Trois cents ans que tu t’enfonces dans les marais
que tu prends le plus profond métro. Telle une autre
ville dans la ville, menteuse
et fausse. Vent dans les canaux
artificiels d’une ville fantôme.
 
Trois cents ans que tu t’enfonces dans la ville.
 
Les passants te voient, ne ressentent
rien. L’escalator te descend démone dans la gorge
obscure. Qui mène à l’Achéron
où se trouve le devin. Vêtu de noir
au fleuve noir il attend
et tu lui donnes ce qu’il demande. Même si
tu ne sais pas donner, tu donnes
tout ensemble afin de parler
au père mort de ton arrière-grand-père.
 
Et lui qui dans sa vie fut despotique,
inaccessible, approche assoiffé
ombre pitoyable, lui qui avait la force
d’un lion implore de toi une goutte
de sang pour t’instruire
sur la vie dans cette ville de travers
sans Orient et sans Occident.
 
Vêtue de blanc tu déposes
une rose rouge  ses pieds
et lui te murmure immobile
les mots magiques de la patrie lointaine…
 
Alors se lève un vent bizarre
dans les galeries sous les marais
et l’on entend un chant d’amour tandis
que tu jaillis de l’eau trempée de lumière
et souris jusqu’à l’âme, et resplendis.
 
À la porte d’un jardin d’hiver je t’attends
au quartier Pouchkine près des eaux
d’un lac peint. Nous nous promenons dans un lieu
de rêve où la nature est soumise. Les heures
passent, et les années. Mais quand j’estime
qu’il est temps pour nos passions
de se dire, la parole est perdue.
 
Alors je tends une main hésitante
vers la main de Fatima, mais toi brusquement
te détournes et passes dans un autre rêve.
L’œil étincelle à présent, force
de ta terrible tribu. Et puisque
tu ne me crois pas, touche-moi, je ne suis pas
réelle. Je ne suis jamais partie
d’ailleurs comment partir moi triste
torrent du ciel fille du vrai
prophète. Je serai toujours là-bas
et mes vêtements vides ici-bas, image
du corps, à me regarder
du dehors. Entre moi et moi
le vide et seul ce qui se reflète
dans le lac est peut-être moi
comment ne le vois-tu pas ? Mais tu es
tellement bête, tu n’as rien compris
je ne vieillis pas, je n’ai pas grandi
pas enlaidi. Je me promène intacte
sorcière des eaux, corruptrice dont l’amour mauvais
te brûlera. Et maintenant, va-t-en.
 
Puis sans me laisser répondre
elle ajoute : Tu rentreras malade
par une journée de pluie, portant désespéré
la plaie du corps vieilli.
 
Périssable tu t’éteindras et moi je resterai
immortelle, flamme au fond
du poème. Là où se niche
le mythe — vipère parée, au venin
préservé, tout à moi, lovée dans les profondeurs
du désir inassouvi.
 
Michalis Pierris, “En rêve la patrie, 2000
Traduction du grec: Michel Vokovitch. Source 
Peinture: Alexis Akrithakis, “Sans titre”, 1993. Source: nikias.gr
 
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