Une exposition dédiée aux femmes artistes, qui ont voyagé vers la France en 1945 avec le fameux navire Mataroa, se déroule chez Poems ‘n Crimes à Athènes jusqu’au 1er mars 2018.
Cette exposition (entrée libre) est une occasion pour découvrir cinq artistes femmes oubliées, qui ont voyagé parmi les hommes, avec le navire mythique Mataroa et – malgré leur talent brillant et une reconnaissance partielle – ont passé leurs vies dans l’obscurité, contrairement aux hommes co-passagers, qui, pour la plupart d’entre eux, sont de renommée internationale.
Les femmes artistes
Parmi les femmes de Mataroa, il y avait des artistes importantes, telles que : Nelly Andrikopoulou (1921-2014) peintre et écrivaine qui a écrit aussi l’essai “Le voyage de Mataroa” (éd. Estia 2007), Eleni Stathopoulou (1915 – 2016) peintre, Gianna Persaki (1921 – 2008) peintre, Anna Mavroudi – Kindynis (1914 – 2003), Bella Raftopoulou (1902-1992) sculpteure et graveuse.
De gauche à droite: Eleni Stathopoulou, Gianna Persaki, Nelly Andrikopoulou, autoportait de Bella Aaftopoulou, Anna Kindynis.
L’expo met en évidence ces cinq artistes: six œuvres de chacune d’entre elles, avec 12 figures de la sculpteure Clio Makris – fille du sculpteur Memos Makris (passager aussi du Mataroa). ” Je voulais parler de ces femmes parmi les nombreux passagers du Mataroa parce qu’elles sont largement inconnues ou oubliées ” explique Clio Makris qui a eu l’idée de cette expo lors de ses visites à la maison de retraite où la peintre Eleni Stathopoulou a passé ses dernières années.
De gauche à droite: Peintures de Nelly Andrikopoulou, Gianna Persaki I, Anna Kindyni, Gianna Persaki II.
L’odyssée du Mataroa
En décembre 1945, quelques mois avant l’éclat de la guerre civile grecque (1946-1949), les philhellènes Octave Merlier, Directeur de l’Institut français d’Athènes, et son collaborateur, le Secrétaire général Roger Milliex, conçoivent le projet de sauver des jeunes intellectuels grecs. Grâce à des bourses, ils peuvente partir étudier à Paris. Ce voyage, devenu depuis mythique, est celui du Mataroa.
Mataroa, ce navire néo-zélandais, dont le nom signifiait «la femme aux grands yeux» en polynésien, a commencé son voyage le 22 décembre 1945, et après trois mois il est arrivé à Paris. Le Mataroa a été construit en 1922 à Belfast, sur les chantiers britanniques Harland & Wolff. Lancé sous le nom prémonitoire du philosophe grec Diogène, il est exploité par la compagnie Aberdeen Line et effectue de nombreux voyages d’Europe vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Parmi les passagers grecs de ce bateau légendaire, on peut distinguer les penseurs Cornelius Castoriadis, Kostas Axelos et Kostas Papaioannou, les sculpteurs Mémos Makris, Kostas Coulentianos, Kostas Valsamis et Bella Raftopoulou, les peintres Dikos Vizantios, Eleni Stathopoulou et Anna Kinduni; la peintre et écrivaine Nelly Andrikopoulou, les poètes Matsi Chatzilazarou et Andreas Cambas, les auteurs Elli Alexiou, Mimika Cranaki et Andreas Kedros, les médecins Eleni Thomopoulou, Evangelos Brikas et Andreas Glinos, Dimitris et Ioannis Marinopoulos, qui deviendront par la suite de célèbres entrepreneurs; les architectes Aristomenis Provelengios, Nikos Chatzimichalis, Takis Zenetos et Panos Tzelepis, l’architecte-urbanitste Georges Candilis, le cinéaste Manos Zacharias, le chef d’orchestre Dimitris Chorafas, l’historien Nikos Svoronos et l’académicien Emmanuel Kriaras.
En quittant un pays dévasté après l’occupation nazie, au bord de la guerre civile (qui aura effectivement lieu en 1946), tous ces intellectuels grecs, proches de la gauche, étaient en danger et exposés quotidiennement aux chasses à l’homme, à la mort, à la peur, à la faim et à l’insécurité. C’est avec Mataroa qu’un grand nombre d’artistes, d’intellectuels et de scientifiques grecs de la génération d’après-guerre, trouve l’espoir d’un futur.
Entre ces figures, on en trouve plusieurs qui brilleront en Europe grâce à leur œuvre, comme l’urbaniste Georges Candilis. Il réalisa notamment le quartier du Mirail à Toulouse. L’écrivain André Kédros, aussi connu sous le nom d’André Massepain. Ou encore les philosophes bien connu en France, Cornelius Castoriadis, Kostas Axelos et Kostas Papaïoannou et qui qualifieront ce voyage d’«événement historique».
Octave Merlier : l’homme derrière le voyage
Les passagers du navire ont un point commun: ils fréquentaient l’Institut français d’Athènes. Ce lieu atypique est le seul établissement étranger resté ouvert pendant toute la guerre. Octave Pierre Merlier, Directeur de l’Institut de 1938 à 1961, marié à une grecque, organisa la fuite de l’intelligentsia et des étudiants grecs sur le Mataora. Il multiplia soudainement les offres de bourse, dans une tentative de sauver ceux qui étaient menacés à cause de leurs idées de gauche. Arrivé à Athènes dès 1925, il avait payé cher son engagement aux côtés de la France libre et du Général de Gaulle dès juin 1940. En 1941, quasiment enlevé par Vichy, il quitta la Grèce et passa toute la guerre en résidence surveillée dans le Cantal. Pendant la guerre, c’est le Directeur adjoint, Roger Milliex, qui resta à Athènes. En 1945, Merlier, de retour et craignant pour les étudiants ayant participé à la Résistance, décida avec Milliex d’affréter un navire et d’organiser leur voyage vers la France. Ce sera l’épopée, historique, du Mataroa.
Le bateau file vers Tarente, dans le sud de l’Italie. Les jeunes gens embarquent alors dans un train, direction Rome, Bologne, Milan, puis la frontière suisse.
Les Suisses, eux, épargnés par la guerre imaginent difficilement l’occupation vécue par les Grecs. Cornelius Castoriadis a ainsi raconté la traversée du pays en 1990 :« On a traversé la Suisse où on nous a raconté les énormes malheurs subit par les Suisses pendant la guerre – il y a eu même un moment, en décembre 1943, où le bruit avait couru que le gouvernement allait peut-être rationner le chocolat. Les Suisses nous invitaient à sympathiser avec eux, nous, on hochait la tête. Il faut dire qu’à Athènes pendant l’hiver 1941-42, les cadavres des gens morts de faim étaient dans les rues. »
Après trois mois de voyage, les passagers arrivent en France et pour beaucoup d’entre eux, il sera impossible de retourner en Grèce avant le rétablissement de la démocratie, en 1974.
Magdalini Varoucha | Grecehebdo.gr
Deux peintures de Nelly Andrikopoulou, une statue de Bella Raftopoulou.
INFOS PRATIQUES
Exposition « Les femmes de Mataroa », avec des œuvres de Nelly ANDRIKOPOULOU, Eleni STATHOPOULOU, Gianna PERSAKI, Anna MAVROUDI-KINDYNIS, Bella RAFTOPOULOU (femmes de Mataroa) et de Clio MAKRIS.
Café «Poems ‘n Crimes», Editions Gavriilidis, 17 rue Aghias Irinis, Monastiraki, Athènes (métro Monastiraki)
Duree: 13 février jusqu’au 1er mars 2018
L’expo est ouverte tous les jours de la semaine – sauf le dimanche – de 9h à 22h.
Téléphone: +30 210-3228839
Entrée Libre
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Photo d’expo: Peintures de femmes de Mataora en dialogue avec une statue de Clio Makris. Photo; Elisabeth Jean Benichou
M.V.