Alexandros Markeas est compositeur et pianiste. Il a étudié au Conservatoire National de Grèce et au Conservatoire national supérieur de Paris (il y enseigne actuellement l’improvisation). Il s’intéresse aux langages des musiques traditionnelles et privilégie les rencontres avec des musiciens improvisateurs de cultures différentes.

Il s’inspire également de différents domaines d’expression artistique, tels que l’architecture, le théâtre, et les arts plastiques (installations, événements, vidéo, web) pour chercher des alternatives au concert traditionnel et créer des situations d’écoute musicale particulières. Ses pièces sont marquées par un esprit théâtral et par l’utilisation de techniques multimédia.

 

A l’occasion de sa dernière création, “Ypokosmos” qui sera donnée en concert les 4 et 5 octobre 2014 dans le cadre du Festival d’Ile-de-France et qui aborde le monde du Rébétiko de manière originale , GrèceHebdo a adressé à Alexandros Markeas les questions suivantes.

 

1. Vous proposez un nouveau regard sur le rébétiko. Quelle est l’originalité de votre approche? 

 

Je n’ai pas l’impression de proposer un nouveau regard sur le rébétiko qui restera à jamais un univers musical lié à la vie de ses musiciens. J’ai surtout cherché de composer une pièce de musique d’aujourd’hui, musique contemporaine, écrite sur partition, destinée à un nombre conséquent d’interprètes qui ont un métier musical différent et un vécu particulier. Notre projet s’inspire des poésies et des mélodies du rebetiko très librement. Le rebetiko est une musique de l’intime. Notre projet a plus une dimension symphonique, un volume sonore important, excessif… La sonorité initiale sera présente mais amplifiée, transformée, confrontée à plusieurs éléments musicaux.

 

2. Vous choisissez la forme de l’oratorio. Quel est d’après vous le fond religieux de la musique de ces laissés pour compte?

 

Il s’agit évidemment d’un oratorio profane. Je suis très attaché à cette forme née au 19e siècle, sorte de messe sans objet religieux, qui cherche néanmoins de prendre appui sur la dimension spirituelle du son, sur le force expressive des voix chantées, sur l’énergie commune des interprètes, pour chercher une forme de communion, un moment de partage. Dans mes pièces j’essaie d’explorer comme ça des questions comme l’altérité ou les révoltes au quotidien. Mon but n’est jamais de dire au public quoi penser, je vais juste partager des interrogations 

 

3. Vous repérez dans le rébétiko un oxymore intéressant. Les créateurs racontent souvent la tristesse avec joie et vice-versa. Parlez-nous un peu de cet oxymore. 

 YPOKOSMOS MARKEAS REBETIKO

Dans la vie des rebetes les sentiments sont toujours mêlés, la vie est difficile, la tristesse profonde, la joie courte, quasiment interdite. La musique a toujours un rôle étrange entre divertissement et plainte funèbre. La mort est toujours présente dans les poèmes, mais évoquée avec le sourire… Les chansons reflètent ces contradictions, ils les utilisent même comme une force expressive. Souvent les rythmes rapides et les envolées virtuoses expriment une tristesse insoutenable. Et l’expression du sentiment amoureux ou du bonheur de l’ivresse sont musicalement lents, mélancoliques, voilés.

 

4. Quatre-vingt-dix ans après l’ apparition du Rébétiko dans les quartiers urbains, il reste encore de la place pour cette musique chez les jeunes auditeurs grecs ou non-grecs ?

 

Le rébétiko n’a jamais cessé d’être aimé, chanté et repris par des jeunes musiciens grecs qui ont essayé de retrouver les sonorités premières. Beaucoup de tentatives de faire soit des reprises actualisées, soit des compositions originales, ont connu des fortunes diverses mais témoignent une vitalité constante, voir même une obsession, une forme de repère. Comme toute musique traditionnelle la rebetiko raconte une vérité, c’est une musique de partage et peut-être ça la rend universelle. Je pense qu’il y aura toujours la place pour cette forme d’expression d’autant plus que la crise économique qui frappe la Grèce et ses villes, rend ces chansons plus actuelles que jamais…

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