Un programme de recherche pionnier sur la vie et le rôle des esclaves dans l’Antiquité, réalisé au sein de l’Institut d’études méditerranéennes (IMS) de la Fondation pour la recherche et la technologie-Hellas (FORTH) a reçu un financement important par le Conseil Européen de la Recherche. Ce financement européen intitulé “Advanced Grant 2022” est accordé à des chercheurs établis qui ont démontré des réalisations scientifiques importantes au cours de la dernière décennie.

L’objectif du programme

Kostas Vlassopoulos, professeur associé d’histoire ancienne à l’Université de Crète et membre associé du corps professoral de l’IMS, est le responsable du projet « SLaVEgents : le rôle des esclaves dans le développement des sociétés et des cultures en Eurasie occidentale et en Afrique du Nord, 1000 avant l’ère commune – 300 après l’ère commune » qui sera mené par une équipe de recherche internationale de 19 chercheurs collaborateurs du Brésil, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’ Allemagne, de l’ Italie, des Pays-Bas et des États-Unis.

Le programme aspire à être une contribution pionnière à l’étude de l’Antiquité, déplaçant l’orientation de la recherche des élites aux classes inférieures. Ainsi, l’histoire sociale, économique, politique et culturelle de l’Antiquité sera réexaminée sur la base de l’esclavage. Il est à noter que les études antérieures se sont principalement concentrées sur les diverses formes d’oppression et d’exploitation des esclaves dans les sociétés gréco-romaines. S’appuyant sur ce vaste héritage de recherche, ce projet vise à étudier les esclaves non seulement en tant qu’objets d’oppression et d’exploitation, mais en même temps en tant que sujets historiques actifs.

La vie et le rôle des esclaves

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Esclaves travaillant dans une mine. Peinture sur plaquette en terre cuite corinthienne, Ve siècle av. J-C. | Source: Huesca, Public domain, via Wikimedia Commons

Le rôle des esclaves était décisif dans certains cas. Par exemple dans la révolte des Hilotes qui a conduit à la paix de Nicias ou quand ils se battaient aux côtés des Spartiates conduisant à la victoire de Sparte. D’autre part il ne faut pas ignorer que les esclaves ont fait d’énormes efforts pour survivre et, plus encore, pour construire une vie qui ait du sens, même pour obtenir les droits les plus simples comme celui de créer une famille. Des actes de résistance ont été aussi enregistrés dans leurs efforts constants pour construire un monde parallèle dans lequel ils pourraient vivre et, bien sûr, dans leur désir de s’échapper.

Selon l’historien Raymond Descat au IVe siècle avant notre ère, Athènes comptait près de 250 000 esclaves, soit un habitant sur deux. A noter que l’économie athénienne reposait largement sur l’esclavage (artisanat, mines, travaux domestiques, etc). Le nombre et la proportion d’esclaves dans la société varièrent selon l’époque et le lieu. Par exemple, en Italie augustéenne, ce chiffre atteignait 30 %, alors qu’en Égypte romaine les esclaves ne représentaient que 10 % de la population totale. L’origine des esclaves variait aussi. Les gens devenaient esclaves par naissance, si leurs parents étaient esclaves, s’ ils étaient prisonniers de guerre, s’ils avaient des dettes, ou si un enfant était abandonné.

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Esclaves romains à collier. – Relief en marbre, provenant de Smyrne (Izmir, Turquie), 200 EC. | Source: Ashmolean Museum, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

Le projet de l’Institut d’études méditerranéennes va analyser le rôle des esclaves dans les processus de transformation des sociétés et des cultures anciennes. Dans ce contexte, le programme étudiera :

• les multiples identités, communautés et réseaux créés par les esclaves basés sur la famille, la parenté, le travail, l’ethnie et le culte et comment ceux-ci ont façonné leurs aspirations, attentes et stratégies
• les changements que l’esclavage a apportés dans les systèmes économiques, juridiques, politiques et religieux de l’Antiquité et
• la participation individuelle et collective des esclaves aux événements et contextes historiques tels que les guerres, les crises et les révolutions

Le programme ne se limitera pas à l’accent habituel mis sur l’esclavage en Grèce et à Rome, mais il étudiera les sociétés esclavagistes d’Assyrie, de Babylonie, de Judée, de Syrie et d’Égypte, pour lesquelles des informations suffisantes ont été conservées.

La création d’une prosopographie des esclaves

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Stèle funéraire attique représentant une jeune femme, soignée par son esclave qui tient un énorme panier, allusion aux travaux ménagers. Provenant du Pirée, 380 avant J.-C. Actuellement exposée dans la salle des stèles funéraires attiques, au premier étage du musée archéologique du Pirée (Athènes) | Source : Giovanni Dall’Orto., Attribution, via Wikimedia Commons

L’objectif principal du projet est de créer une prosopographie à savoir une étude collective qui cherche à dégager les caractères communs d’un groupe d’acteurs, de tous les anciens esclaves, affranchis ou non, pour qui il existe des preuves dans les sources anciennes. La prosopographie sera une base de données numérique ouverte aux chercheurs et au grand public, et elle contiendra des témoignages pertinents dans le texte ancien original traduit également en anglais.

Des photographies de toutes les données archéologiques (tombeaux, offrandes votives, objets utilitaires) attribués aux esclaves seront aussi accessibles dans cette base de données. Des informations supplémentaires telles que les lieux où les esclaves sont enregistrés ou le lieu de leur origine seront disponibles avec l’aide des cartes numériques, dans le but d’enrichir les bases de données numériques existantes. De cette manière, ce sera possible d’étudier à la fois les biographies individuelles des anciens esclaves et les tendances collectives de leur vie.

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Scène de cueillette d’olives par des jeunes gens. Amphore attique à col à figures noires, vers 520 av. J.-C. provenant de Vulci, Italie. | Source: Antimenes Painter, Public domain, via Wikimedia Commons

Pour la création de la prosopographie numérique, l’équipe du projet étudiera les données littéraires, épigraphiques et papyrologiques conservées dans un grand nombre de langues anciennes (grec, latin, assyrien, babylonien, égyptien, hébreu, araméen), ainsi que les données archéologiques. Le portail numérique disposera aussi du matériel multimédia, des bibliographies, des résumés et des liens utiles qui le rendront un outil important pour la communauté universitaire internationale. L’équipe du projet organisera et participera également à une série de réunions académiques et de conférences internationales et produira plusieurs publications en libre accès, dont trois livres et trois thèses de doctorat.

Infos sur le Conseil Européen de la Recherche et l’Institut d’études méditerranéennes

Les subventions avancées du Conseil Européen de la Recherche (CER) sont parmi les plus compétitives en Europe. Pour 2022, 218 chercheurs ont reçu un financement total de 544 millions d’euros pour les aider à explorer leurs idées les plus innovantes et les plus ambitieuses, en menant des recherches de pointe dans toutes les disciplines scientifiques. Ces subventions sont accordées dans le cadre d’Horizon Europe, le programme de recherche et d’innovation de l’UE.

La Fondation pour la recherche et la technologie – Hellas compte le plus grand nombre de projets financés par le CER en Grèce, avec un apport de plus de 42,9 millions d’euros. L’Institut d’études méditerranéennes est le seul institut de sciences humaines et sociales en Grèce avec 6 projets financés par le CER au cours des cinq dernières années.

IE

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