La rétrospective consacrée à Domenico Theotokopoulos (dit El Greco, 1541-1614) au Grand Palais de Paris du 16 οctobre 2019 au 10 février 2020 est une rare occasion pour le public parisien et international de découvrir dans son ensemble l’œuvre de cette figure emblématique de la peinture mondiale.
Un peintre issu de l’environnement culturel Crétois
Né à Candie (Héraklion d’aujourd’hui) en 1541 dans une famille bourgeoise, le parcours artistique de Theotokopoulos commence en Crète, alors sous domination vénitienne ; l’île abritait à l’époque un nombre considérable de peintres professionnels, ce qui selon Nicolaos Panayotakis pouvait être lié à la grande demande en peintures religieuses par les multiples églises, les monastères et les croyants de confession orthodoxe et catholique (1986). Bien que l’artiste Theotokopoulos ait mûri ultérieurement en Italie et en Espagne, sa formation et ses premières années d’activité professionnelle sur Crète semblent avoir eu une influence sur sa trajectoire. Crète offrait d’ailleurs un substrat particulier de synthèses culturelles et de fluidité confessionnelle qui permettaient à El Greco, ainsi qu’à ses contemporains, d’intégrer différents styles et thèmes dans leur art (byzantins, occidentaux, orthodoxes, catholiques, etc.). Nicolaos Panayotakis souligne alors qu’El Greco était intégré dans le marché local d’une manière réussie, au moment où il décida d’émigrer vers Venise en 1567 (1986).
Passage à un catholicisme avoué
La confession d’origine de Theotokopoulos reste un sujet de débat historiographique qui en fait nous permet de saisir la fluidité confessionnelle et la laxité dogmatique sur l’île de Crète au 16ème siècle ; Panayotakis suggère qu’il est plus probable que Theotokopoulos était issu d’une famille de confession orthodoxe. Il semble que Theotokopoulos était en tout cas en bonne connaissance des pratiques du rite catholique au moment où il arriva à Venise. Cependant, Theotokopoulos fut confronté à un environnement religieux strict et un catholicisme totalement différent à celui de Crète (Panayotakis 1986).
L’arrivée de Theotokopoulos en Italie et puis son passage en Espagne coïncida d’ailleurs avec la période de la Contre-réforme et des persécutions subséquentes, qui furent particulièrement farouches et violentes dans ces régions (surtout en Espagne), suivant le concile de Trente (1563). Panayotakis offre des exemples de persécutions de croyants grecs orthodoxes pour démontrer les conditions dans lesquelles El Greco dut s’adapter ; en même temps, une stratégie personnelle de succès professionnel et d’insertion sociale pourraient avoir amené Theotokopoulos à assumer le rôle d’un fervent et sublime iconographe de l’esprit de la Contre-réforme, spécialisé dans des thèmes religieux, catholique avoué jusqu’à la fin de sa vie (Panayotakis 1986). Après son passage à Rome, Theotokopoulos voyagera à Toledo où il s’installera au moins depuis 1577 et réalisera ses plus grandes et impressionnantes créations (Panayotakis 1986).
El Greco et sa vision à travers le temps
Héritier de l’œuvre du Tintoret, mais aussi étudiant de l’œuvre de Michel-Ange, du Titien et de Bassano, El Greco ne s’intéressera pas aux thèmes de la Renaissance ; suivant le Tintoret, El Greco abandonnera complètement le concept d’un espace trois-dimensionnel avec des figures solides et en motion, préférant plutôt un style avec des figures émaciées, presque déformées mais au pouvoir quasi hallucinatoire (Levey 1962). L’œuvre d’El Greco et sa spiritualité imposante signale alors, avec nombre d’autres artistes de l’époque, la fin de la Renaissance (Levey 1968). Son style, avec celui du Titien et du Tintoret, est généralement classifié dans la tendance du « Maniérisme » (Hodge 2007, Levey 1962).
Force est de constater qu’El Greco a été redécouvert au tournant du 19ème et 20ème siècle et classé rétrospectivement en tant que précurseur de la soi-disant « école espagnole » (Storm 2008, voir aussi Géal 1999) ; de plus, ses diverses références stylistiques et expressives ont été revendiquées et utilisées par différents courants tout au long du 20ème siècle (Storm 2008), comme par exemple les expressionnistes (Hodge 2007), ou ils ont eu un impact sur des créateurs tels que Picasso (Lubar 1996) et Jackson Pollock (Valliere 1964).
Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr
D. G.
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