La Grèce vient de sortir de sa mise sous tutelle, mais sa dette reste colossale et la proposition française de lier le remboursement au PIB n’a pas été adoptée. Pensez-vous que des mesures supplémentaires seront nécessaires?

La sortie de la Grèce du troisième programme d’assistance financière est un moment historique. C’est la reconnaissance des efforts du peuple grec, le fruit de la stabilité de son gouvernement dans la mise en œuvre des réformes et la preuve que la solidarité européenne est efficace. En juin dernier, l’Eurogroupe a pris les mesures nécessaires pour l’endettement. La Grèce a créé un tampon de réserve. Maintenant, l’économie grecque doit poursuivre son redressement et profiter des formidables opportunités offertes par la Grèce. Assurez-vous que la France continuera à être à ses côtés.

Êtes-vous préoccupé par la montée des tensions en mer Egée et la contestation du traité de Lausanne par Ankara?

La Turquie est un interlocuteur et partenaire important pour la France, la Grèce, Chypre et l’Europe. C’est pourquoi le Président de la République française a engagé depuis plus d’un an un dialogue étroit avec le Président Erdogan, ce qui nous permet d’aborder tous les points de désaccord avec ouverture et sincérité. Dans ce contexte, nous avons déjà parlé à nos interlocuteurs turcs des problèmes qui nous préoccupent au sujet des tensions en Méditerranée orientale. À ce stade, je voudrais clairement assurer nos partenaires grecs et chypriotes de notre vigilance et de notre solidarité.

La Turquie s’est éloignée de sa perspective européenne ces dernières années. Pensez-vous que l’objectif de la pleine intégration continue à avoir un sens, ou est-ce que l’UE devrait envisager de poursuivre une relation spéciale avec la Turquie?

Depuis de nombreuses années, le gouvernement turc a fait des choix qui l’éloignent de l’Union européenne et de ses valeurs. Dans ces circonstances, il serait trompeur de croire que nous pouvons progresser dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le président de la République française a déclaré ceci à M. Erdogan et a eu l’occasion de le répéter. En tout état de cause, nous devons coopérer, l’Union européenne et la Turquie, pour nos intérêts communs: sur le plan économique – c’est pourquoi nous avons besoin d’une Turquie prospère et stable – sur les questions d’immigration et de lutte contre le terrorisme. Enfin, sur les questions régionales, nous devons poursuivre le dialogue sans relâche, notamment en ce qui concerne la situation en Syrie, car la Turquie y est un facteur indéniable.

La migration menace la cohésion de l’UE et malgré les décisions du sommet de juin, les pays d’Europe centrale se tournent vers des actions unilatérales et la révision de Dublin reste une lettre vierge. Pensez-vous qu’il est encore possible d’avoir une solution européenne?

Une solution européenne est une nécessité car ce n’est qu’au niveau européen que nous pourrons répondre au défi de l’immigration de manière efficace et conforme à nos valeurs. La France a une ligne de conduite claire, fondée sur le droit d’asile, la solidarité européenne, la responsabilité de chacun et la protection de nos frontières extérieures. C’était le fondement de l’accord du Conseil européen de juin dernier. Nous voulons avancer sur ces principes dans la perspective du Sommet de Salzbourg du 20 septembre, en partenariat avec tous les partenaires qui entendent contribuer à une solution européenne et coopérative.

Qu’attendez-vous du référendum du 30 septembre en ARYM? Pourquoi la France était-elle un peu prudente face à l’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux?

L’accord signé le 17 juin présente des caractéristiques historiques, car il s’agit de résoudre un différend bilatéral qui dure depuis 27 ans. Nous sommes très attachés à cet accord et il est donc important que le résultat du référendum soit positif. Sur cette base, il appartient ensuite à la Grèce de ratifier l’accord. L’accord profitera aux deux pays, renforcera la stabilité dans les Balkans et en Europe en général. L’Alliance atlantique a déjà décidé d’inviter le gouvernement de Skopje à entamer des pourparlers afin de faire entrer le pays dans l’OTAN. L’Accord d’Athènes-Skopje contribue également grandement aux relations de bon voisinage, qui sont la condition préalable essentielle à l’approche européenne de la région. La perspective européenne des Balkans occidentaux a été soulignée à Thessalonique en 2003 et a été réaffirmée en mai dernier lors du sommet de Sofia. Nous soutenons pleinement cette perspective car elle est dans l’intérêt des pays concernés mais aussi dans notre propre intérêt. Il est également important que l’élargissement reste un processus exigeant: les candidats doivent remplir certaines conditions, par exemple dans le domaine de l’état de droit. L’Union européenne doit également s’assurer qu’elle est en mesure d’accueillir de nouveaux membres dans de bonnes conditions. Si nous ne suivons pas cette voie, lorsque l’élargissement aura lieu, cela ne réussira pas pour quiconque. Ce n’est pas ce que nous voulons.

La question des changements de frontières dans les Balkans est largement débattue à l’occasion des délibérations entre Belgrade et Pristina, tandis que les États-Unis semblent accepter l’échange conditionnel de territoire. Quelle est la position française? Y a-t-il un risque qu’il y aura des turbulences dans d’autres parties de l’Europe?

Nous espérons que la Serbie et le Kosovo parviendront bientôt à un accord global et final, conformément à la volonté exprimée par les deux présidents, dont nous appuyons les efforts. Il appartient aux deux parties de déterminer le contenu de l’accord. Aucun choix ne devrait être exclu à l’avance pour parvenir à une solution globale et définitive à ce différend, à condition que l’accord envisagé permette de renforcer la stabilité de la région.

Un an après la vision ambitieuse pour l’Europe esquissée par le président français Emmanuel Makron à Pnyx et à la Sorbonne, la réforme de l’Union reste entravée par l’inertie de partenaires importants. À quoi s’attendre dans un avenir proche?

Cet appel a eu un impact très significatif sur l’Union européenne, tant en termes d’opinion publique que d’autres chefs d’État, de gouvernement et d’institutions. Depuis lors, nous avons réalisé des progrès tangibles, en particulier dans le domaine de la sécurité et de la défense, des droits sociaux ou même de la politique commerciale, éléments de «l’Europe qui protège», comme la France le souhaite. Bien sûr, les défis demeurent: les nationalismes se sont rétablis et les ruptures ont augmenté, en particulier en ce qui concerne le problème de l’immigration. Nous devons donc doubler nos efforts sur la base d’un dialogue avec tous les États membres et avec la participation des citoyens européens au débat sur l’avenir de l’Union, à travers des consultations de citoyens. Cependant, si aucun terrain d’entente ne peut être trouvé, nous devons accepter l’idée d’une Europe à plusieurs niveaux  qui existe déjà dans la pratique: elle permet aux États les plus ambitieux d’aller de l’avant, tout en permettant aux autres de la rencontrer plus tard. C’est une définition de l’Europe à la fois ambitieuse et réaliste.

Votre homologue allemand, Haiko Maas, a plaidé contre les actions unilatérales de l’administration Trump et que l’UE doit créer son propre système de paiement indépendant, une défense autonome et des alliances multilatérales pour faire contrepoids aux États-Unis. Comment voyez-vous ces suggestions?

La politique américaine renforce vraiment notre conviction que nous devons continuer à avancer vers la confirmation d’une Europe plus souveraine et plus autonome. L’Europe doit pleinement remplir son rôle sur la scène internationale, défendre ses intérêts et ses valeurs, et en particulier son attachement à un système multilatéral, car grâce à ce cadre, nous avons pu obtenir ces dernières années des résultats très significatifs tels que l’accord sur le Programme nucléaire iranien ou accord climatique de Paris.

Récemment, la proposition d’une conférence à quatre entre la France, l’Allemagne, la Russie et la Turquie a été formulée. Voulez-vous assister à une telle conférence? Est-ce que Paris croit toujours que la destitution du président Assad est une condition pour une solution politique?

La France a été la première à proposer l’alignement des positions entre les États occidentaux et arabes d’une part, et de trois pays appelés garants à Astana, d’autre part, pour parvenir à une solution politique juste et crédible. En ce qui concerne Bachar al-Assad, le président français a rappelé que notre ennemi numéro un est Daech et n’a jamais fait de la libération de Bachar al-Assad une condition préalable à notre action diplomatique ou humanitaire. Garder Assad au pouvoir serait cependant une erreur fatale, car il est principalement responsable pour des millions de réfugiés, de massacres et de la montée de groupes terroristes en Syrie. Ni la France ni aucun autre pays n’a un rôle à jouer pour désigner les futurs dirigeants syriens. Mais il est de notre devoir et de notre intérêt de veiller à ce que le peuple syrien puisse le faire au moyen d’élections libres et transparentes qui permettront à tous les Syriens, y compris ceux qui se sont échappés du régime, de choisir leur propre dirigeant.

Traduction : Nicole Stellos

L’interview a été accordée à Petros Papakonstantinou et Andreas Paraschos pour le journal ” Kathimerini ” du dimanche 9 septembre 2018.