Guilhem Dezeuze, naviguant actuellement entre droit et psychanalyse, est professeur d’histoire des idées politiques à l’université Paul-Valery de Montpellier, spécialiste de l’œuvre d’Auguste Comte. Attiré non seulement par l’antiquité grecque mais aussi par la théologie orthodoxe et le charme du Mont Athos nous donne son propre point de vue sur la Grèce et son état actuel.
1. Visiteur régulier de la Grèce depuis les années ‘70 lorsque vous suivez les traces de Lord Byron à Missolonghi, vous cultivez un rapport particulier avec ce pays méditerranéen. Qu’est-ce que la Grèce représente pour vous? La Grèce ?
Pour répondre d’une manière torsadée et sincère : c’est l’endroit où je retourne après avoir voyagé où je suis né.
Dans la circonvolution méditerranéenne, j’ai trouvé régulièrement l’arrêt grec, la halte grecque, comme la fontaine offerte au voyageur poussiéreux. Où il se plonge.
Pourtant la Grèce n’est pas une pure eau lustrale, celle des rêves ; elle est troublée, peut-être par nous latins, païens ou musulmans (et orthodoxes). C’est cette corruption même dans l’histoire qui la rend encore plus intéressante ; sans cesse renaissante et donnant à celui qui y va, à moi particulièrement, le sentiment le plus net de la résurrection possible.
2. Comment vous avez ressenti la crise grecque de ces dernières années?
Il s’ensuit que la crise grecque, à partir du point de vue précédent, est quelque chose qui s’attache très fort à moi. Comme si cela m’arrivait…
Je sais pourtant que ce qui se passe dans la vie quotidienne des grecs n’est pas semblable à ma situation actuelle. Je ne peux avoir qu’une solidarité abstraite. Cela ne me plait pas beaucoup : la Grèce qui souffre ! La Grèce en crise me donnant la leçon, celle de souffrir pour moi (ou en avance, pour mon futur) est une vision un peu trop christique que je ne désire pas exploiter. Cela me conduirait à un mysticisme en chambre, confortablement installé devant le Golgotha.
3. Est- ce que, selon vous, l’Europe s’est montrée suffisamment solidaire envers la Grèce?
Une certaine Europe s’est dévoilée. ‘’Crise’’ (cf. étymologie grecque issue du mot ‘krisis’) veut dire ‘’critique’’, ‘’état critique’’, … un jugement : qui es-tu Europe ?
La version ‘’UE’’ de l’Europe a montré son montage pervers : elle a demandé dans un premier temps à tous de s’endetter, d’être des cavaliers du productivisme, du capitalisme financier, d’aimer les banques, les banquiers, le crédit, puis dans un deuxième temps, après nous avoir affolé, elle nous appelle à rembourser, à payer de notre personne, à se faire punir.
Je retrouve, là dans ce montage européen, des figures d’usuriers, comme certains personnages de la Comédie Humaine de Balzac. Le personnage, ici, s’appellerait Europe ‘’UE’’ ; il porte un masque qui cache la véritable Europe, celle qui se retrouve dans nos voyages, nos amitiés, nos lectures, nos cinémas et dans la musique et les plaisirs des rencontres. Cette Europe cachée, solidaire avec la Grèce, doit se désolidariser de l’Europe officielle. Je ne veux pas faire une leçon d’économie ou de géopolitique (effacer la dette, bien sûr ; rationaliser l’administration et ponctionner l’église orthodoxe, peut-être), je voudrais simplement traiter la Grèce, c’est-à-dire les grecs, en amitié, en humanité, à l’opposé de l’image facile d’un peuple délinquant. Le dire, le faire.
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