Le cinéaste Lakis Papastathis, né à Volos en 1943 et décédé à Athènes en 2023, il y a quelques jours, est l’un des principaux représentants du Νouveau Cinéma Grec, un courant du cinéma  des années 1970-1980 équivalent à la Nouvelle Vague française. Personnalité intellectuelle multidimensionnelle et créateur aux multiples facettes, Lakis Papastathis est également considéré comme l’un des fondateurs du documentaire culturel à la télévision grecque avec son émission “Paraskinio” créée en 1976.

Il a étudié au Centre d’études cinématographiques (1963) en Grèce et il a commencé à travailler comme assistant réalisateur entre 1968 et 1971 dans le film culte “Evdokia” d’Alexis Damianos, un film emblématique qui a marqué le début du Nouveau Cinéma Grec avec La Reconstitution de Theo Angelopoulos (1970). Ce nouveau courant du cinéma grec est à l’opposé des images traditionnelles d’une Grèce touristique ensoleillée toute en bleu et blanc des films précédents. Les thèmes abordés ont essentiellement trait aux problèmes sociaux de la Grèce et à l’élaboration de sa société ; du point de vue esthétique, le nouveau cinéma épouse les formes proposées par le cinéma expérimental ou militant tandis que la réalisation de la plupart des films n’est possible que grâce à l’aide, souvent volontaire, que les réalisateurs s΄offrent mutuellement. Les acteurs sont également des visages nouveaux, voire des amateurs.

collage paraskinio

Papastathis a réalisé en 1972 son premier court métrage, “Lettres d’Amérique”, qui a été primé au Festival du film de Thessalonique. En 1976 il passe à la télévision, où il crée, en tant que réalisateur-producteur l’émission “Paraskinio”, l’une des émissions les plus anciennes de la télévision grecque, réalisée avec la logique et la technique du cinéma et non de la télévision. “Paraskinio” était une émission d’art et de culture de haute qualité diffusée sur la chaine de la télévision publique pendant une durée de 40 ans accueillant des personnalités de l’art et de la pensée. Dans les 900 épisodes de l’émission des personnalités qui formulaient le caractère et l’identité de la Grèce moderne telles que Manolis Anagnostakis, Miltos Sachtouris, Cornelius Castoriades, Karolos Koun, Katina Paxinou, Kostas Axelos, Kostas Tachtsis, Yiannis Tsarouchis, Nikos Xylouris, Markos Vamvakaris, Vassilis Tsitsanis, Manos Katrakis, Jules Dassin et al. étaient présentées.

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Cornelius Castoriades – Paraskinio (1984) 

Papastathis était aussi un créateur aux multiples facettes, qui a laissé son empreinte sur divers genres artistiques et avec différents moyens d’expression (cinéma, télévision, littérature, critique, etc.). Ce cinéaste grec érudit avait de la passion, de l’audace, de la sincérité et de la sensibilité. Il réalisait, parlait et écrivait avec le même “engagement” de l’esprit et de l’âme. Les longs métrages qu’il a réalisés notamment Le temps des Grecs (1981), Theophilos (1987), Le seul voyage de sa vie (2001), Voyage à Mytilène (2010) s’inscrivaient dans la tradition littéraire de Papadiamantis, Vizyinos et Mitsakis. “Je suis un enfant de la littérature grecque qui fait du cinéma”, résumait Papastathis ajoutant qu’ “il y a une interaction entre la littérature et le cinéma en moi, à tel point que lorsque je fais du cinéma, il y a quelque part de la littérature et lorsque je fais de la littérature, il y a quelque part du cinéma”.

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Le mythe et l’histoire, les lectures populaires, les fous littéraires, les visionnaires, les personnes troublées et douées, ont été transformés dans la synthèse cinématographique de Lakis Papastathis en personnes ayant des charges symboliques et réelles. Le peintre Theophilos, l’écrivain Vizyinos, deviennent les véhicules d’une “grécité” solidement enracinée dans la tradition. Le XIXe siècle est le siècle qui a influencé Papastathis le plus. Ce qui l’intéressait, ce n’était certainement pas de présenter des biographies, mais de suivre ses héros dans leur errance intérieure, dans leur recherche de l’identité de leur personnage grec moderne. Force est de constater qu’il ne s’agissait pas d’une reproduction stérile de la tradition mais plutôt d’un nouveau regard révolutionnaire et constructif. “Pour comprendre la tradition, il faut s’y confronter” disait Papastathis.

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Le temps des Grecs (1981) – Source ERT 

Si l’on considère son film “Le temps des Grecs” qui traite la question du brigqndqge en Grèce à la fin du XIXe siècle, on peut constater qu’il s’agit en fait d’un essai poétique cinématographique très personnel, une réflexion artistique très originale sur la division du monde grec moderne entre sa culture bourgeoise et sa culture populaire”, note l’écrivain et essayiste Yiannis Kiourtsakis, qui a publié des essais sur le cinéma de Papastathis.

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Théophilos (1987) – Source ERT 

Son film sur Théophilos, le peintre naïf de Lesvos qui incarnait la Grécité authentique et la pureté d’expression, interroge le rapport très particulier de l’homme et de l’artiste avec la Grèce de l’Antiquité héroïque, les combattants de la Guerre d’indépendance de 1821, l’art populaire et les événements de son temps oscillant entre Orient et Occident, tradition et modernité. Le film a remporté les prix du meilleur film, du meilleur premier rôle masculin et des meilleurs costumes au Festival de Thessalonique en 1987 et a participé à la section de Compétition du Festival international du film de Berlin.

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Le seul voyage de sa vie (2001) – Source ERT 

Le film “Le seul voyage de sa vie” est une adaptation du roman de Vizyinos où l’écrivain tente de se souvenir de son enfance à Constantinople et en Thrace pendant son séjour à un asile psychiatrique de Athènes. Papastathis à travers sa caméra raconte le sejour de l ecrivain qui se lance dans de longs travaux d’écriture, basés sur ses mémoires en co,binqnt souvent la réalité et la fiction. Le film a remporté le Prix du meilleur film et sept autres prix au festival du film de Thessalonique, ainsi que trois prix internationaux alors qu’ il a fait son entrée officielle au festival du film de Toronto.

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Voyage à Mytilène (2010) – Source ERT 

Dans les années 1970, Papastathis a réalisé des courts métrages pour les représentations théâtrales emblématiques du Théâtre Libre d’Athènes. Pendant la même période il a aussi collaboré avec le musicien Dionysis Savvopoulos. Son documentaire “Les moulins à poudre de Dimitsana”, pour la Fondation culturelle ETVA a remporté le Prix de la rencontre internationale du film archéologique méditerranéen “AGON” en 1998 et a participé à la rencontre internationale du cinéma archéologique de Rovereto en Italie en 1999.

Il a également publié plusieurs recueils de nouvelles telles que “La chauve-souris s’est envolé”, “La Tranquille et d’autres nouvelles”, et en 2006 il a publié “Quand Damianos a tourné Evdokia”. En 2011, il a publié “En été il va jouer Clytemnestre” et en 2014, “Le maitre aimait le cinéma muet”.

Ioulia Elmatzoglou | GrèceHebdo.gr

Photo d’introduction: Présentation de Lakis Papastathis sur l’émission “Monogramma” de Georges Sgourakis (ERT, Archives_http://archive.ert.gr)

Trouvez l’archive des émissions Paraskinio ici

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