Comment faire part de son désarroi face à la crise des réfugiés, depuis la Grèce, l’un des centres névralgiques du problème ? Se servir du dessin comme d’une langue intelligible par tous, telle est la voie choisie par 28 caricaturistes grecs réunis autour de l’exposition « The Suspended Step ». Un rendez-vous est donné aux européens.
Le silence est respecté, le 10 mai dernier dans le hall de la station de métro Syntagma. Les visiteurs s’arrêtent de longues minutes pour regarder les caricatures, mais cette fois, il ne s’agit plus de rire. Un respect s’installe face à des images rappelant la gravité de la situation pour des hommes et des femmes, qui ne sont, finalement, pas si loin. Seuls des chuchotements se font entendre à qui tend l’oreille, en français, anglais, italien, grec… Il semblerait que les visiteurs, y compris les touristes, franchissent l’entrée du hall, s’intéressent, réagissent.
Les étapes de l’exposition
L’aventure a commencé le 7 mars à Rhodes. Le lieu n’a pas été choisi par hasard, l’île faisant partie des îles du Dodécanèse recevant un grand nombre de migrants. Avec la même idée, les planches ont ensuite pris la direction de Kos, Leros, puis Agathonissi, enfin de se rendre à Athènes au sein de la station, très fréquentée, de Syntagma du 9 au 12 mai dernier. L’exposition est tenue en mémoire de Giannis Kalaitzis, dessinateur décédé en février dernier. Ce projet aspire désormais à un tour européen, avec pour arrêt final le cœur de l’Europe : Bruxelles.
Il s’agit d’une initiative et d’une co-organisation du Club des Caricaturistes Grecs, de la mer Egée Région Sud et de ESHEA. Ceci sous les auspices du Président de la République Hellénique. On y trouve une multitude de membres de ce club, parmi eux GrèceHebdo s’est adressé à Vangelis Pavlidis, l’artiste à la signature de chouette endormie. Une référence au symbole d’Athéna et par association une référence à la Grèce. Elle est représentée d’une manière léthargique, comme, bien sûr, critique de la société dans laquelle l’auteur évolue. Sa planche avec l’enfant noyé, aux pieds enracinés, est à elle seule évocatrice du message de l’ensemble des artistes de l’exposition (cf gauche).
Faire réagir l’Europe
A travers des planches à la critique acérée l’exposition vise à faire prendre conscience aux visiteurs de l’ampleur du problème des réfugiés en Grèce comme sur leurs autres étapes de l’exil. Un véritable « coup dans l’estomac » (« A punch in the stomach! ») comme en témoigne un visiteur. Pointant leur doigt, ou leur crayon, sur l’inaction de l’Europe et parfois sur son hypocrisie, les auteurs ne laissent aucune place à l’ambigüité d’interprétation. Des personnages se prenant en selfie devant le corps inanimé d’Aylan, le petit enfant décédé sur la plage de Kos ; un François Hollande affolé dans son château bombarde un pays lointain d’où une manne de migrants s’enfuit pour rejoindre ce même château et y trouvent une porte fermée.
C’est d’ailleurs cette porte fermée que dénoncent les participants à l’exposition. Vangelis Pavlidis, dessinateur qui, comme les autres artistes participe avec 5 planches, nous explique que l’Europe « traite [le problème] comme une nuisance au lieu de le concevoir comme une tragédie humanitaire, ce qu’il est en réalité ». Ces images dures et critiques, sont pourtant le reflet de l’ampleur du problème depuis la Grèce.
Ces 120 planches ne visent pas seulement à émouvoir les visiteurs. Un émoi léthargique également passé au crible, il s’agit d’appeler à une plus grande action et solidarité. Pas seulement à une compassion superficielle. Une visiteuse francophone laisse à son tour un mot pour les artistes : « Merci de réagir et de ne pas nous laisser nous endormir ». Ne pas oublier ce qu’il se produit, toucher les individus, et arriver, peut-être, à « aider à combattre la montée de la xénophobie et du racisme, surtout en Europe occidentale » comme le souhaite le cartooniste.
Le nom de l’exposition n’est pas un hasard. Le pas suspendu est à la fois celui de l’Europe, en train d’hésiter dangereusement sur la marche à suivre et celui de la situation de milliers de migrants qui vivent une vie comme suspendue, sans solution durable. La fin du tour de l’exposition, aura lieu à Bruxelles, pour l’instant les dates étant incertaines, mais cette localisation au cœur de l’Europe pourrait donner suite à de plus larges échos européens.
écrit par Léa Rollin