Les qualités de photographe et d’écrivain sont proches voire complémentaires. Même si leurs propres langages sont différents, tant le roman que la photo ont en commun l’observation et la narration. En ce qui concerne le potentiel narratif de la photographie, je ne vois pas vraiment la différence entre l’image et le texte dans la mesure où tous les deux sont liés au cadre qu’ils s’efforcent de définir. En effet, chacun de nous dispose de sa propre manière de lire une photo et de voir un texte. Alors, oui, dans tous les cas, l’art produit des narrations, mais ce qui reste au récepteur est chaque fois différent d’autant plus que la notion de récit ne coïncide pas avec celui de narration. Il existe beaucoup de textes qui contiennent des narrations sans raconter une histoire. Ca va de même avec la photographie. S’il faut procéder a une distinction définitive, cela serait en faveur de la photographie car l’image peut atteindre l’abstraction d’une manière impossible pour le discours enfermé dans la sérialité de la langue.
Vos romans sont traduits en français, vos photos sont présentées au public français. Quel est le rapport que vos maintenez avec la culture française contemporaine, la langue française et même le public français?
En France, il y a un intérêt sincère et permanent pour les lettres grecques contemporaines, et pour la Grèce en général. Il s’agit d’un rapport privilégié qui se prolonge au delà de l’art et de la politique, et prouve un lien profond entre les deux peuples. De plus, force est de constater que le public français est plus «curieux» par rapport à d’autres publics des pays européens. Ce constat se confirme par le grand nombre de titres grecs traduits en français. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance d’avoir un éditeur bien connu, Actes Sud et aussi une traductrice très compétente, Anne-Laure Brisac. En France, quatre de mes livres ont vu le jour : il s’agit des romans «Le Manucure», «Monde clos», « La destruction du Parthénon», et le chronique «Une lampe entre les dents», qui a gagné le prix du Laure Bataillon 2014. De plus, l’exposition photographique «My mother’s silence» sera exposée en avril à Caen et l’ œuvre «Disjunction» à Rênes.
Vous utilisez le terme installation au lieu du terme exposition. Pour quelles raisons ? Aussi vous utilisez le terme DISJUNCTION, qui n’appartient pas à votre langue maternelle. Pourquoi ce choix?
«Disjunction» [voir photo en dessus de la page] est une œuvre en progrès et a été commandée par le site du magazine «Unidivers». C’est la raison pour laquelle j’ai gardé le terme anglais (dérégulation en français). De plus, il s’agit d’une œuvre photographique digitale qui ne sera pas exposée sur place à sa forme naturelle dans le Musée des civilisations de l’Europe et de Méditerranée de Marseille- MUCEM.
«Disjunction» est présentée sous la forme d’un calendrier qui parle d’une ville en voie de déréglementation et cette ville n’est autre qu’Athènes. Le but consiste à cerner les façons par lesquelles ma ville succombe au désordre total, à l’entropie..
Athènes est une ville blessée, marquée par des fractures profondes. Mais en même temps c’est une «ville-palimpseste». On ne remplace rien, on ne modernise rien, on ne rénove jamais. On ajoute seulement en accumulant. Le résultat est un ensemble désordonné qui renvoie à la définition du terme «entropie». Athènes donne l’image d’ un horloge dérégulé. Des détails de la vie quotidienne semblent absurdes et contradictoires. Cependant, Athènes n’est pas une ville tout à fait atypique ou «dystopique». Les Athéniens vivent tous ensemble à leur propre manière. Le charme d’ Athènes constitue, en même temps, sa maladie. «Disjunction» tente d’enregistrer et de concevoir une ville dérangée et en même temps autorégulée. Une ville qui arrive enfin à être à un état d’homéostasie.