Romancier et poète, Alexis Stamatis est né à Athènes en 1960. Il a fait des études d’architecture à l’École Polytechnique d’Athènes et ensuite des études d’architecture et de cinéma à Londres. Son œuvre littéraire est riche: jusqu’à présent il a publié dix romans, deux nouvelles, deux recueils romanciers, un livre pour enfants, six recueils poétiques, des monologues et des pièces de théâtre, ainsi qu’un scénario.
En 1994, Stamatis a gagné le premier prix de la ville d’Athènes, en mémoire du poète Nikiforos Vrettakos, pour son deuxième recueil poétique « Architecture des espaces intimes » et en 2009 le premier prix de IBBY-Grèce pour son livre de littérature enfantine « Alkis et le Labyrinthe ». La plupart de ses romans et recueils poétiques ont déjà été traduits en plusieurs langues. Son deuxième roman, « Bar Flaubert », un best-seller acclamé par la critique en Grèce (sorti en 2000 par les éditions Kedros, réimprimé en 2012 par les éditions Kastaniotis), a été publié dans sept pays européens : France (deux fois) Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Serbie, Portugal et Bulgarie.
GrèceHebdo* a eu l’occasion de parler avec Alexis Stamatis lors d’une nouvelle présentation du roman « Bar Flaubert » organisée le 8 octobre 2016 à la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à Paris avec la participation des acteurs Georges Corraface et Eva Simatou, ainsi que de Fabrice de Rotrou, premier éditeur du livre en français (éditions Alter Edit).
Votre deuxième roman “Bar Flaubert” a été publié en français en 2007 et a été aussi traduit en sept autres langues. A l’occasion de sa nouvelle présentation à Paris, pourquoi pensez-vous que ce livre résonne encore au public international?
Je pense que ce roman a trouvé son chemin à l’étranger grâce à son thème et à la manière dont celui-ci est narré. Le roman raconte une enquête en Europe à travers trois villes emblématiques du continent: Barcelone, Florence, Berlin (d’où le titre Bar-Flo-Ber).
Un autre élément que le public a peut-être apprécié est surement la fin de l’histoire quand le héros rencontre l’écrivain (la personne qu’il recherche) dans un village montagnard d’Arcadie, au cœur de la Grèce mais aussi un endroit mythique et nostalgique pour des poètes et des philosophes occidentaux. L’histoire fait référence aussi à l’idée de proximité des peuples européens, puisque le chemin du héros suit un fil qui unit ces trois grandes villes européennes. Ce fil se renforce autour de l’axe de la langue, puisque le héros commence sa recherche de l’auteur perdu après la lecture d’un manuscrit égaré. La recherche commence à Barcelone avec ses musées médiévaux, la « Sagrada Familia » et les bâtiments avec l’architecture ondulée et poétique d’Antonio Gaudi. Il continue ensuite sa quête à Florence et ses monuments de la Renaissance pour arriver à Berlin dont l’image de l’avant et d’après-guerre a scellé les souvenirs de chacun d’entre nous. Le livre est donc l’histoire d’une flânerie, d’une géographie humaine et culturelle composée de mosaïques linguistiques et mythologiques au cours desquelles le héros évolue parallèlement aux villes qui se transforment devant lui.
On dit souvent que le livre grec ne trouve pas facilement son chemin vers le marché international. Si vous partagez ce point de vue, quelles sont les raisons qui expliquent cette difficulté selon vous ?
Je suis tout à fait d’accord, je trouve qu’il est très difficile pour le livre grec de trouver sa place dans le marché mondial du livre. Plusieurs causes expliquent cela : l’absence de politique nationale du livre au cours des ces dernières années (après l’abolition du Centre national du livre), la difficulté d’écrire dans une langue qui n’est pas lingua franca et exige la traduction. Par ailleurs, de nombreux stéréotypes nous poursuivent depuis l’époque de Zorba puisque même si cela parait surprenant, les étrangers ont encore aujourd’hui une image de la littérature grecque de cette époque. Je trouve également que le public international nous regarde encore comme des « exotiques » et n’a pas beaucoup d’information sur la production littéraire très intéressante du pays. Je pense que du point de vue de la qualité littéraire nous n’avons rien à envier aux autres pays européens. Cependant, avec le marché d’éditions en crise et les structures nationales qui s’effondrent, peu d’écrivains talentueux peuvent vivre de leur travail. S’ajoutant à cela, presque tous les efforts pour promouvoir un livre à l’étranger sont effectués par les écrivains eux mêmes. Pour mieux comprendre le problème, dans le pays il n’y a qu’un agent qui s’occupe de la promotion de nos livres à l’étranger. Il est donc impossible de faire connaître notre production littéraire au public international de manière systématique. Bref, il faut absolument des changements radicaux dans ce domaine là.
Étant donné les problèmes dans le marché du livre au cours des dernières années, qu’est ce que cela veut dire d’être écrivain dans les années de crise? Est-ce qu’une période turbulente peut être aussi une source d’inspiration ou est-ce qu’il faut prendre toujours une distance par rapport à la réalité sociale?
L’empreinte littéraire de la crise est très importante et a plusieurs facettes. Lorsque l’auteur se trouve au milieu d’une période intense, il est difficile de garder la distance nécessaire et d’être en mesure de mettre en place une fiction dans un cadre réel et contemporain. D’ailleurs, si on écrit un livre pour aujourd’hui, une fois publié, le contexte sera déjà différent. De plus, il ne faut pas oublier que les plus belles histoires d’amour ont été écrites pendant la Seconde Guerre mondiale et que les meilleurs livres sur la Guerre ont été publiés après. Cependant, il existe des moyens et des techniques narratives qui nous aident à essayer de parler de questions importantes de nos temps. Dans mon cas par exemple, le livre “Caméléons” couvre bien 150 ans d’histoire avec des éléments de science-fiction (il parle d’une période entre 1920 et 2055), mais la question centrale qui m’intrigue est en réalité : « Comment est on arrivé à la crise actuelle ? ». Le livre ne fait aucune référence directe aux faits bien connus de l’histoire grecque, mais ceux-ci composent le contexte dans lequel l’histoire évolue. Un lecteur étranger ne va peut-être pas comprendre les événements autour, par exemple, du soulèvement des étudiants de l’École polytechnique contre la dictature, ni la cérémonie de clôture des Jeux olympiques en 2004 et certainement pas les feux qui ont brulé des bâtiments connus d’Athènes pendant la crise. Bref, je pense qu’il nous faut encore beaucoup de temps avant de pouvoir évaluer l’empreinte littéraire de la crise – et la crise est loin d’être finie.
«Le Monde» vous décrit comme un « Grec universel et cosmopolite » et l’un des écrivains les plus talentueux de votre génération. Est-ce vous croyez que le bon roman a une portée internationale ? Est-ce que vous vous considérez comme cosmopolite et qu’est ce que cela signifie pour vous?
Le bon roman a un caractère universel, soit il s’agit d’une histoire qui évolue sur les cinq continents, soit il s’agit d’une histoire qui évolue dans une cuisine d’une île grecque. Ce qui importe véritablement, c’est l’essence même de l’écriture. La question est comment convertir quelque chose de local en quelque chose d’œcuménique. Quant à l’attribution « cosmopolite », il s’agit souvent d’un mot chargé de stéréotypes. Je crois plutôt être un citoyen du monde sans refuser le rôle primordial de mes origines grecques. Il s’agit d’une identité déterminante qui me marque. Mais en ayant cette identité comme base, je tente de garder les yeux ouverts dans toutes les directions, dans toutes les manifestions de la nature humaine dont les passions ont toujours été le matériel brut de chaque histoire dans la littérature.
* Entretien accordé (en grec) à Magdalini Varoucha
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