Karaghiozis, adaptation grecque du turc Karagöz signifiant l’homme « à l’œil noir » est la figure centrale du théâtre d’ombres homonyme, spectacle de rue très répandu et aimé en Grèce faisant partie d’une tradition populaire. Karaghiozis incarnait un divertissement apprécié par les enfants mais aussi les adultes grâce à son caractère comique et satirique. Certains comparent Karaghiozis aux marionnettes Guignol, figures créées à Lyon en 1808, qui représentent également un théâtre improvisé à caractère comique.
Le théatre de Guignol en France, 1876 – Source Wikimedia Commons, Domaine public
Les origines du théâtre d’ombres
Néanmoins, les origines de Karaghiozis restent obscures. Selon les chercheurs, le théâtre d’ombres était probablement employé dans le cadre de séances d’exorcisme ou de cérémonies religieuses en Asie, entretenant un lien avec le monde des morts. De fait, l’ombre possède un rôle rituel et symbolique : elle rend visible l’invisible, assosiant l’humain, palpable, et la mort, lointaine et absente. Bien qu’on ignore si le théâtre d’ombres est né en Chine ou plutôt en Inde, on sait qu’il a continué sa route jusqu’au Proche-Orient, où l’hégémonie de l’Empire ottoman lui a permis une expansion allant de la Turquie au littoral nord-africain entre le XIVe et le XVIe siècles. Le théâtre d’ombres y incarnait un divertissement apprécié des classes moyennes, souvent représenté au moment des fêtes religieuses ou familiales. Enfin, cet art n’arrivera en Europe occidentale qu’au XVIIIe siècle.
La tradition du théâtre d’ombres s’est répandue au sein de l’Empire ottoman évoluant et s’adaptant aux coutumes, langues et histoires locales,en devenant ainsi un des divertissements folkloriques préférés des diverses cultures de l’Empire ottoman, notamment des Grecs, des Juifs, des Albanais, des Turcs et des Arabes. La version turque de Karaghiozis est présentée dans des cafés et le spectacle, adressé uniquement aux adultes et surtout aux hommes, est caractérisé par une langue vulgaire et choquante.
Le Karaghiozis grec
En Grèce l’homme « à l’œil noir » semble faire son apparition à Ioannina, en Épire alors sous domination ottomane au tournant du XVIIIe-XIXe siècle. Il existe des témoignages écrits indiquant que Karaghiozis était joué dans l’arrière-cour d’Ali Pasha à Ioannina par un “karaghiozopaichtis” (=montreur de marionnettes, “καραγκιοζοπαίκτης” en grec) d’origine juive appelé Jacob. On repère Karaghiozis ensuite à Nauplie en 1841 présenté par Yannis Brachalis, mais c’est dans les années 1890 à Patras que le montreur Dimitrios Sardounis ou Mimaros (1859-1912) hellénise cette figure populaire en enlevant tous les éléments vulgaires du spectacle initial le transformant ainsi en un divertissement public pour toute la famille.
A gauche: le montreur Dimitrios Sardounis ou Mimaros | A droite : Figures du théatre de Karaghiozis (1900-1930), Source : Musée du théâtre d’ombres “Evgenios Spatharis”
Karaghiozis, est désormais un grec qui vit dans l’empire ottoman. Il est volontairement caricaturé. Il vit dans une cabane, il est pauvre, laid, marche pieds-nus et habite en face du palais du vizir. Karaghiozis est l’homme a mille métiers et connaît mille misères. Il est le représentant du peuple opprimé qui va se jouer des puissants pour en triompher faisant une satire sociale ou politique de la situation du pays. Son atout principal est son bras droit, cinq fois plus long que son bras gauche, qui a en fait remplacé l’énorme phallus de la version grotesque turque de Karaghiozis.
Dans le théâtre d’ombre grec on trouve les deux mêmes protagonistes comiques du karagöz turc et notamment Karaghiozis et son ami Hadziavatis (Karagöz et Hadzivat, en turc). La forme est toujours stricte, se déroulant de la manière suivante : une introduction chantée suivie d’un dialogue introductif, souvent une dispute comique entre Karaghiozis et Hadziavatis qui s’appuie sur des jeux de langage, après quoi se déroule la trame de la scène choisie, enfin un épilogue s’adressant directement au public.
Parmi les éléments, on retrouve toujours sur la gauche la cabane de Karaghiozis et sur la droite le palais, ou sérail, du vizir (grec), ou pacha (turc) ; deux points phares puisque les intrigues tournent en général autour des oppositions entre le peuple, symbolisé par la cabane et le pouvoir, représenté par le palais.
De nombreux personnages secondaires aux origines ethniques et sociales diverses, identifiées par les costumes et leurs manières de s’exprimer accompagnent les deux protagonistes.
Le rôle de karaghiozopaichtis
Le théâtre Karaghiozis connaît son âge d’or en Grèce avant la Seconde Guerre Mondiale. Il y a alors plus d’une centaine de montreurs dans tout le pays. Le montreur est l’âme du spectacle. Caché derrière un drap blanc, le karaghiozopaichtis manipule les marionnettes et les décors qui sont constituées de peau de chèvre et de carton à l’aide de tiges détachables et modifie sa voix selon le personnage. Entre les figures et le montreur il y a des bougies ou des lampes qui éclairent les personnages et rendent leurs silhouettes visibles au public à travers le tissu. Les textes du spectacle sont souvent improvisés puisqu’ils sont extraits d’une littérature orale. Doté d’une liberté d’expression, le montreur se moque du gouvernement et du pouvoir en général faisant appel à toute la panoplie du comique à travers ses marionnettes. Responsable de tous les aspects de la pièce, le montreur est à la fois mime, écrivain, musicien, chanteur, metteur en scène et réalisateur!
Les montreurs utilisaient souvent de la musique et des chansons pour rendre le spectacle plus attractif. Il y avait même des chansons caractéristiques pour chaque personnage. Les grands montreurs au début du 20e siècle tels que Molas (1871-1948) et Charidimos (1895-1970) disposaient d’un orchestre d’un grand nombre d’instruments de musique pour leurs spectacles comme Clarinette, violon, santuri, piano, accordéon, trompette, clarinette, guitare etc.
Le montreur Evgenios Spatharis – Source ERT
L’un des montreurs les plus connus de la Grèce contemporaine est Evgenios Spatharis (1924-2009), fils de Sotiris Spatharis, lui-même marionnettiste de Karaghiozis, qui a commencé à se faire connaître comme marionnettiste lors de la Seconde Guerre mondiale, en 1942. À partir de 1980 il présentait une émission spéciale sur Karaghiozis dans la télévision publique grecque. En 1991, il a créé le musée Spatharis du théâtre d’ombres à Maroussi au nord d’Athènes.
Karaghiozis – Source : National Historical Museum
L’arrivée du cinéma et de la télévision a porté un lourd coup de massue au théâtre de Karaghiozis. Aujourd’hui, les montreurs sont moins nombreux mais la nouvelle génération, représentée par les dynamiques Athos Danellis et Ilias Karellas, essaye de relancer et de réinventer ce spectacle à travers des synergies avec des groupes musicaux et d’autres artistes tout en préservant l’humeur subversive de Karaghiozis et son esprit de satire qui est toujours si amusant.
Regardez ici le spectacle “Karaghiozis, le consierge” par Evgenios Spatharis
Ioulia Elmatzoglou | GrèceHebdo.gr
* Photo d’introduction: Le théâtre d’ombre Karaghiozis – Source : National Historical Museum
Sources
Folklore shadow puppet theatre: a Greek summer holiday tradition | Europeana
https://www.theatre-guignol.fr/origine-guigol/
http://kostasmakris.weebly.com/eta-iotasigmatauomicronrho943alpha-tauomicronupsilon-thetaepsilon940taurhoomicronupsilon-sigmakappaiota974nu.html
Musée du théâtre d’ombres “Evgenios Spatharis”
https://cultinera.wordpress.com/2017/06/18/le-theatre-dombres-ou-karaghiozis-en-grece/
IE
TAGS: arts | Grèce | patrimoine | théâtre