblématique de Thespis, vainqueur de la compétition en 534 av J.C. Le cas et le succès de Thespis vint résumer un précédent de pratiques et petits festivals agriculturels éparpillés dans tout le pays grec, aux éléments mystiques, religieux mais aussi sexuels et extatiques. Thespis est de ce fait considéré comme le père de la tragédie et le premier acteur dans l’histoire du théâtre occidental (Girard 1891). C’est à Thespis qu’est le plus souvent attribuée l’introduction de l’acteur unique (le protagoniste) qui jouait tous les rôles, avant qu’ Eschyle (525-456 av J.C.) n’introduit un deuxième interprète (deutéragoniste) et Sophocle (496-406 av J.C.) en ajoute un troisième (tritagoniste). Les pièces de ces deux dramaturges bien connus, celles d’ Euripide (480-406 av J.C.), ainsi que les comédies d’Aristophane (448-380 av J.C.) et de Ménandre (342-292 av J.C.), constituent le corps principal de la production théâtrale grecque ancienne qui est sauvé jusqu’à nos jours. Les textes d’Aristote (384-322 av J.C.) sur ces pièces théâtrales sont aussi une source précieuse et réflexive au sujet de l’histoire du théâtre grec (Scullion 2005), une histoire riche, complexe et dynamique, qui continue de générer nombre de débats dans le domaine des études théâtrales. Enfin, la production théâtrale de l’antiquité grecque continue aujourd’hui d’être reproduite et même créativement remaniée de diverses façons, reflétant des conflits sémantiques et sociaux contemporains, mais aussi une manière très particulière de repenser la condition humaine à travers l’histoire.  

Photos:  I. Anciens masques pour le théâtre, II. Pièces sur Oedipus, metteur en scène: Peter Hall, 1996 (photo de Alian Titmuss)

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D.G.

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